Je suis né à Paris, c'est une ville que j'aime (...) 'Je ne suis pas philosophe, je suis urbaniste, et puis y a pas de philosophe qui ne soit pas urbaniste, la philosophie est née dans la ville de la cité, son lieu est la ville (...) Toute philosophie a une philosophie de la cité. Je viens de l'immigration de mon père, immigré clandestin du côté d'Antibes et de ma mère catholique et bretonne. Je suis un créole de la Bretagne et de l'Italie, un fils de pauvre, ('sal macaroni'!).
Je viens aussi d'une autre contrée, la guerre, la guerre totale et elle a été mon paysage d'enfance, (réfugié à Nantes) et je suis sorti de la destruction d'une ville qui a été avec Lorient et Brest, une ville martyrisée (...) je suis à la fois un étranger par mon père, (...) et je vis donc un dédoublement de la personnalité avec ceux qui nous libèrent qui sont ceux qui nous bombardent (...) Je vis avec ceux qui m'occupent, je suis étranger à ce monde et j'attends la libération du ciel, c'est dur pour un enfant de comprendre çà ...C'est du théâtre de transformation, on n'arrête pas à changer de décor (...) le petit théâtre de la réalité : ça rend philosophe.
Je veux être peintre (...) J'ai fait mes premiers dessins avec le pont de Nantes, un très grand pont, quand il a été bombardé, je me rappelle, j'ai reçu tous mes livres sur la tête en pleine nuit (...) J'ai alors commencé à réfléchir sur le paysage de la guerre ;
nous étions des voyeurs, nous regardons ce que nous ne sommes pas censés voir (...) j'ai vu des choses et une ville détruite en quelques instants (...) car pour un enfant, une ville c'est aussi solide que les Alpes (...) , et j'ai vu qu'on pouvait ne pas croire ce qu'on voyait...
Pour moi, mon milieu c'est la ville (...) Pendant la guerre, on n'avait pas le droit d'aller au bord de la mer donc, dès la Libération, je découvre la mer et je découvre les fortifications (...) et moi je vois des objets de béton et je m'intéresse à ces objets (...) j'apprends que la ville est un front, je me découvre urbaniste, disons, par hasard – mais on ne gagne pas sa vie avec de la peinture (...) Dans ma tête, l'intérêt est déjà la question de la guerre. Et puis il y a la guerre d'Algérie et je vais me retrouver dans les Aurès à faire du poste.
J'ai vite compris que la guerre est un phénomène énergétique, et j'ai essayé de montrer qu'il n'y avait pas de pouvoir sans la vitesse (...)
Là où le danger est reconnu, l'espérance est possible parce qu'on recule toujours devant l'abîme. Mon espérance est une espérance extrêmiste, parce que je crois qu'on est obligé de se retourner, cela veut dire se convertir. Je suis chrétien et pour moi l'espérance est grande parce que nous atteignons des limites qui ne sont je dirais acceptables que s'il y a une espérance. Mais elle est au bord du gouffre, elle est dans le fait de contempler la méduse (...) Mon travail, c'est le façonnage du miroir (...) pour lui renvoyer son image.
On ne trouve de sens que dans la limite (...). Le monde est fini. Ce n'est pas la fin de l'histoire, c'est la fin d'un monde. On va vers un monde de citoyens du monde (...). Le monde va être trop petit pour l'homme , trop petit pour la technique de l'homme d'où ...l'écologie ; mais il y a deux écologies, l'écologie verte, la pollution des substances, l'air, l'eau, la faune, la flore et puis l'écologie grise, la pollution des distances, (...) c'est la nécessité d'une autre pensée que l'écologie a à peine inaugurée...
Paul Virilio a publié aux Editions Galilée, Vitesse et politique , l'Insécurité du territoire, Stratégie de la déception, Ville panique', l'Esthétique de la disparition
BC - Entretiens (2001) pour RFI