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Penser et dépenser avec Ruth L. Sivard

RUTH SIVARDEn 1964, R.L. Sivard dirige les études économiques internationales de la U.S. Arms Control and Disarmament Agency l'agence gouvernementale des États-Unis, connue par son acronyme 'ACDA'. Cette agence a pour mission de soutenir et renforcer la politique américaine de désarmement, maîtrise des armements et de non-prolifération. La publication annuelle sur les dépenses annuelles mondiales, c'est l'ACDA qui s'en charge. Dès janvier 1966, le rapport étoffe et comprend aussi les dépenses destinées à l'éducation, la santé et l'aide économique à l'étranger. Dès 1968, le rapport s'intitule 'Dépenses militaires mondiales' présente sous le même volume les dépenses sociales, avec pour objectif de les comparer aux dépenses militaires. La sociologue et économiste qui se charge de cette collecte estime que les chiffres relatifs aux dépenses d'armement sont plus éloquents s'ils sont mis en parallèle avec le montant des dépenses consacrées au secteur social par exemple.


Les publications du SIPRI comme de l'ACDA ont longtemps servi de référence aux chercheurs. Certes, il fallait tenir compte de l'engagement plutôt pacifiste du premier et de la place d'organisme public américain du second. Il y avait aussi l'ONU qui publiait chaque année son Annuaire du désarmement dont la version anglaise paraît toujours avant la version française. Mais les bons annuaires ont-ils tendance à se perdre ?
WORLD MILITARY A partir de 1968, le rapport de l'ACDA 'Dépenses militaires mondiales' qui compare les dépenses militaires et les autres dépenses, devient le best-seller de l'Agence. Une aubaine ou une tare ? Dès 1973, le climat politique n'est plus à la transparence. La guerre froide n'arrange rien. Le complexe-militaro-industriel est aux abois. Dans un mémorandum adressé au Président des États-Unis, le Secrétaire à la Défense fait savoir 'en haut lieu' que les comparaisons figurant dans le rapport rendent sa tâche plus difficile pour faire accepter par le Congrès les milliards prévus pour son Département. La pression du Pentagone va jouer : la moindre mention des besoins sociaux, que ce soit aux États-Unis ou à l'étranger, ne va plus figurer dans les documents officiels de l'ACDA. Mme Sivard démissionne.
Elle va publier à son propre compte un rapport qui prend pour titre 'Dépenses militaires et sociales mondiales'. Ce rapport (de décembre 74) approfondit les analyses antérieures et élargit la portée mondiale des indicateurs sociaux. D'autres suivront , au rythme d'une publication annuelle ou presque, et les lecteurs attentifs ne s'y trompent pas. Parmi eux, ceux du 'Bulletin of the Atomic Scientists' On peut lire dans l'édition de novembre 1976 : Si les dépenses militaires du monde pouvaient être réduites de 5 %, l'économie annuelle serait de ...15 milliards de dollars. Que pourrait-on faire avec 15 milliards de dollars pour réduire le vaste déficit social du monde ? Dans la 13ème édition de World Military and Social Expenditures", celle de 1991, on peut lire : Les dépenses militaires mondiales annuelles représentent 35.000 dollars par soldat, soit 30 fois plus que la somme consacrée annuellement à l'éducation d'un élève.
En 1991, justement, Ruth Sivard se voit attribuer le prix l'Unesco de l'Education à la Paix. Elle met alors sur pied une fondation, la fondation World Priorities Inc. Mais les temps ont vraiment changé : dès 1999, le State Departement a absorbé les fonctions de l'Agence pour la Maîtrise des armements et le désarmement ; le sous-secrétaire d'Etat chargé de ce dossier, désormais conseiller spécial auprès du président et du Secrétaire d'Etat (...), a d'autres ambitions. Le désarmement n'a plus la cote. Avec Bush père, puis Bush fils, le complexe décrié par Eisenhower se renforce. L'A.C.D.A. ne sera plus ce qu'elle a été. Entre temps, le rapport du PNUD sur la sécurité humaine prend le relais. ( ?). Les pages spécifiques sur les dépenses sociales ont disparu...Il doit y avoir des comparaisons qui ne plaisent pas.

 BC – Novembre 2008