Laissons de côté la ribambelle de gens qui croient sauver le monde ou qui font semblant de le sauver ! Y en a tant qui le clament à tout-va. Y en a tant qui prétendent ou qui font semblant ! Mais voilà : il existe des sauveurs qui ne revendiquent aucun laurier et dont les exploits avec désobéissance ou insubordination - sont vite passés à la trappe de l’histoire. Flash sur la Russie où des circonstances tout à fait incroyables vont faire en sorte qu’un certain Stanislas P. sans fanfares ni trompettes ne va pas agir conformément à un certain formatage, ne va finalement pas faire ce qu’on attendait de lui. Nous sommes alors dans la nuit du 25 au 26 septembre 1983. Un homme de 44 balais prend son poste de garde, tout seul comme un grand, dans le bunker Serpukhov-15, situé à une centaine de kilomètres au sud de Moscou. Cet homme n’est pas un plancton. Il a étudié l’ingénierie à l’École supérieure de radiotechnique des forces armées à Kiev. Il a le grade de lieutenant-colonel des forces aériennes soviétiques. Son nom : Stanislas Petrov. Sa mission: être une bonne sentinelle nucléaire. C’est-à-dire : évaluer les données du système d’alerte satellite précoce, baptisé OKO. Le cas échéant, penser l’impensable, imaginer l’inimaginable et être prêt, prêt à tout en cas d’attaque nucléaire.
Ce soir-là, un peu après minuit, il voit sur ses écrans de contrôle radar cinq points représentant des missiles nucléaires intercontinentaux de type Minuteman en provenance de la base américaine Malmstrom, dans le Montana. L’alarme retentit. Difficile de rester zen. Le contexte international ne s’y prête guère : nous sommes en pleine guerre froide et les SuperGrands se menacent, de quoi faire pâlir les diatribes d’un Kim-Jung-Un. Trois semaines auparavant, sous l’autorité du premier secrétaire Youri Andropov, les supérieurs hiérarchiques de Petrov n’ont pas hésité à dégommer un avion de ligne KAL 007 qui avait violé l’espace aérien soviétique. Que faire ? comme dirait l’autre.
Malgré les sirènes hurlantes, un écran-rouge qui clignote et un message ‘LANCEMENT’, Petrov hésite …Certes, selon la procédure normale, il doit réagir vite, appliquer les consignes…Mais voilà : il n’est pas convaincu par la précision et la fiabilité de la technologie antibalistique. D’ailleurs, il y a un ‘hic’ : le système ne détecte que 5 missiles. C’est louche. Si par hypothèse Washington déclenchait une attaque nucléaire, au nom de quelle rationalité les Yankees balanceraient si peu de munitions ? Et pourquoi le radar anti-missile au sol ne corrobore pas ces informations ? Petrov se tâte. S’il confirme l’attaque présumée, l’état-major soviétique risque de riposter…et aucun lecteur n’aurait pu connaître la suite des événements. Petrov prend alors la décision de ne pas suivre les consignes : il prévient sa hiérarchie qu’il s’agit d’une fausse alerte. Il supplie le ciel d’avoir raison, ce qui n’est pas militairement correct.
Heureusement pour lui, heureusement pour nous, le 'Gaston Lagaffe de l’escalade nucléaire' ne s’était pas planté : il s’agissait bien d’une erreur technique. L’info, vite classifiée, n’est rendue public qu'en 1998, lorsque le général Yury Vontintsev, son supérieur, publie ses mémoires et le récit de cet incroyable épisode. Stanislav Petrov, lui, a tenu sa langue jusque-là. Motif ? Je pensais que cette erreur technique était une honte pour l’armée soviétique. Et il ajoute comme pour se justifier : ‘J’ai simplement fait mon travail’ .
En 1984, Petrov quitte l’armée et, ironie de l’histoire, il obtient un poste d’ingénieur dans l’institut de recherche qui a mis au point le système de surveillance défaillant. Puis, Petrov décide de prendre une retraite anticipée et s’installe dans la banlieue de Moscou. On a appris sa mort à l'âge de 77 ans, le 18 septembre 2017. Mais selon son fils qui se moque de la célébrité autant que son père, sa disparition remonterait au 19 mai. Mort dans l’anonymat, donc, à l’image de l’anti-héros qu’il a été.
Ben Cramer
P.S. : Parmi ces anti-héros, Masao Yoshida. Ingénieur de formation, il est entré en 1979 chez Tepco, directeur de la centrale de Fukushima Daiichi. Il a osé désobéir aux ordres de sa direction, qui lui demandait de ne pas utiliser d’eau de mer pour refroidir un réacteur qui menaçait d'exploser. En injectant de l’eau de mer malgré les consignes, Masao Yoshida évitera des réactions en chaîne qui auraient conduit à l’évacuation totale de la ville de Tokyo, le pire scénario alors envisagé par les autorités.