Bruno Barrillot, né le 9 avril 1940 à Lyon, a rendu son dernier souffle à l’hôpital du Taaone des suites d’une longue maladie. Comme le titre ‘TahitiNews’ le 26 mars : ‘Un homme de paix et de justice vient de nous quitter’.
Ce combattant pour la justice, la paix et…la vérité a eu un sacré parcours ! Du groupe ‘Objections en monde rural’ qu’il accompagna alors comme aumônier du MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) ; à ce renvoi collectif de papiers militaires auquel il participa en 1978 pour marquer son engagement aux côtés des objecteurs de conscience en proie à la répression….jusqu'à son poste de délégué au suivi des conséquences des essais nucléaires. Un poste qu'il occupait déjà de 2009 à 2013, puis de nouveau depuis 2016. Un parcours de chercheur (aussi), avec des études sur les questions de défense au milieu des années 80. Dans le mémoire qu’il soutient à Lyon, il ne cède pas à la facilité. Il pointe l'embarras peu courageux de l’Eglise catholique à se positionner face à ce qu’on appelle alors la ‘menace nucléaire’. Dans la lettre pastorale intitulée ‘Gagner la paix’ (La Documentation catholique, 4 décembre 1983, n° 1863), où la dissuasion française est présentée comme un moindre mal, les évêques se montrent plutôt trop compréhensifs vis-à-vis de la politique de défense occidentale, cautionnent la realpolitik du Vatican, notamment au sujet de la dissuasion nucléaire ; et ce sera pour Bruno un motif de rupture.
Au printemps 1984, Bruno B fait partie des inspirateurs et fondateurs (avec Patrice Bouveret et Jean-Luc Thierry) du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits à Lyon, le CDRPC qui sera rebaptisé à partir dès 2008 Observatoire des armements. Si la critique des essais nucléaires sera un axe central de son action, il fera bénéficier beaucoup de monde de ses recherches : que ce soit sur le tritium à Valduc, (le premier rapport sur les déchets nucléaires militaires), le scandale du combustible usé des sous-marins (SNA) dans le port de Toulon (avec Greenpeace) et aussi le coût du programme des sous-marins SNLE de la génération ‘Le Triomphant. On lui doit la seule étude sérieuse et non partisane sur le coût global de l’armement nucléaire français, l’Audit Atomique.
Bruno B. contribue à la mise en place en 1991 du collectif Stop Essais ! et de son bulletin mensuel. Dès le premier numéro daté de février 1991, il évoque les conséquences sanitaires et environnementales des tirs sur Moruroa et Fangataufa. Deux séjours en 1990 et 1995 en Polynésie chez Bengt et Marie-Thérèse Danielsson (qui recevront en 1991, le prix Right Livelihood, plus connu dans le monde francophone sous le nom de Prix Nobel Alternatif) lui donnent l’occasion de vérifier la valeur des témoignages recueillis par des médecins pour le compte de Greenpeace. A partir de là, il estime de son devoir de travailler sur les conséquences de ces essais pour les populations polynésiennes et algériennes à qui on n’avait rien demandé et à qui on avait menti. (tout comme on avait menti aux militaires qui étaient embauchés sur les sites). Le chercheur bienveillant dénonce, interpelle, tisse patiemment un réseau, pour que ‘Vérité et Justice’ soient rendues aux victimes des essais nucléaires. Grâce à Bruno et à Toshiki Mashimo, l’ONG Gensuikin (Japan Congress against A and H Bombs fut en mesure d’organiser en 2002 une conférence internationale qui a réuni des Hibakusha d’Algérie et de Polynésie. Son travail méticuleux d’investigation est à l’origine de la loi du 5 janvier 2010, dite loi Morin en faveur des victimes des essais nucléaires, une loi que les autorités ont tenté de manier à leur fin.
Le Nuclear Free Futur Award qui lui est décerné en 2010, viendra honorer son engagement.
Bruno B., engagé aux côtés des victimes et de leurs familles, désire plus que tout que soit édifié un centre de mémoire du nucléaire dans le Pacifique, un mémorial sur le modèle de celui qui fut érigé pour les Hibakusha. Ce projet lui tient à coeur mais Bruno B. n’en verra pas l'aboutissement. Comme le confia récemment le président de Moruroa e Tatou Roland Oldham "Je m'en veux, j'en veux au gouvernement, et un peu aussi aux Polynésiens. Nous n'avons pas assez jugé de l’utilité de ce projet, (...). Et, les gouvernements successifs n'ont pas su le concrétiser. C'est une catastrophe". En effet, faire la lumière sur cette part d'ombre de l'Histoire en honorant les victimes n'aura pas été un long fleuve tranquille. "Ce centre de la mémoire doit être financé par l'Etat, comme annoncé par François Hollande lors d’une récente visite : ce sera un musée où les écoles pourront venir s'informer, et je suis sûr que ça intéressera aussi les touristes" affirme avec un sourire Bruno Barrillot, lors des 50 ans du premier essai nucléaire à Moruroa ; mais "l'Etat joue la montre en attendant que les anciens travailleurs des sites nucléaires décèdent" comme le rapporte Roland Oldham.
La disparition de Bruno B provoque un vide, tout comme celui du chercheur (du CIRPES) Jean-Paul Hébert et de John Doom, celui qui avait insisté pour que Hervé OTT intervienne comme formateur auprès de l’église évangélique de Polynésie en 1993-1994.
Tous ceux qui agissent au jour le jour pour que soient évaluées avec lucidité et exactitude les conséquences humaines, sanitaires, environnementales des expérimentations des munitions nucléaires de la "force de frappe", et pour que soit reconnu le droit des victimes pourront s’appuyer sur les investigations que Bruno a menées (aussi à Reggane et in Ekker). Ils pourront se référer aux ouvrages, rapports et articles qu’il a rédigés, aux documentaires (radios et télés) auxquels il a contribué (de France-Culture à France3) et ceux qu'il a inspirés.
Les amis de Bruno en France, en Polynésie et ailleurs, tout comme ceux qui ne partageaient pas forcément ses idées lui sont ou seront reconnaissants ; d’avoir œuvré avec modestie, tenacité et intégrité pour faire émerger la réalité destructrice des essais atomiques français et les conséquences d’une bombe coloniale…bâchée par le tabou et le déni.
L’avenir ? Dans l’ouvrage ‘Tahiti après la bombe’ publié en 1995 aux éditions L’Harmattan, le professeur Jean Chesneaux avait esquissé quelques traits : ‘Selon Gaston Flosse, (le même Flosse qui a démis Bruno de ses fonctions en 2013), le Territoire est menacé d'un cyclone économique et social si le Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP) est mis en sommeil’. Mais pas seulement.
Pour Jean Chesneaux, la situation de ‘l'après CEP’ mérite quelques réflexions. Il prédisait il y a 22 ans : ‘La Polynésie rencontre peut-être, à la faveur de la nouvelle donne géopolitique mondiale (…) un moment de vérité qu'il lui faut saisir et mettre à profit.’
Inhumé à Papeari auprès de son ami et frère en résistance John Doom, Bruno va donc demeurer sur sa terre d’adoption, cette terre meurtrie pour laquelle il s’est battu comme un juste.
Ben Cramer