Les Neuf ‘salopards’
Même parmi les Etats nucléaires et qui sont fiers de l’être, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Pourquoi les mettre dans le même sac ? Sur les neuf, deux Etats monopolisent 91% des armes nucléaires.
Lors du vote de l’ONU qui conduisit à l’ouverture de négociations pour l’avancement du désarmement multilatéral et qui aboutit finalement au traité d’interdiction adopté par 122 Etats non-nucléaires, la Chine, l’Inde et le Pakistan s’abstinrent de voter contre, et la Corée du Nord vota même pour.
Cinq sont membres du Conseil de Sécurité et grâce au Traité de Non Prolifération (TNP) qui a officialisé leur statut, aucun de leurs dirigeants n’envisage ‘de se priver de ce privilège qui lui a été conféré par un accident de l’histoire’, selon l’expression de Jacques Attali.
Quatre (4) puissances (Corée du Nord, Inde, Israël, Pakistan) snobent le TNP. Le premier dissident a renoncé à ses obligations d’antan en ayant recours à l’article 10 du TNP qui fut réclamé au départ par l’Allemagne. Le second outsider (Israël) cultive la clandestinité nucléaire et, au nom de son ambiguïté, n’assume pas son statut, même si Shimon Peres a levé le voile publiquement, une fois, lors d'une conférence de presse le 13 juillet 1998. A Tel Aviv, une émission radiophonique ironise sur le fait qu’Israël ne détiendrait un arsenal que ‘selon des sources étrangères’.
L’Inde et le Pakistan cultivent le ‘nationalisme nucléaire’, et chez ce dernier, les missiles Ghauri sont érigés en statues sur les carrefours des grandes places, monuments érigés sur l’autel de l’assurance-vie ! En Inde, ce concept de ‘nationalisme nucléaire’ a été critiqué par des intellectuels tels que Sri Raman. Sri Raman est moins vénéré qu’Abdul Kalam (auteur des ‘Ailes du Feu’) surnommé 'l’homme du missile indien', mais il a réussi à se battre sur 4 fronts. Primo, créer les conditions d’un dialogue social entre la gauche organisée et la société civile en rendant le discours nucléaire accessible à tous. Secundo, mobiliser les médias en créant une association de journalistes contre la bombe (Journalists against Nuclear Weapons, JANW) depuis la première explosion de 1974 qui avait suscité peu de protestations (et fut présentée comme une expérimentation pacifique avec le nom de code "Operation Smiling Buddha". Tertio, soutenir l’organisation anti-nucléaire indienne COSNUP ou Comittee for a Sane Nuclear Policy animée par le professeur Dhirendra Sharma qui s'inquiétait (à juste titre) de la résurgence d'un ‘lobby pour la bombe’ dès juin 1981. Enfin, se prononcer en faveur de la mise sur pied d’une convention des Nations Unies pour l’abolition des armes nucléaires.
La France et le Royaume-Uni s’accrochent le plus à l’ordre nucléaire existant car ces puissances se sont vu accorder un statut disproportionné par rapport à leur pouvoir réel. La France, - qui abrite une base de sous-marins nucléaires au sein du parc naturel régional d’Armorique (Finistère) - est désignée par ICAN comme l’un des principaux empêcheurs de ‘désarmer en rond’. Pourtant, avec une population qui représente moins de 1 % de la population mondiale, une superficie (en métropole) qui équivaut à 1 % des terres, un arsenal de 300 ogives, soit 5 % de l’arsenal nucléaire total (du moins comptabilisé), comment gesticuler dans la cour des Grands ? Les élites à Paris, tout comme le commun des mortels dans l'Hexagone, se rendent compte que notre dispositif nucléaire ne pèse pas lourd dans les enjeux défense et de sécurité dans l'UE, et que ce faire valoir est peu efficace pour jouer une partition originale dans les processus de désarmement à l’échelle planétaire.
Les nucléarisés ‘malgré eux’
Les Etats qui sont nucléarisés malgré eux (et stigmatisés parmi les 70 absents dont le Japon, la Corée du Sud ou l'Australie) bénéficient d’un parapluie nucléaire plus ou moins étanche et sont devenus des protectorats par le biais d’une trouvaille des artisans du TNP : la ‘dissuasion étendue’, toujours en vigueur depuis les années 60. Quelle que soit l’efficacité de ce concept qui perdure, un opposant à la bombe se doit de reconnaître que la dénucléarisation est à géométrie variable et que les Etats Européens, géographie oblige, ne disposent pas d’une autonomie suffisante pour revendiquer le statut (dénucléarisé) de la Mongolie par exemple. Le meilleur exemple est l’Islande. Ce pays, membre de l’OTAN, qui figure au hit-parade de l’Index Mondial de la Paix n’a pas d’armée. Il interdit l’entreposage et le transport d’armes nucléaires sur son territoire, soutient mordicus ‘l’éradication de ces armes en tant que signataire du TNP’ , mais le gouvernement de Reykjavik s’est prononcé contre le traité d’interdiction.
Quant aux autres ‘clients’ du parapluie (nucléaire), tels l’Allemagne ou le Japon, ils ont bénéficié (même malgré eux) de campagnes de vaccination, mais nul ne peut jurer qu’ils soient immunisés à tout jamais vis-à-vis de certaines tentations. A Tokyo, un vice-ministre japonais de la défense a été contraint à la démission pour avoir affirmé que se doter de l’arme nucléaire pourrait être opportun, en 1999. En 2017, toujours au Japon, le gouvernement snobe la convention d’interdiction, bien qu’il soit l’unique territoire à avoir été victime d’attaques nucléaires. Cette évolution peut paraître incompréhensible mais l’opinion publique est fluctuante ; si, aujourd’hui, 90 % des Japonais se déclarent opposés à l’option atomique, cette donne pourrait changer au cas où les Japonais étaient confrontés à une menace réelle de missiles nucléaires nord-coréens.
L’offensive d’ICAN a été menée selon des règles (d’interdiction) qui ne tiennent pas compte de la complexité et de la diversité du monde. Or, les obstacles à n’importe quelle victoire sur le front du désarmement varient d’un pays à l’autre, aussi en fonction des opinions publiques qui influent sur la politique des gouvernants.
B.C.