Stratèges atterrés

Adieu au multilatéralisme - 1

MULTILATERALISME GLOBELe risque de voir les Nations Unies de plus en plus désunies n’est pas un simple exercice pour étudiants de Sciences-Po ; ni pour les militants altermondialistes. Il s’agit d’un enjeu pour tous les Changemakers, Peacemakers et Troublemakers, c'est-à-dire ceux et celles (lecteurs compris) qui remettent en question le statu quo et veulent faire du monde un endroit meilleur, plus juste et moins violent. Il reviendra aux artisans du multilatéralisme de faire mieux que d’adopter une résolution proclamant le 24 avril Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix comme le fit l’Assemblée Générale des Nations Unies le 12 décembre 2018 (A/RES/73/127).

 

Notre maison brûle, les pyromanes savent pourquoi

Soyons réalistes : nous ne disposons pas des outils pour pacifier le monde, le raccommoder, le ressouder. Nous avons déposé les seules armes capables de panser les plaies du monde. Allons plus loin : nous ne voulons pas associer le ‘global South’ à la gouvernance d’une sécurité globale. Cela ne fait pas partie de nos priorités. N’en déplaise aux sirènes sur le multilatéralisme : le ‘chacun-pour-soi’ a un grand avenir devant lui. Si l’on en croit les prédictions du Centre for Strategic and International Studies (CSIS), le chamboulement climatique pourrait accélérer la fin de la mondialisation d’ici 2040.
Comment en est-on arrivé là ?
neuordner farbig calleriNous vantons la solidarité dans le cadre de la sécurité globale en laissant dix pays – représentant moins de 2,5 % du PIB mondial - accueillir 56 % des réfugiés de la planète (cf. Rapport d’Amnesty International, octobre 2016). Nous nous débrouillons pour renflouer des banques en faillite. Nous infligeons nos sanctions et nos embargos aux voyous et Etats-faillites que nous sélectionnons. Nous pratiquons l’apartheid dans l’accès à la vaccination, comme pour le coronavirus, et ‘en même temps’, (Macron dixit), nous sommes incapables d’accorder un toit à 21 millions de réfugiés, soit 0,3% de la population mondiale. Tout cela en agitant l’épouvantail (le C02 a bon dos !) de hordes de sauvages qui viendraient déferler sur nos contrées paisibles…
SANCTOINS PAYS VISESNotre conscience planétaire rejoint le ‘Grand Mensonge’ qu’évoquait le secrétaire général Antonio Gutterez à propos des géants pétroliers face au climat. Bien que la logique du désarmement pour le développement soit inscrite dans la Charte de l’ONU (article 26), les Etats riches (ou considérés comme tels) dépensent 30 fois plus pour leurs forces armées et leurs arsenaux que pour renflouer les caisses (quasi vides) du Fond Vert pour le Climat à destination des Etats les plus vulnérables, dont font partie ceux que les conflits armés gangrènent et ravagent.
Ainsi assistons-nous à une nouvelle séquence dans la jungle des tragédies géopolitiques qu’une écologie de guerre va façonner à sa façon.

2-Notre maison brûle et ...provoque des étincelles

La militarisation ou re-militarisation accompagne et alimente le nombre de conflits armés, un nombre qui a presque doublé entre 2010 et 2020. Depuis le début de l’invasion russe, l’aide militaire des Etats-Unis à l’Ukraine dépasse le budget militaire de la Russie. Cette fuite en avant qu’est la militarisation étouffe toute chance d’apprendre, enseigner et cultiver du multilatéralisme ; elle constitue l’obstacle majeur à édifier un multilatéralisme par et pour les peuples car elle exclut toute démarche ou vision communes ; dont la ‘sécurité commune’, ce concept mis en avant dès 1982 au sein de Commission Palme du nom de son initiateur, le Premier ministre suédois ; le même Palme qui nommera son ami le météorologue Bert Bolin à la tête du GIEC, cette nouvelle institution onusienne chargée d’un projet unificateur autour du dérèglement climatique.
Bien que l’ONU soit pavée de bonnes intentions, la gouvernance mondiale repose sur certains Etats ‘plus égaux que d’autres’ (G. Orwell) qui ambitionnent de faire la pluie et le beau temps sur la scène internationale. Ces 5 puissances – dont 3 occidentales – bénéficient des privilèges qui leur a été conférés par une coïncidence de l’histoire comme l’écrit Jacques Attali dans L’Economie de l’Apocalypse, commandité par le secrétaire général de l’ONU et aucun de ces Etats ‘n’envisagera jamais de s’en priver ‘’ ; dont le droit de véto au Conseil de Sécurité (article 27 de la Charte) qui permet aux puissants de s’y maintenir.
En vertu d’une règle non écrite sur le ‘deux poids deux mesures’, ces Etats fixent les règles de non-prolifération qu’ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes. Ils s’attribuent ainsi le droit d’imposer l’abstinence nucléaire à la grande majorité des Etats, sans avoir l’intention de se soumettre aux mêmes règles. Bref, le monde occidental renie ses propres valeurs, à l’instar des Suisses qui envisagent de réviser leur statut de neutralité en se rapprochant de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord chargée de la sécurité de tout le monde et marginalement de l’Atlantique Nord) au nom d’une ‘neutralité différentielle’.
L’aventurisme militaire a paralysé la Conférence du Désarmement, surnommée la 'Belle au Bois Dormant'. Certes, les diplomates causent toujours au Palais des Nations à Genève, mais les vrais sujets sont écartés, y compris ceux relatifs au désarmement naval, à la militarisation de l’espace extra-atmosphérique. Y compris les travaux autour de la Convention ENMOD qui hiberne depuis 1992. Alors qu’il y a matière à la réanimer, ne serait-ce que pour protéger les cycles hydrologiques ou pour empêcher les délires et/ou dérives de la géo-ingénierie
Paradoxalement, le péril est sous-estimé, à tel point que le risque d’auto-destruction est zappé. Pourtant, ‘les pays peuvent, ainsi que l’histoire l’a déjà démontré, être détruits de multiples façons. L’une d’entre elles consiste à se lancer désespérément dans une course aux armements’, comme l’avait fait remarquer le diplomate hongrois Peter Naray à la Conférence du désarmement en 1999.

3- Notre maison brûle et ...nous rallumons des brasiers


ob 1a1fe2 otan et ueEn arrimant l’U.E. à l’OTAN, en estimant que le multilatéralisme militaire est le seul dénominateur commun qui convienne à la situation, les Européens croient ainsi se prémunir contre tout ‘déclassement stratégique’. Or, c’est l’inverse qui va se produire. Les Européens vont perdre sur tous les tableaux, y compris sur le front diplomatique. Alors que l'OTAN s’impose en affirmant résoudre les problèmes ….créés par l'existence de l'OTAN, notre arrimage se fait aux dépens d’un réel multilatéralisme ajusté aux exigences d’empowerment ou d’autonomisation des peuples. Endosser le costume d’idiots utiles de Washington nous prive d’enceintes multilatérales. Nos élites ont fait dérailler l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, (OSCE), ex-CSCE d’avant 1995, mise sur les rails pour atténuer et transcender la politique des blocs. Elles ont rétréci le Conseil de l’Europe, désormais réduit à 46 membres, sans la Russie, la Biélorussie, le Kosovo, la République turque de Chypre du Nord (RTCN) . Par la même occasion, à défaut d’être un pont entre l’Est et l’Ouest…, les ONG européennes sacrifient leurs chances - depuis le 24 février 2022 - de réunir les conditions d’un multilatéralisme culturel dont un volet reliant les peuples européens et les peuples de Russie.En étant à ce point vassalisées, la bureaucratie bruxelloise a consommé nos précieuses munitions dans le domaine de la diplomatie de paix. Certes, les 10 millions d’euros investis dans l’Institut Européen de la Paix (IEP) ne pèsent pas lourd face aux 8 milliards d’euros (2021-2027) du Fonds européen de défense. Sauf que ledit Institut, mis en place en 2014 à la suite d’une initiative conjointe de la Suède et de la Finlande, visait à relooker une diplomatie de paix d’une U.E. récompensée (en décembre 2012) sans fanfare ni trompette d’un Prix Nobel de la Paix ! Une fois la Suède et la Finlande converties à l’atlantisme, on comprend mieux pourquoi nous venons d’assister à ce que Francis Wurz a qualifié de la deuxième mort d’Olof Palme (cf. édito dans l’hebdo ‘Humanité-Dimanche’ de mai 2022).

Avant que d’être renvoyée au vestiaire de l’Histoire, voilà l’U.E. qui se débat dans cet espace économique Européen (EEE). Elle se débat en réalité au sein d’un marché commun qui est la base économique de l’OTAN , comme l’écrivait Michel Rocard il y a 50 ans, dans l’ouvrage ‘le Marché Commun contre l’Europe’ avant de s’illustrer en tant qu’ambassadeur des Pôles. Pour l’Europe, retour à la case départ.

Le déclassement stratégique de l’Europe découle de nombreux facteurs, y compris la faillite de sa politique étrangère, les retombées de sa politique coloniale, sa gestion catastrophique et criminelle de la décolonisation et les relents de néo-colonialisme. Il va entraîner une certaine ‘désoccidentalisation du monde’. Si les années de la parenthèse occidentale sont comptées, avis à ceux qui n’investissent pas dans le multilatéralisme : ce sera d’abord une parenthèse européenne qui va se refermer.

B.C. - à suivre : Adieu au multilatéralisme - 2