4- Notre maison brûle avec ou sans fake news
Bien avant l’apparition d’une guerre informationnelle dans ce monde ‘post-vérité’ que les GAFAM exploitent à fond, le double langage de l’Occident était déjà bien rôdé. Parmi les dirigeants au-dessus de tout soupçon, le général Dwight Eisenhower. Celui qui s’est fait le pourfendeur du complexe militaro-industriel est le même qui a approuvé l’opération ‘Ajax’ pour renverser M. Mossadegh en 1953. Eisenhower a mis en échec le processus entrepris par un pays du Tiers Monde pour acquérir la maîtrise de ses richesses naturelles. Ce fiasco a aussi entraîné d’autres offensives dans la guerre de propagande pour maintenir les mécanismes de domination. En effet, au début des années 80, un rapport intitulé ‘Voix multiples, un seul monde’ surnommé rapport MacBride (du nom de son animateur, Prix Nobel de la Paix) avait tenté de poser les bases d’un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC). Il dénonçait les pratiques quasi exclusives de cinq agences de presse internationale diffusant 80 % de l’info en négligeant de facto les évènements concernant les Etats et les peuples du ‘Tiers Monde’. Mais les Occidentaux ont crié au scandale. Ils se sont ligués pour faire barrage à cette remise en question du vieux monde et de ses relais ; les Etats-Unis se sont retirés de l’Unesco. Le rapport a été enterré.
Depuis, les Etats-Unis ont pris les devants : dans un rapport (‘A nos risques et périls’) émanant de l’institut d’Etudes Stratégiques du U.S. Army War College visant à évaluer (pour le compte du Pentagone) les risques que court l’Amérique dans un monde post-suprématie', il est fait mention du recours nécessaire à la ‘manipulation stratégique de la perception’. Avec ou sans cyber, les bataillons de l’info-propagande sont mobilisés. La contre-offensive se prépare-t-elle ? Pour l’instant, l’historien et économiste libanais Georges Corm préconise la mise sur pied d’un observatoire pour capter la façon dont les conflits sont suscités et attisés dans les grands médias euro-américains (les mêmes que ceux pointés du doigt par le rapport MacBride), décrypter la façon dont ils prennent parti dans un conflit, en idéalisant l’une des parties et en diabolisant l’autre.
5 - Notre maison brûle et …les pompiers sont complices
Comme l’écrivait Samuel Huntington, 'l’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée. Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais.’ Si l’Occident est à ce point amnésique, les laissés-pour-compte du désordre international le sont beaucoup moins. Leur vigilance a été aiguisée par des ‘manipulations stratégiques de la perception’ (…) de sinistre mémoire. Tout le monde se souvient de l’invasion de l’Irak il y a 20 ans, la mise en scène de militaires haut gradés brandissant le spectre d’armes de destruction massive (ADM) …qui n’existaient pas, pour reprendre la formule de Hans Blix de l’AIEA. D’autre entorses à la vérité ont fait le buzz. Comme la promesse faite à Gorbatchev par les dirigeants de l’OTAN de ne pas élargir les frontières de l’OTAN à l’Est du Rideau de Fer. Ou encore le pilonnage de la Libye de Kadhafi par la France de Sarkozy en soutien à l’Operation Unified Protector de l’OTAN en 2011 : une intervention justifiée par un massacre à Benghazi …qui n’a pas eu lieu. Sans parler de l’Afghanistan pris pour cible afin de venger l’attaque du 11 septembre, comme si le peuple afghan avait la moindre responsabilité dans la destruction des Twin Towers.
Dans un registre plutôt tragi-comique, le PDG du missilier de MDBA (4,2 milliards de chiffre d’affaires) laisse entendre que produire de l’armement en France garantit l’autonomie d’action de nos armées (‘L’Express, 2 juin 2022). Le président Macron promet davantage : ‘l’autonomie stratégique de l’Europe’. En bon donneur de leçons, le locataire de l’Elysée diagnostique 'la mort cérébrale de l’Alliance' (dans The Economist’ en novembre 2019). Mais puisque la France fait partie intégrante de l’OTAN depuis novembre 2007, le ‘coming out’ de l’arroseur arrosé fait pschitt . Eh oui, lorsque la maison brûle, attention à l’enfumage ! Il aurait mieux valu rappeler que les Européens détiennent 25 % des capacités militaires mondiales, ce qui n’est pas négligeable pour une coalition hétéroclite représentant 5 % de la population mondiale.
Bref, dans ce ‘monde qui ne sera plus comme avant ‘, le Global South ne croit plus en nos promesses et c’est pourquoi le multilatéralisme est moribond. Le Global South a suffisamment d’arguments pour rejeter les principes universalistes auxquels nous nous référons si volontiers.
6 - Notre maison brûle et …peut nous éclairer
En reconnaissant que nos sociétés sont abîmées, fracturées, nos élites doivent descendre de leur piédestal ; tenter d’atteindre quelques uns des Objectifs du Développement Durable (ODD) d’ici 2030. En arrêtant de se différencier par l’arrogance, d’insinuer que certains peuples ‘ne sont pas encore entrés dans l’Histoire’ (discours de Dakar de Sarkozy). En s’appropriant une nouvelle boussole pour initier demain un dialogue et des échanges sur un pied d’égalité, avec ou sans le recours à des commissions Vérité et Réconciliation. L’exigence de vérité(s) nous rattrape. Elle rattrapera Poutine qui n’a pas le monopole du maniement du faux, mais s’est illustré en qualifiant son invasion d’’opération spéciale’, une opération si spéciale qu’elle mobilise des mercenaires de chez Wagner pour débarrasser le territoire ukrainien du ‘nazisme’.
Il serait également opportun de ne plus être dans le déni par rapport au déficit démocratique qui sévit dans nos rangs. Opposer les régimes démocratiques occidentaux aux régimes autoritaires comme la Russie de Vladimir Poutine et la Chine de Xi Jinping ne permet pas d’évaluer à sa juste valeur le besoin d’insérer le multilatéralisme dans une doctrine de sécurité humaine, celle-là même que l’U.E.. avait présentée en 2004…, avant de lui réserver le sort qu’a connu ...le rapport MacBride.
Enfin, puisque la doctrine de sécurité humaine a été marginalisée, il est bon de rappeler que l’idée même de sécurité dans le monde d’aujourd’hui et de demain ne tient pas uniquement à l’équilibre des forces, n’en déplaisent aux fans de Z. Brzesinski. Elle tient plutôt à notre capacité à gérer intelligemment l’ensemble des défis (au Nord comme au Sud) sur les plans énergétique, alimentaire et climatique. La science des relations internationales ne peut se permettre de sous-estimer les enjeux sociaux, écologiques, sanitaires, et humains globaux. Le multilatéralisme, le vrai, est à ce prix.
A tous ceux et celles qui voudront s’emparer d’une nouvelle boussole, des conseils en guise d’avertissement s’imposent. Qu’ils/elles préconisent des récompenses à destination des Etats et de leurs peuples oeuvrant pour l’intérêt général, comme cela aurait dû être fait à l’égard de la Libye de Kadhafi qui avait renoncé à son programme nucléaire (militaire). A la Mongolie qui s’est déclarée zone dénucléarisée, par un vote à l’Assemblée Nationale. Au Bhoutan qui a conservé intact son puit de carbone, grâce à sa Constitution qui oblige le pays à consacrer 60 % de la superficie du territoire aux forêts. A l’Equateur dont le gouvernement était disposé, moyennant compensations financières, à surseoir à tout extractivisme (le parc Yasuni). Ou encore au Népal ou à la Bolivie qui ont inscrit le principe de souveraineté alimentaire dans leur Constitution. Au Cambodge qui a inséré l’interdiction d’accueillir sur son sol la présence de bases militaires étrangères.
Dans ce ‘monde qui ne sera plus comme avant’, va falloir prôner de sacrées reconversions ou assumer toutes les conséquences de l’adieu au multilatéralisme.
B.C. février 2023