Une période de clashs à la fois social et environnemental coïncide avec une période de réflexion sur la sécurité. Les dimensions militaire et policière de la sécurité ; les mesures sociales qui représentent un facteur de sécurité, au sens large.
Chercher à la fois à diviser par deux le chômage en cinq ans et les émissions de gaz à effet serre en dix ans est louable. Mais quoi qu'on projette comme programme, on ne peut faire abstraction des conflits qui rôdent. La question des armes, une question occultée durant les trente glorieuses, est à l'ordre du jour. On peut difficilement parler de sécurité sans se référer aux conflits, à la guerre. D'ailleurs, les économistes s'y mettent, à leur manière. Christian Saint-Etienne évoquait récemment (dans 'Les Echos') un choc stratégique total équivalent à un effort de guerre en expliquant pourquoi les entreprises seraient bien inspirées d'allouer 40 % des budgets de formation aux plus de 40 ans.
Dépenses publiques, gaspillage et détournement
La sécurité se pense aussi de plus en plus en fonction d'une élite qui ne semble pas vouloir toucher aux dépenses publiques que sont les dépenses militaires, soit 32 milliards d'euros par an. Une élite qui ne sera pas sanctionnée, ni congédiée alors qu'elle vit au-dessus de ses moyens militaires. Une classe qui mise sur la privatisation de tous les services publics, y compris le secteur de la sécurité. Pas pour racheter le programme nucléaire nord-coréen par exemple, mais pour permettre de spéculer sur l'Apocalypse et confirmer l'interpénétration des économies militaires et civiles, comme dirait Pierre Naville. Ce faisant, et ce depuis la fin de la guerre froide, ces maîtres tentent d'invoquer, dénicher de nouveaux ennemis. Y compris les ennemis imaginaires brandis à intervalles réguliers pour détourner l'attention des démunis, ce que George Orwell avait très bien décrit. Comme l'écrivit Galbraith dans La Paix Indésirable ? Rapport sur l'utilité des guerres, un document que tout polémologue a cogité, L'existence d'une menace extérieure à laquelle il est ajouté foi est, par conséquent, essentielle à la cohésion sociale aussi bien qu'à l'acceptation d'une autorité politique ( éditions Calmann-Lévy, Paris, 1968). Ces ennemis, y compris ces 'classes dangereuses', sont, pour le pouvoir, très utiles à plus d'un titre. C'est utile pour justifier les dépenses dites 'incompressibles' (les milliards pour les 'intérêts supérieurs de la Nation')
C'est utile pour écouler un certain nombre de productions - cela correspond à la volonté des fabricants, y compris les drones qui ne sont pas destinés uniquement au théâtre d'opération afghan. Cela permet par la même occasion de contraindre une partie de la population – à qui l'on refuse le droit de vivre en paix - à survivre dans une situation permanente de vulnérabilité, de sursis. C'est utile aussi et surtout pour dénaturer les activités militaires en les assimilant à des opérations de pacification policière.
La confusion des genres
Cette confusion des genres entre police et armée, au nom des défis sécuritaires, est redoutable. L'ennemi terroriste post-11-septembre-2001 a accéléré le mouvement. On l'a vu en Italie où le gouvernement a attribué aux militaires des fonctions et un statut d'agent de sécurité publique. En France, au sein de la Royale (Marine), la vocation policière est mise en avant en raison des opérations de lutte anti-piratage. Mais ces rapprochements font grincer les militaires, y compris au sein de la gendarmerie. Est-ce anti-nature ? En tout cas, ils ne se reconnaissent pas dans cette logique, extrêmiste à leurs yeux, selon laquelle un ennemi ('la racaille') doit être mise hors d'état de nuire, éliminé, purement et simplement. Si le policier est formaté pour ce rôle là, les militaires se veulent moins simplistes, appelés' un jour à dealer avec leurs adversaires ; ils se doutent bien qu'ils devront bien en Afghanistan ou ailleurs, (avec ou sans Conventions de Genève) négocier avec l'ennemi.
Les militaires au secours du social ?
Pour éviter cette confusion des genres prônée par Sarkozy, l'assimilation des militaires aux forces du maintien de l'ordre interne et du quadrillage du territoire, des démarches politiques sont en cours. Des appels en faveur d'un fonds social – en faveur d'une sécurité disons 'sociale' – commencent à se faire entendre. D'où viennent ces appels ? Non pas des partis politiques pour qui le sujet est tabou ; ni des syndicats. D'ailleurs, dans les manifs rares sont les mots d'ordre pour un transfert des dépenses militaires vers les budgets sociaux. Les mises en garde proviennent de certains citoyens sous l'uniforme, des hauts gradés au sein des forces armées elles-mêmes. Ces officiers vont plaider en faveur d'une redistribution des richesses, une autre répartition des ressources. Non pas au nom de quelque idéologie, mais tout simplement au nom de la sécurité. Eh oui. Cela ne cadre pas vraiment avec les clichés des écologistes qui ne voient dans un galonné qu'un 'brute en marche'. Les hystériques invoqueront le voyage discret de De Gaulle en mai 68 à Baden-Baden pour discuter avec des généraux réputés pour leur 'savoir' en matière de 'pacification'.
Les sceptiques feront valoir que les militaires ne sont pas plus vertueux que d'autres catégories professionnelles. D'accord. Mais circonstance aggravante : ils n'ont pas du tout été entraînés pour détecter en chaque spéculateur un terroriste potentiel, ni habilités à cibler les installations bancaires, même pas celles qui portent atteinte aux intérêts supérieurs de la nation. D'un autre côté, ces gars sous l'uniforme ne sont pas (non plus) formés pour mater des guérillas urbaines dans les périphéries des grandes agglomérations. Ils n'ont pas vocation à en découdre, tirer dans le tas, dégainer leurs armes sur des foules désarmées manifestant leur ras-le-bol. Parce que les années 30 sont dans le rétroviseur de chacun, tout citoyen européen est conscient que la sécurité non maîtrisée aboutit à des tragédies, avec son lot d'émeutes et de bains de sang. Et demain ? Dans le chaos de la mondialisation, la conjugaison d'armées privatisées, de maffias légalisées et d'Etats en faillite. L'Europe fera-t-elle bande à part ? Sera-t-elle préservée de ces scenarii ? Rien n'est moins sûr.
Face au processus de désintégration, de décomposition sociale en cours, les mêmes fantômes ressurgissent, les mêmes questions reviennent. Quel type de sécurité, autre qu'une version militaire/militarisée peut-on concevoir et mettre en place ? Pour l'instant, les priorités ne permettent pas d'imaginer des lendemains qui chantent. Certains chiffres peuvent illustrer ces propos. Lors de la crise financière, de gros moyens en milliards ont été mobilisés pour le sauvetage de banques en faillite. Au même moment, quelques 27 millions d'euros (seulement) ont été débloqués par la Commission de Bruxelles pour célébrer l'année 2010, année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
BC, Juin 2010