En un mot comme en cent, l’armement nucléaire, ‘c’est mort’ comme disent les jeunes d’aujourd’hui. C’’est mort’, parce que la configuration mondiale (la bipolarité) ne se joue plus entre deux ‘Super Grands’ qui se tenaient par la barbichette, ce qu’Alain s’est évertué à transmettre dans des cénacles politiques de la ‘France Insoumise' par exemple, avec plus ou moins de réceptivité. ‘C’est mort’ peut-on dire non seulement parce que les fantasmes de cataclysme via Hiroshima et Nagasaki se sont estompés au même titre que la fin du monde prévue pour le 21 décembre 2012
Non seulement parce que les mégatonnes accumulées ne remplissent pas leur rôle d’instrument de stabilité internationale au sein du Conseil de Sécurité (ou plutôt d’Insécurité) de l’ONU.
Non seulement parce que l’abandon de la conscription chez nous (imposée par Chirac) a flingué le dernier symbole de la légitimité démocratique avec un troufion embarqué dans chaque SNLE (Alain tient à ce symbole, même si ce pourrait être une légende). Mais au-delà de ces arguments, une raison domine toutes les autres : les puissants s’arment d’abord et avant tout contre d’éventuels soulèvements de populations en raison des inégalités sociales croissantes. Bref, pour parvenir à exercer leur domination, les puissants n’ont plus besoin de recourir à l’arme nucléaire. Dans le cadre de ‘la répartition internationale de la menace de mort’, une expression typiquement joxienne que je voudrais m’approprier sans copyright, ils disposent d’autres moyens pour procéder aux massacres ciblés , au génocide sélectif, un savoir-faire qui viole le droit international. D’ailleurs, la répartition internationale de cette menace prend une résonance singulière avec le coronavirus.
L’armement nucléaire, n’en déplaisent aux conseillers du Prince dont Bruno Tertrais, est aussi inutile et obsolète que l’arbalète ou les gaz de combat. Ce moyen criminel peut donc être rangé au vestiaire de l’histoire pour des raisons à la fois éthiques et militaires. A l’instar de l’économiste Bernard Maris pour qui l’argent a été inventé pour ne pas regarder les hommes droit dans les yeux, Alain Joxe ne serait pas loin de dire quelque chose comme ‘la bombe a été inventée pour que les terrorisés ne parviennent plus à penser les fondements de la stratégie’.
"Pour instaurer la paix, il faut inventer un nouveau machiavélisme qui n’ait pas sa source dans le Prince, mais dans le peuple"écrit-il.
La défense sera sociale ou ne sera pas
La guerre n’est plus ce qu’elle était…et la classe dominante ici se moque comme de l’an quarante (en effet !) de la défense du territoire. Aussi, pour répondre aux besoins de sécurité et de souveraineté, il est temps de restituer au soldat la raison d’être d’un sacrifice, conduire les forces armées à visualiser les banques en tant que menaces de mort pour les nations et évaluer ces activités criminelles qui méritent une contre-mesure appropriée. Quitte à changer nos fusils d’épaule. Cela doit aussi se faire au niveau européen et Alain (un champion des formules-choc) écrit en 2018 : ‘il faut inventer l’européanisation comme on a inventé la nationalisation’ .
Lorsqu’Alain relate ses conversations dans les salles d’attente de l’hôpital, avec des anonymes abîmés par la vie qui se réfèrent à Thomas Piketty en maudissant la rentabilisation des lieux de soins, il ajoute : Macron l’arrogant n’a toujours pas compris que le peuple a tout compris . Quant à sa démarche dans la ville, au service des SDF du quartier auprès desquels il va animer des conférences sur la marche infernale du monde, cela me rappelle l’esprit de Paul Virilio. Ce philosophe de la vitesse, qui m’expliquait qu’une opération militaire est une opération de police à une autre vitesse (cf. Vitesse et Politique’) fut un complice de mon ex-prof. Dès le début des années 80, avec le père Patrick Giros (1939-2002) de l’église Saint-Leu, Virilio effectue des tournées-rues pour repérer les sans-abris, les sans-logis ; et, en 1993, cet urbaniste de formation lance un concours sur les balises urbaines. L’anecdote n’en est pas une car Paul Virilio fut l’un des membres fondateurs du CIRPES.
Cette idée selon laquelle l’enjeu dominant de la sécurité renvoie aux questions sociales est essentiel pour n’importe quel peuple qui refuse l’asservissement par des forces destructrices que sont désormais les puissances financières. Elle est déjà présente dans Le Rempart Social sorti en 1979. Un chef d’œuvre du genre, une révélation pour beaucoup d’entre nous et même parmi ceux qui trouvaient le livre difficile à lire. Elle s’impose encore davantage alors même qu’une certaine économie surclasse la force des armes dans l’évaluation de la puissance d’une nation.
Défense sociale et Casques Rouges
A force d’assister, dans le cadre du ‘néo-libéralisme de guerre’ aux soubresauts pathétiques d’un ‘ministère des Armées’ (sic) qui assure la rentabilité des produits déterminés par la DGA (Direction Générale de l’Armement) plutôt que d’assurer la protection de ceux qui méritent d’être défendus, nous sommes parvenus, ensemble, à dessiner les contours d’une autre institution en charge de la défense, sociale et solidaire. Hormis des casques bleus pour le maintien du peace building et peace keeping d’une ONU en sursis car reflétant les rapports de force de 1945, nous voudrions concrétiser les projets de ‘casques verts’ (dans les cartons depuis les années 90) pour assumer des fonctions de sécurité environnementale. Last but not least, pour prendre en charge la sécurité sociétale, la ‘sociale verdediging’ comme on dit en néerlandais, (une expression qu’Alain J. prononce correctement et sans accent), il serait vital de mettre en place des détachements de casques rouges. Au risque de se répéter, il insiste sur le fait qu’une défense sociale représente la seule alternative à la défense actuelle menée par des spécialistes de la répression, qui plus est, au profit de banques dénationalisées.
A force de dénoncer l’oligarchie financière, à force d’imaginer comment restaurer une économie au service des peuples, Alain Joxe avoue parfois avec un sourire entendu ne pas vouloir s’extraire, ne pas vouloir quitter la salle de projection tandis que les bobines continuent de tourner …
B.C.
Extrait du Cahier du GIPRI n°10 – 2020, intitulé 'Regards croisés sur Alain Joxe', édition l’Harmattan