Le PC, depuis le début, s’est déclaré contre l’arme nucléaire, organisant d’ailleurs avec le Mouvement de la Paix ou sous sa couverture, de grandes manifestations contre l’armement atomique de la France. La force de frappe était jugée ‘ruineuse, inutile et dangereuse’ : c’était les trois qualificatifs que l’on retrouvait dans tous les textes officiels du Parti sur cette question.
Quant au premier indice d’un léger fléchissement, il se détecte lors de la rédaction du Programme Commun de 1972 : les socialistes imposent alors l’expression ‘renonciation’ alors que les communistes avaient proposé l’expression ‘destruction de la force de frappe’. Dès avril 1976, le député communiste chargé des questions militaires, Louis Baillot, reconnaît publiquement que la force nucléaire française est un fait dont il serait impossible de ne pas tenir compte (...) Puis arrive le Rapport Kanapa présenté le 11 mai 1977 par son auteur, Jean Kanapa devant le comité central, et intitulé ‘Défense nationale, indépendance, paix et désarmement’ (…)
Extraits du rapport Kanapa
‘Nous communistes, nous sommes des partisans résolus du désarmement. Comment pourrait-il en être autrement ? (…) Nous partons simplement d’une situation donnée, que nous n’avons pas voulue, mais que nous ne pouvons pas ne pas prendre en compte : aujourd’hui, pour ce qui est de la France, cet armement nucléaire est un fait. Aujourd’hui, il représente le seul moyen de dissuasion réel dont disposera pour un temps notre pays pour faire face à une menace d’agression, pour neutraliser un éventuel chantage nucléaire de l’impérialisme.
Nous excluons catégoriquement que la France démocratique poursuive la course aux armements nucléaires toujours plus perfectionnés, plus nombreux, plus meurtriers. Nous nous prononçons strictement – dans l‘état actuel de la défense nationale et étant donné l’absence d’un système de sécurité collective en Europe – pour la maintenance de l’arme nucléaire, c’est à dire pour le maintien de l’aptitude opérationnelle de l’arme nucléaire (ce qui implique son entretien et l’inclusion des progrès scientifiques et techniques) au niveau quantitatif défini par les seules exigences de la sécurité et de l’indépendance du pays. (…)’
Comment voulez-vous que ce qu’on a appelé un ‘virage à 180°’ du PCF ne suscite pas de réactions ? … Lorsque Georges Marchais annonce, au cours d’une émission télévisée, que les communistes sont désormais ‘pour’ la bombe, cette déclaration va susciter des remous au sein du Parti. Outre l’hostilité de certains communistes quant à la manière dont la décision fut prise, y a t-il eu un débat sur le fond ? La question a été posée à Yvonne Quilès (qui démissionnera du Journal ‘France Nouvelle’ en mars 1979) dans le numéro 46 d’Alternatives Non Violentes (ANV) du 6 juillet 1982 et qui avait pour titre : La Gauche nucléaire - comment le PC et le PS se sont ralliés à l'arme atomique'. Y. Quilès explique : Le débat de fond, portant sur les problèmes que pose la défense nationale a été très peu abordé. Quelques-uns ont repris les arguments ‘classiques’ du parti, à savoir que la force nucléaire tait trop chère, inutile, dangereuse, etc. Mais cette argumentation était un peu courte.
Il y avait (alors) une méconnaissance du dossier nucléaire, des problèmes de défense dans leur ensemble. C’est d’ailleurs précisément parce que les militants sont sous-informés sur ce sujet comme sur d’autres que la direction (du parti) peut si facilement faire admettre ses changements de ligne !’
‘Au PS, ce n’était pas très différent. Personne n’a été motivé pour entreprendre une réflexion sur ces questions, exceptés précisément les partisans de l’arme nucléaire et notamment Charles Hernu, Jean-Pierre Chevènement et Pontillon. N’étant contrés par personne, se présentant comme les porte-paroles du ‘réalisme’, ils sont parvenus à faire prévaloir leurs thèses.
Personnellement, j’ai connu des communistes qui faisaient des déclarations enflammées contre la force de frappe et qui, après le rapport Kanapa de mai 1977, se sont mis à faire des discours tout aussi enflammés en faveur de ‘notre’ bombe ! Dès l’automne 1977, le virage du PC se traduit dans les sondages : la proportion des électeurs communistes hostiles à la force de frappe tombe de 66% en mai à 52% en septembre, tandis que la proportion des ‘pour’ passe de 15 à 37%. ( !)
Plus une position politique est privée de base théorique, plus elle ressemble à une auberge espagnole.
Si l’on prend un peu de recul historique, il est intéressant de constater que le parti tend toujours à revenir vers les grands thèmes de la ‘paix’ et du ‘désarmement’ chaque fois qu’il connaît des difficultés internes.
Les motifs du revirement ?
'L’explication est difficile. On ne peut faire que des hypothèses. Etait-ce pour battre le parti socialiste sur son propre terrain ? Le devancer dans une décision dont on savait bien qu’il allait la prendre lui aussi ? En devançant les socialistes, le PC se donne à bon compte le rôle de donneur de leçons : c’est le PS qui se rallierait à sa position et non l’inverse ! Mais c’est une réponse insatisfaisante. Etait-ce pour faire plaisir à Moscou ? Certainement non : le Kremlin ne pouvait nullement se réjouir de cette évolution du PCF. (…) Se déclarer ‘pour’ la bombe, c’était permettre à un futur parti de gouvernement d’apparaître plus crédible, plus sérieux, compte tenu de l’environnement international, de la place de la France dans le monde’, etc. D’ailleurs, il faut bien reconnaître que certains représentants de la tendance eurocommuniste – exclus depuis – furent parmi les avocats du ralliement à la bombe, dont par exemple Jean Ellenstein. Il faut savoir, par ailleurs, que Jean Kanapa, durant les dernières années de sa vie, a effectué un travail considérable auprès de Georges Marchais et de son état-major pour entraîner le PCF à se démarquer des positions soviétiques. Pour lui, le ralliement à la force de frappe faisait partie d’un plan d’ensemble visant à développer l’indépendance du PCF à l’égard de l’URSS. Il en était venu à penser, en effet, que le meilleur moyen de sortir le parti de son isolement était de prendre ses distances vis-à-vis de Moscou. En somme, il s’agissait davantage de tactiques internes du Parti que d’option stratégique pour la défense du pays à long terme…
Entretien (avec Yvonne Quilès) réalisé par Jacques Sémelin et Christian Mellon.
B.C. En hommage à Louis Aminot