Aujourd'hui, quand on veut aller sur la lune, il ne suffit plus d'être poète, il faut être astronome.
Quelle vision de la défense pour 2025 ? En nous écartant de la thèse selon laquelle la guerre est un régulateur à la crise, on pourrait se demander comment le désarmement peut s'inscrire dans une politique progressiste.
"Je te tiens, tu me tiens par la barbichette"
Pendant longtemps, on a dit et répété 'ne désarmons pas tant que l'impérialisme yankee ne désarme pas. 'On veut bien désarmer mais les conditions (objectives) ne sont pas réunies pour ... 'On voudrait bien mais...' Car il y a toujours un 'mais' qui s'appelle rapport de force(s), qui s'appelle opportunité....Comme dirait JL Mélenchon ..."on ne va entrer dans un processus de désarmement ....à partir du moment où ...' Je n'invente rien. Je cite un entretien accordé au magazine 'Planète Paix' avant les présidentielles, Mélenchon déclare : Notre programme se prononce pour un désarmement nucléaire multilatéral. Au fur et à mesure de la réduction des arsenaux, notamment des Etats-Unis et de la Russie, la France réduira le nombre de têtes nucléaires, en conformité avec le principe de la réciprocité (à souligner) qui guidera notre action. En l'état actuel, il ne serait pas raisonné d'entamer un désarmement unilatéral, et la dissuasion demeurera donc un élément essentiel de la stratégie de protection de la France (*).
Des initiatives unilatérales, çà existe ?
Oui, cela se pratique, dans certaines circonstances et quel que soit le régime, quelle que soit la couleur politique de l'adepte momentané de l'unilatéralisme. L'histoire du désarmement, même de l'arms control (maîtrise de l'armement du temps de la Guerre Froide, diplomatie atomique menée en tandem par les deux poids lourds du Conseil de l'Insécurité) est séquencée par des initiatives unilatérales. Prenons Gorbatchev : le retrait d'armes nucléaires tactiques en Europe de l'Est, c'est lui et sans contrepartie d'ailleurs.
Prenons la France :
C'est de façon unilatérale que le président Chirac a décidé de mettre la clef sous la porte du plateau d'Albion, de faire démonter les missiles SSBS qui y avaient été enterrés...et sans attendre un geste de réciprocité de qui que ce soit. Pareil pour les missiles Hadès : sans contrepartie ; si ce n'est celui de se faire remercier par les Allemands qui ne voulaient pas se les prendre sur la figure.
Concernant les essais nucléaires, Chirac a décidé un beau matin de fermer les sites, ce qu'il n'était pas obligé de faire puisque les autres puissances nucléaires ne l'ont pas fait. Aujourd'hui, ce geste u-ni-la-té-ral est critiqué et certains se plaignent ou se sont plaints que l'initiative ne soit pas réversible puisque les Chinois n'ont pas fermé Lop Nor, Washington n'a pas fermé son site du Nevada et les Russes disposent de Novaya Zemlya.
On peut déplorer qu'un stratège ne sache pas monnayer son désarmement, mais bon, tels sont les faits.
2) Une autre vision de l'économie
- Passer d'une économie militarisée à autre chose ne sera pas un long fleuve tranquille. Il s'agirait de sortir d'un certain modèle de développement, ce qu'on appelle outre-Atlantique le Keynesianisme militaire. On arrêterait le productivisme militaire, on arrêterait de concevoir des nouvelles générations de missiles. Imaginer autre chose que la guerre comme recours à notre portée pour réduire la disproportion entre la croissance démographique et les limites des ressources disponibles. Pour l'instant, le remède, on le connaît, on l'a vu à l'œuvre, disons, avec les recettes un peu classiques : faire de la place, vider les stocks, épurer les arsenaux, mettre les travailleurs au pas et puis après avoir pratiqué la destruction à grande échelle, faire remarcher la planche à billets, nourrir les survivants, tendre vers la croissance, une croissance qui sera nécessaire, à défaut d'être 'glorieuse' comme durant les trente années de l'après-guerre (39-45). Signe des temps : le Livre Blanc évoque le concept de 'guerres obligatoires' ....
3. Perception nouvelle
La bombe est en quelque sorte l'illusion de la puissance. La bombe n'est plus un atout, la bombe est un fardeau. Une puissance moyenne comme la France – qui a de la peine à se hisser à la hauteur de ses ambitions stratégiques, et bien, elle s'épuise. Les écolos parlent beaucoup de l'épuisement des ressources. Ici, il s'agit de l'épuisement de la puissance France. A partir d'une autre perception, il sera possible de voir qu'il n'y a aucune faiblesse dans le fait de se priver d'un atout qui n'en est pas un.
1. Tout d'abord, et quoi qu'en pense mon ami Jacques Fath, les armes nucléaires en veille produisent des victimes. Ironie de l'histoire, les principales victimes se comptent dans son propre camp et non dans le camp adverse. La bombe A ou H, arme de destruction de masse, (ADM) ou (plutôt) arme de destruction sociale, (ADS), fait plus de torts et de dégâts au sein de l'Etat qui la détient qu'au terrifiant ennemi qui est destiné à être puni et décapité pour avoir osé porter atteinte aux intérêts vitaux du premier. Faut reconnaître que pour une arme, c'est moins attractif quand on sait qu'elle provoque le contraire de ce qu'elle est supposée provoquer. Que la force de frappe ...frappe ailleurs, et que le frappeur est pris à son propre piège destructeur ! C'est le tampon de l'absurde, c'est la marque de l'impuissance. Comme dirait la SNCF 'un train peut en cacher un autre '...
2 - Prenons un exemple pour illustrer combien la bombe non seulement nous encombre, mais nous plombe : Israël. Une puissance nucléaire. Plus exactement : une caricature de puissance nucléaire de notre époque. Israël dispose de missiles (Jéricho grâce à la compassion de socialistes de la IVème République), on en compterait 200, des sous-marins lanceurs de toutes sortes d'engins...Israël consacré à son budget militaire plus de 6 % du PNB. Mais c'est aussi un Etat incapable de faire face à une petite menace comme un incendie de forêt car il n'a pas prévu de se doter de Canadairs et ne dispose que de 1200 pompiers, les autres militaires étant mobilisés pour mater du Palestinien !
Voilà. Je voudrais finir en disant qu'il y a du pain sur la planche...pour faire avancer ces idées, pour démystifier la bombe. Les travaillistes britanniques – ce ne sont pas des gauchistes – ont entrepris une partie de ce travail dès les années 80. Une étude sur le thème comment la Grande-Bretagne pourrait se défendre sans la bombe a été menée. Elle a été publiée avec des scenarios, des estimations chiffrées, des considérations politiques par rapport à l'OTAN, etc.
Nous, Yes we can, on peut le faire aussi. On devrait le faire. Pour que tout le monde s'approprie ce débat, évidemment. Pour qu'on puisse débattre, donc au préalable apprécier, évaluer les coûts et les désavantages de l'arsenal français et de ses retombées.
Pour effectuer un travail de la sorte, rien ne devrait nous interdire de disposer d'un think tank – excusez l'anglicisme ! - enfin une boîte à idées, un réservoir de cerveaux ....un centre de réflexion pour faire de la prospective, pour 'déplacer les curseurs', comme on dit en langage informatique, pour montrer ou démontrer jusqu'à quel point la bombe est une illusion de puissance.
B.C. Intervention du 24 août 2013, Grenoble – Estivales FG
(*) Non, Mélenchon n'a pas le monopole de cette posture. Eva Joly déclarait le 30 juin 2011 sur les ondes de France Inter : 'Pas de sortie unilatérale de la dissuasion nucléaire'.