Stratèges atterrés

La France face à l'option zéro

globalzeroAu lendemain de l'accord Start II signé par les présidents Obama et Medvedev, la France a fait mine d'applaudir. Mais le cœur n'y est pas. Même si nous sommes à la veille de la conférence d'examen du Traité de non-prolifération (TNP). Même si le traité est en sursis.

Dans un monde aussi "dangereux", le président Nicolas Sarkozy ne veut pas rêver (Le Monde du 12 avril 2010) à un monde sans armes nucléaires. 

La tribune d'octobre 2009 rédigée par "la bande des quatre" ("Pour un désarmement nucléaire mondial...", par Alain Juppé, Michel Rocard, le général Norlain et Alain Richard, dans Le Monde du 15 octobre 2009) et l'appel d'une centaine de personnalités, dont une dizaine d'eurodéputés, relayé par L'Humanité du 26 janvier et Politis, n'ont pas ébranlé quelques certitudes, ni au Quai d'Orsay, ni à l'Elysée.

Primo, la France considère qu'elle n'a pas à rougir de son action. Elle estime avoir initié ce mouvement en faveur d'une "zone de basse pression militaire" (voir le rapport d'information du sénateur Jean-Pierre Chevènement intitulé "Désarmement, non-prolifération nucléaires, sécurité de la France", pp. 9 et 55).

Secundo, sa fermeté dans l'affaire iranienne démontre aux autres membres officiels du club atomique que la meilleure manière de contrer les "accros" à l'uranium enrichi consiste à réduire tout exhibitionnisme nucléaire et qu'une dévaluation du nucléaire militaire est la condition sine qua non pour entrouvrir les portes du marché du nucléaire civil, en évitant la confusion des genres.

Tertio, bien que la France affiche avec panache que l'emploi en premier de l'arme nucléaire est un must pour défendre ses "intérêts vitaux", elle entend se ranger dans le camp des anti-proliférateurs. Mieux encore, elle se range aux côtés du président Barack Obama pour contrer par exemple tout retrait des armes nucléaires tactiques d'Europe occidentale. Elle le fait avec d'autant plus de détermination que tout retrait est vécu comme le pire des scénarios : les Russes voudront prendre en compte, au titre de l'OTAN, la composante aéroportée de la force nationale de dissuasion. Ce serait le début d'un engrenage dans les négociations internationales du désarmement que Paris veut s'éviter. Quitte à compromettre tout débat sérieux sur l'avenir de la défense et la sécurité européennes ; quitte à contrarier les préoccupations des alliés (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Allemagne et Norvège) qui se font les porte-parole de leurs opinions publiques.

Ce faisant, la France occulte aussi le fait que les conditions de stockage de ces bombes (entre 250 et 480) n'ont rien à envier aux critères de sécurité (réelles ou supposées) en vigueur au Pakistan. Mais c'est, croit-on à Paris, le prix à payer pour peser dans ce débat, au risque d'apparaître plus "otaniste" que les voisins. Mieux encore, Paris compte démontrer que la vertu de l'exemple ne fonctionne pas dans la diplomatie atomique ; que la "stricte suffisance" à 300 têtes nucléaires n'est pas négociable ; qu'il s'agit là d'un principe que les idéologues de l'abolitionnisme (et le courant pacifiste autour de l'option zéro) vont devoir prendre en compte.

Tandis qu'un consensus se dessine parmi les experts pour dire qu'un monde sans armes nucléaire serait sans doute plus dangereux que le monde d'aujourd'hui (voir notamment Bruno Tertrais, dans la note n° 09/09 de la Fondation de Recherche Stratégique), la question du désarmement nucléaire revient sur le devant de la scène publique. C'est dans l'air du temps. Cela risque de ne pas se dissiper de sitôt. On peut prévoir que le sujet fasse l'objet d'un débat public avant la présidentielle de 2012, qu'il pèsera dans le choix des citoyens amenés à choisir leur candidat aussi en fonction de ces enjeux.

En avril 2010, le journal télévisé de France 2 a tenté de sonder les téléspectateurs pour savoir si la disparition de la bombe atomique dans le monde leur paraissait possible (avis de 7 400 personnes rendus publics le 7 avril). D'autres questions plus appropriées seront formulés au fil des jours. Après tout, nous Français qui représentons 1 % de la population mondiale et qui vivons sur 1 % du territoire mondial, quel rôle pouvons-nous jouer avec un arsenal qui constitue au bas mot 2 ou 4 % du potentiel nucléaire mondial ? Celui de modérateur, de frein ou d'avant-garde ?

Point de vue Le Monde, 6 mai 2010