Stratèges atterrés

La forêt que cache l'arbre des munitions nucléaires


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A force de considérer que le nucléaire (en tout cas sa version militaire) représente le critère déterminant pour distinguer les’ bons’ et les ‘méchants’, les brebis et les loups, les capacités mortifères des Etats dépourvus de l’arme suprême sont sous-estimées. Au mépris de la complexité et la diversité des nations et des peuples.

En tout cas, la géographie et l’histoire de la destruction ne nous permettent pas de conférer à une seule et unique catégorie d’armement le privilège de tous les maux et de tous les malheurs. Dit autrement, si l’on songe à tous les litiges capables d’avoir un impact dramatique sur la survie de la planète et sa biosphère, ceux-ci ne se limitent pas à la détonation d’une ogive, fut-elle américaine, japonaise ou nord-coréenne. La militarisation ne se résume pas à sa dimension nucléaire. Attirer l’attention sur les risques inhérents à l’armement nucléaire, ne devrait autoriser personne à déserter les autres fronts du désarmement. D’autant plus que ces fronts ne sont pas si éloignés.
La réalité géopolitique contrarie toute démarcation schématique entre le classique et le nucléaire. Les zones géographiques où sévit une forme de prolifération nucléaire (horizontale) sont aussi des zones caractérisées par un boom dans le domaine de l’armement classique. Ce qui s’explique puisque nul dirigeant d’un Etat détenteur de la bombe n’a renoncé à sa quincaillerie classique (ou conventionnelle) ! Les Européens sont bien placés pour le savoir : si des initiatives multilatérales en faveur du retrait de certaines catégories de bombes et leur rapatriement ont rythmé la diplomatie atomique pendant des décennies, le désarmement prévu par le Traité INF sur les euromissiles a déraillé avec la conversion de munitions nucléaires (pour les missiles de croisière) en munitions classiques.
Les dépenses consacrées à l’armement conventionnel étaient et sont encore deux fois et demi plus importantes que celles investies dans les dispositifs nucléaires. C’est vrai aussi aux Etats-Unis, indépendamment du fait que l’administration Obama ait réduit son stock d’armes nucléaires de 1.255 (par rapport à l’administration précédente), soit une quantité qui dépasse le stock des arsenaux des autres Etats nucléaires exceptée la Russie ( ).
En matière de doctrine, on s’aperçoit que l’armement nucléaire n’a pas supplanté la quincaillerie classique. Au contraire. Dans la doctrine du Royaume-Uni, telle qu’elle figure dans le dernier Livre Blanc, les forces nucléaires sont conçues pour pallier à la déficience des forces classiques ; les munitions nucléaires viendraient en complément au cas où les forces britanniques classiques (aux Malouines comme ailleurs) ne parviendraient pas à faire le poids.

Avec ou sans nucléaire, la mondialisation n’a pas épuisé les conflits régionaux les plus classiques. Plus d’un milliard d’individus sont affectés par des conflits armés qui touchent 11 % de la superficie de la planète. Parmi les 122 Etats qui ont approuvé le traité d’interdiction, du moins dans son principe, 20 d’entre eux disposent de budgets militaires qui dépassent les 4 % de leur PIB respectif ! Leur PIB est peut-être plus réduit que d’autres, mais cela démontre un état d’esprit et les priorités accordées par leurs classes dirigeantes respectives.
piledofguns1Si l’on prend comme point de départ le premier essai 'Trinity' du 16 juillet 1945 (avant Hiroshima), l’ère nucléaire qui coïncidera avec l’avènement de l’anthropocène (selon le Bulletin of Atomic Scientists, 2015, Vol. 71(3), pp. 46–57) ne nous a pas épargné des dizaines de millions de morts dans des carnages infra-nucléaires sous toutes les latitudes, dont la mort de 2 millions de Coréens dans les années 50, de 5,4 millions de Congolais entre 1998 et 2007 en RDC, sans oublier le génocide rwandais que nul n’aurait pu éviter en interdisant les machettes ou les kalachs. N’en déplaise à nos idées préconçues, les conflits internes font davantage de dégâts et victimes que les confits internationaux. Depuis 1900, beaucoup plus d’hommes et de femmes ont été tués par leur propre gouvernement que par des armées étrangères. Soixante quatre (64) pays ou territoires dans le monde sont contaminés par des mines ou des restes explosifs de guerre et parmi les plus touchés, la Colombie
A force de diaboliser l’arme nucléaire, nous risquons d’une part d’escamoter le pouvoir de destruction de toutes les autres. D’autre part, nous risquons de cautionner les arguments des adversaires les plus fûtés de cette abolition, ceux qui, comme Bruno Tertrais par exemple estiment, en se basant sur le Military Strength Index qu’un monde sans armes nucléaires serait sans doute plus dangereux que le monde d’aujourd’hui. Enfin, d'accorder davantage d'importance au 26 septembre déclarée Journée internationale pour l'élimination totale des armes nucléaires, qu'à la journée mondiale de la paix du 21 septembre...

B.C.