La mondialisation ou globalisation qui est surtout à dominante économique et qui a provoqué la mondialisation des indignés et des humiliés ne supprime pas l'ordre ancien de la guerre froide. Elle s'y superpose. La mondialisation avec laquelle on nous sermonne (et bassine) avec ou sans Davos et qui a mondialisé à la fois la pizza, le Iphone et la Kalachnikov) a pour caractéristique de n'avoir pas épuisé ou dissuadé les conflits régionaux les plus « classiques » (cf. Nicole Gnesotto) qui vont encore accélérer le désordre et la militarisation du monde. Parmi les hot spots, (dont les 41 conflits recensés) : la rivalité Inde-Pakistan, Taïwan, l'Iran (dont l'accès à l'atome pourrait remettre en cause le monopole nucléaire au Moyen-Orient), le conflit israélo-palestinien, l'Ukraine, le Kurdistan, etc...
Il serait donc un peu simpliste de caricaturer le paysage géopolitique dans lequel un « duopole post-guerre froide » entre Washington et Pékin, aurait (schématiquement) remplacé le monde bipolaire avec pour têtes d'affiches Washington et Moscou. Si le monde se complexifie en tant que « monde multipolaire », la description de l'arène internationale ne peut se permettre de faire l'impasse sur la nullité stratégique des artisans de l'espace européen, d'autant plus que c'est à partir de ce vide que se greffent les pathétiques tentatives de la part de la France d'épauler un « front occidental », à défaut d'accéder à un directoire occidental (chrétien ?) dans le cadre du clash (supposé) des civilisations.
S'il y a unification des marchés – y compris « le marché unique » avec pensée unique à l'échelle de 28 Etats du continent européen, - cette unification s'opère avec, en synchro, une fragmentation de la scène politico-militaire. C'est pourquoi l'importance accordée aux organismes internationaux mérite quelques bémols, même si leurs tâches et missions dans le domaine humanitaire sont louables à certains égards. A ce propos, faut-il encore tabler sur l'ONU comme un sauveur ? Elle est en pleine crise de légitimité, n'en déplaise à ce sanctuaire qu'est le 'P5' , ce club sélect du Conseil de la Sécurité (sic), sans parler de ces structures telles que le G8 (à géométrie variable) ou encore le G20, ce club de «nouveaux riches »(Bertrand Badie). On devrait plutôt s'étonner qu'en 2015, rares sont ceux qui remettent en question ces enceintes censées représenter la (une ?) légalité internationale, inspirée par de vieux « sages » qui se sont partagés « le monde » en 1945, c'est à dire il y a 70 ans ! N'y a-t-il pas lieu de réfuter les règles du jeu qu'elle érige pour 'tout le monde', que ce soit dans le domaine de la règlementation pour certains systèmes d'armes ou pour sanctionner telle ou telle politique ? N'y a-t-il pas urgence de dénoncer les sanctions économiques à l'encontre de La Havane de Téhéran, de Moscou, de PyongYang ?
Il incombe de revoir nos classiques, déboulonner nos prophètes et leurs disciples. Il serait opportun d'arrêter le « prêchi-prêcha » en faveur d'une ONU qui dicterait la bonne parole, le bien-pensant, la « ligne juste » et dans un même élan, cesser d'abreuver nos programmes alternatifs avec des incantations sur « une solution politique globale en travaillant avec l'ONU », que ce soit au Moyen-Orient ou ailleurs. Remettre l'ONU « face à ses responsabilités », comme on dit, c'est aussi revoir la hiérarchie des Etats-nations en fonction de leur potentiel de destruction. Quoi qu'on en dise dans les salons feutrés à New York et Genève, celui-ci ne se limite pas, ou en tout cas plus, (65 ans après l'Appel de Stockholm !) aux arsenaux nucléaires. Il serait plus judicieux d'établir une nouvelle constellation des puissances en insistant par exemple sur les premiers contributeurs mondiaux en termes d'émissions de CO2 (Etats-Unis et Chine) et/ou, parmi les BRICS, ceux qui réunissent la majorité de la couverture forestière du monde ; quitte à dégommer les prétentions des deux « puissances » euro-occidentales membres à part entière de l'OTAN, dont la France. D'autant plus que le privilège de membre permanent du Conseil de Sécurité est contesté. D'autant plus que les états-majors, en cure de désintoxication atomique, s'interrogent de plus en plus sur les vertus magiques de ce nucléaire que Paris traîne comme un boulet et qui lui est d'aucune utilité face à l'internationale sunniite.
La volonté de ne pas être entraînés dans des « clashs civilisationnels» (dixit Huntington*) doit aller de pair, pour Paris, avec un autre positionnement international, ce qui implique parmi les premières recettes, la fermeture de certaines bases militaires à l'étranger. Exemple : la base aux Emirats Arabes Unis, surnommée non sans humour « camp de la paix » à Abou Dhabi, une installation qui a précédé l'intervention en Libye. (Cette Libye du colonel Khadafi qui s'est fourvoyé en croyant à un Occident reconnaissant, une fois qu'il eût renoncé à ses ambitions nucléaires militaires). Certes, en guise de clarification, on peut faire un rapprochement entre les opérations meurtrières menées par des nostalgiques d'un califat et les démarches françaises pour figurer au hit-parade (3ème) des grands marchands d'armes dans le monde. Mais pour contrer la militarisation des esprits, et la prolifération de barbaries, il serait bienvenu d'afficher ici une stratégie défensive qui fasse table rase avec le passé, notre passé colonial.
Repenser l'anti-impérialisme exige (aussi) de se familiariser intelligemment avec la théo-stratégie (cf. Alain Joxe). Certes, les pays où le bouddhisme est la religion officielle n'ont pas dénoncé en son temps (1974) le nom de code 'Bouddha smiles' lorsque l'Inde d'Indira Gandhi vécut la première explosion atomique dans le désert du Rajasthan, mais il serait bienvenu de neutraliser cette ardeur mortifère qui nous revient et nous reviendra en boomerang (*). Ceci exige aussi et de façon un peu paradoxale, de prendre en compte le fait que l'Empire exerce désormais, à l'instar de l'U.E. (passée maître dans l'abstentionnisme stratégique), une certaine retenue (démission de puissance, évaluation de l'impuissance de la puissance ?) à faire usage de la force armée ; et ce au moment même où d'autres contrées, pour des motifs historiques évidents qui remontent à 1920, tentent de faire valoir la justesse de leur cause, justifient le recours aux terrorismes en tant que stratégie du faible au fort, dans un concert ou plutôt une cacophonie d'Etats en faillite ou en voie de décomposition avancée.
B.C.
(*)The West won the world not by the superiority of its ideas or values or religion but rather by its superiority in applying organized violence. Westerners often forget this fact, non-Westerners never do.