On s’accordera pour dire qu’une société qui ‘tient la route’ doit éviter de détruire de l’intérieur (chez nous) ce que ses supporters (pas forcément les plus représentatifs) s’efforcent de défendre vis-à-vis de l’extérieur. Un vieux dilemme d’une brûlante actualité : la guerre ….à quel prix ? Et qui paie l’ardoise ? Et comment ?
La défense peut être considérée comme un bien public dont la responsabilité relève à la fois des forces armées et de la société civile. Cette société civile, qu’on voudrait museler en flirtant dangereusement avec la logique du Patriot Act, pourrait investir son énergie (tout à fait renouvelable) pour mieux gérer le climat socio-politique d’un peuple qui a été ébranlé un certain vendredi 13 novembre.
Civiliser la défense
Emettre la moindre critique à l’encontre de notre dispositif sécuritaire est désormais aussi suspect que de s’afficher climato-sceptique. Depuis que des barbares (pour qui le pouvoir est au bout des ceintures explosives) ont démontré leur détermination à noyer dans le sang des amateurs de stades, bars, restaurants, concerts et salles de spectacle, l’antimilitarisme a perdu quelques plumes. Ce n’est pas dommage, c’est dramatique car il a fallu attendre le milieu du XIXème siècle pour que cette interrogation sur la guerre et la paix (autrefois le fait de quelques intellos isolés ou égarés) devienne une réflexion collective. (…) . Les pacifistes post-13 novembre pourraient brandir des panneaux style ‘pas d’amalgame’, mais à l’heure où les forces de l’ordre procèdent au tri sélectif des manifestants opposés à l’insécurité climatique, nul ne manifeste dans nos rues pour réclamer l’inversion de la courbe des ventes d’armes, la réduction du nombre d’ogives, la diminution de la vitesse des missiles…Il n’empêche, il est temps de penser et décliner la sécurité autrement.
Civiliser la défense est une option, non pas parce que les civils sont mieux armés que d’autres, mais parce que ces civils, assez naïfs pour avoir occulté les enjeux polémologiques de la COP21, désappropriés de leurs moyens de défense depuis l’avènement de la ‘force de frappe’ (qui a détourné le citoyen d’un certain esprit de résistance et atomisé la classe ouvrière), ont peut-être quelque chose à proposer ; dont une riposte flexible qui s’impose quand tout ‘se joue’ sur plusieurs fronts.
Défendre la démocratie en démocratisant la défense
Le commerce (non taxé) d’avions de combat ou/et le transfert technologique (illégal) de sous-marins ne profitent pas au plus grand nombre. Ces transactions portent atteinte à la sécurité économique et sociale des plus nécessiteux. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle nos excédents en matière d’exportations d’armes sur certains ‘théâtres d’opération’ (sic) n’ont aucune incidence sur ce qui se passe ici est plutôt discutable, contestable. Et si l’on se réfère aux propos de Barak Obama comme quoi ‘l’un de nos ennemis est le cynisme’, on peut se demander si les opérations menées au nom du peuple français sous certaines latitudes sont forcément associées à la défense de principes démocratiques. En donnant la parole à la fois à ceux qui polluent trop et ceux qui voudraient polluer davantage, on voit bien ce qui se cache derrière les dérèglements climatiques. Entre les lignes. Y a donc à matière à s’affranchir des vérités qui dérangent. Y a de quoi en France nouer un dialogue avec les neutres de notre continent même s’ils sont sommés, la crise ukrainienne aidant, de rejoindre l’OTAN (un club qui totalise 60 % des dépenses mondiales d’armement) pour redessiner une carte post-Yalta. Ceci permettra de rappeler que l’UE aligne avec ses 28 armées la 2ème plus grosse armée du monde, juste après celle de la Chine. Une belle façon de s’en prendre à cette pollution mentale qui consiste à croire et faire croire que la sécurité se mesure en nombre d’uniformes, en tonnes de munitions et en tonnes de C02 pour nos projections de forces. Avec les menaces terroristes sur le tableau de bord, laissons tomber les mauvaises fréquentations et les alliances de circonstance dont l’Empire du chaos s’est fait une spécialité durant 40 ans.
Les tragédies que Paris vient d’endurer sont l’occasion de revoir ou réviser à la baisse nos prétentions nucléaires militaires. Parce que sans vouloir condamner au chômage nos scientifiques et saper le moral des travailleurs des arsenaux, nos SNLE et nos Rafale ne dissuadent pas grand monde…Le complexe militaro-industriel pourrait essuyer quelques larmes en cas d’abandon, mais la nostalgie peut consoler : l’aventure qui fut menée dans le plus grand secret durant les années 50, si elle était à renouveler, serait quasiment impossible aujourd’hui.
Pour garantir une sécurité humaine qui intègre toutes les dimensions des insécurités, la COP21 représente un sacré atout. Certes, elle ne va pas ‘sauver le monde’, mais c’est tout de même l’un des rares forums où fait sens la corrélation entre l’insécurité énergétique, sociale, alimentaire et les autres formes d’insécurité.
Puisque la COP21 permet à certains de clamer que nos existences sont en danger, qu’il faudrait mener plusieurs guerres au nom de la sécurité, que la jeunesse mérite un avenir, inutile de revenir sur les bienfaits ou méfaits du service militaire. Son abandon fut une décision aussi absurde que celle qui consisterait à renoncer demain aux Restaus du Cœur en raison d’une croissance de la malnutrition dans le pays. Mais c’est le moment de relancer une idée qui traîne dans les cartons de la République, celle d’un service civique pour la jeunesse applicable à tous et à toutes.
Si les élus voulaient bien se soucier davantage des enjeux de guerre et de paix, sans attendre les décisions du ministère de l’enseignement, ou des inspecteurs d’académie, les notions de défense/protection de tout un chacun pourraient être insérées dans les manuels scolaires, y compris dans ces petits bouquins d’instruction civique de 3ème et de 4ème dans lesquels ne figure rien aujourd’hui concernant la ‘paix’ et ‘désarmement’ ; rien sur l’histoire de la non-violence ou encore les noms de la dizaine de Français qui se sont vus remettre le Prix Nobel de la Paix.