Un programme présidentiel qui ferait l’impasse sur les enjeux internationaux serait aussi dénué de sens qu’une maison sans fenêtres, qu’un cavalier sans monture.
S'il est normal et, bien sûr, nécessaire que les candidats à la présidence de la République formulent leur programme en matière économique et sociale, âge de la retraite, nombre de fonctionnaires, durée du travail, fiscalité, minima sociaux, il est assez surprenant qu'ils n’aient rien à dire ou presque sur ce qui est pourtant de la compétence exclusive et essentielle du Président en vertu de l'article 15 de la Constitution : ‘Le président de la République est le chef des armées’ .
Le futur chef des armées, devrait intégrer le fait que les questions de guerre et de paix ne peuvent se restreindre aux rapports de la France avec la Russie de Poutine, ou les rapports avec Berlin...le partenariat stratégique avec l'Australie, la politique à l'égard de l'Arctique avec un Groenland indépendant ....Pour ne pas se planter d’époque et pour ratisser au-delà de sa chapelle, le candidat 2017 serait bien avisé de suivre les conseils qui suivent :
Se méfier des chiffres : Il vaudrait mieux éviter de se focaliser sur le fait de savoir s’il est judicieux ou non de consacrer 2 % du PIB pour lancer à l’eau (à Toulon, Cherbourg ou Brest) de nouveaux SNA (Sous-marins Nucléaires d’Attaque à propulsion nucléaire pour ceux qui sont allergiques aux sigles) ou de nouveaux SNLE (Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins).
Se méfier des effets d’annonce. Tout candidat qui fantasme sur l’accès au ‘bouton’ (nucléaire) dans la salle Jupiter – parce que la France est le seul Etat de l’UE détenteur de ce pouvoir de destruction - devrait savoir que le poste de commandement (PC) nucléaire Jupiter situé sous l’hôtel de Brienne à Paris n’est plus opérationnel. Même si l’arme de destruction massive n’est pas considérée comme une arme de distraction massive. Ce PC sera bientôt ouvert au public.
Se méfier du débat sur l’identité. A une époque où la question de l’identité est une thématique très prisée, il serait historiquement opportun d’afficher une volonté de réduire la voilure nucléaire ; l’administration Obama y est parvenue, à sa manière : en l’espace de 10 ans, l’arsenal U.S. a été réduit de 1.255 têtes nucléaires, soit davantage que le total du nombre de têtes présentes dans les arsenaux britannique, chinois, indien, israélien, nord-coréen, pakistanais et …français. Il y a donc de quoi faire, une expertise à développer, pour détruire, neutraliser, démanteler, pas pour ...interdire), d'autant plus que notre ‘identité nationale’ ne se résume pas à notre identité nucléaire, ...Pakistanais et Nord-Coréens en conviendront.
Ne pas dissocier les questions militaro-militaires de la crise sociale. Entrevoir la sécurité d’une nation y compris par le biais du désarmement exige une révision des priorités d’engagement de nos forces qui n’a rien à voir avec ‘baisser les bras’ ; c’est d’abord exposer et expliquer en quoi le désarmement (et pas uniquement son volet nucléaire) correspond à un processus de transformation sociale. Une ville qui ambitionne d’inventer la ‘ville zéro SDF ‘ pourrait aussi innover avec des communes zéro terrains-de-manœuvres ou encore labelliser des institutions universitaires avec ‘zéro recherche militaire’.
Combattre l'illéttrisme stratégique
Tout prétendant à la fonction suprême devrait être en mesure de connaître le nombre respectif des SNLE et des SNA, et leur localisation, même si les favoris à la course de l’Elysée en 2007 n’avaient pas passé le test lors d’une confrontation sur le petit écran. De toute façon, ne pas dissocier les enjeux de défense à ceux de l’enseignement. Tout en rappelant qu'il vaut mieux ne pas ‘sanctuariser’ les dépenses militaires, promouvoir la mise sur pied d’une Agence de Lutte contre l’illettrisme stratégique. Cette institution à la fois civile et militaire serait chargée (parmi ces tâches) de tirer les enseignements des 17 nations qui, après avoir opté en faveur de l’aventure nucléaire militaire…, y ont renoncé, de gré ou de force, pour des raisons de politiques intérieure ou extérieure.
Mettre sur pied une Agence française du Désarmement. Trop cher ? Il y a de bonnes raisons de penser que procéder à la taxation des certains systèmes d’armes est plus facile et tout aussi légitime que la taxation (toujours reportée) des transactions financières. Disposer d’une telle Agence, rattachée à la fois au ministère de la Défense et celui de (la protection de) l’Environnement, n’est pas plus ridicule ou extravagant que d‘investir dans des cliniques et des hôpitaux pour mener une politique de santé. D'ailleurs, un ministère de la défense n'a pas vocation à faciliter des voyages exotiques de son patron pour qu'il goûte aux attraits du continent africain. La nouvelle institution serait (aussi) chargée de mobiliser les jeunes pour élaborer un projet de Service Civil International. (ou de 'service à la terre' au niveau du continent européen).
Proposer un enseignement de la paix – Même si le sujet est un peu tabou au sein du ‘patchwork H & M’ –, c’est rentable d’un point de vue électoral. C’est rentable d’un point de vue pédagogique. Pour le ‘branding d’une nation’, c’est sûrement mieux que de miser sur la Ville de Paris en tant qu'organisatrice des Jeux Olympiques de 2024. Si l’Inde peut se féliciter d’avoir introduit officiellement l’enseignement du yoga, la France pourrait se singulariser en instituant un enseignement de la sécurité via la paix.
Ecologiser la défense - Ne pas dissocier les enjeux militaires des enjeux environnementaux. Dans la mesure où le problème de l’énergie est inséparable de celui du gaspillage, il ne serait pas absurde de penser la défense en disposeant d’un Plan B en matière de désescalade militaire et de décroissance militaire. Comme d’un désengagement (chiffré) par rapport l’OTAN. Pour normaliser le poids de l’appareil militaire dans la vie politique et démilitariser la politique extérieure. C’est d’ailleurs ce que Gorbatchev a tenté pour l’URSS dès 1988.
Décider de ‘sortir du nucléaire’ civil, en plaidant pour le maintien d'un arsenal nucléaire militaire soutenable et durable présente le risque de s'illusionner 3 fois. Primo, en faisant croire qu'il suffit de fermer la porte d'un réacteur, tourner les talons et attendre patiemment le retour à l'herbe ; secundo, procéder à Bure à un tri très sélectif voire impossible techniquement, pour séparer les déchets issus des centrales et ceux provenant des installations militaires (dont le combustible usé des réacteurs qui propulsent les sous-marins). Tertio, sélectionner les travailleurs victimes du nucléaire qui seront indemnisés, en excluant ceux de la DCNS à Cherbourg qui travaillent pour les SNLE et ceux de la Direction des Applications Militaires du CEA à Valduc. Et quel traitement est prévu pour les victimes des expérimentations pas du tout civiles en Algérie (In Ekker et Reggane) et dans le Pacifique Sud ?
Ne pas dissocier les enjeux militaires des enjeux économiques. Promouvoir les bénéfices du désarmement ne passe pas forcément par l’organisation dans une station hivernale d’un Davos de la Paix (encore que …). Cela peut se traduire par la volonté d’associer des équipes et leur savoir-faire à des entreprises de démantèlement. Ces entreprises (elles existent ! ) représentent les chantiers du futur, au même titre que le secteur dépollution qui pourrait se charger de l’assainissement des bases militaires, ou encore du retrait des stocks de munitions chimiques dans l’Adriatique et la Baltique (par exemple)…
Parmi les autres chantiers du futur..., voir comment sanctionner les entreprises du complexe militaro-industriel, dans la mesure où l’empreinte écologique de leurs activités torpille tous les efforts de réduction des gaz à effet de serre.
Assurer une défense minimale pour tous, sur le modèle universel de la sécurité humaine ne relève pas de l’utopie. En tout cas, il serait temps de dessiner plus sérieusement et sans slogans racoleurs, les contours d’une politique de sécurité et de défense alternatives, qui dépasse le concept ringard de ‘sécurité collective’ de l’OTAN, qui actualise et positivise le concept de ‘sécurité commune’ définie en son temps par Olof Palme ; et qui pose les jalons d’une ‘éco-sécurité’ française ou européenne (au-delà des 27 de l’UE). Le développement de cette maquette originale devrait voir le jour en concertation avec le milieu associatif, impliqué à fond et à tous les étages dans les questions de sécurité climatique, de sécurité énergétique, de sécurité alimentaire, de solidarité….
Ce serait la façon la plus subtile de se démarquer par rapport à tous ces candidats qui pensent d’abord à la défense de leur poste au sein de leur famille politique, à la défense de leurs privilèges, de leur baratin, de leur égo.