L’Europe va-t-elle avoir ses ‘casques verts’ comme les Nations unies ont leurs ‘casques bleus’? C’est une question qui peut se poser à l’heure où les Européens sont contraints d’une façon ou d’une autre de revoir certains fondamentaux de leur sécurité. Pour cela, le concept de sécurité devra être élargi et les moyens accrus et adaptés.
Décliner la sécurité autrement
Sans recourir aux sept composantes (sécurités économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, communautaire, politique) de la ‘sécurité humaine’ telle que définie dans le rapport mondial sur le développement humain (PNUD, 1994), il apparaît opportun de dresser quelques pistes pour se doter de structures capables d’inventer des outils appropriés. En tenant compte du fait que la protection des humains ne pourra pas/plus être assurée uniquement par des forces armées, ne serait-ce que parce que la démarcation civil/militaire a perdu de sa pertinence (pour le meilleur et pour le pire).
Revaloriser la protection civile
La protection civile demeure le parent pauvre de la défense. A l’échelle nationale, il manque une structure équivalente au ministère russe pour la Défense civile, la Gestion des situations d'urgence et l'Atténuation des effets des catastrophes naturelles. Même si rien n’est transposable tel quel, le lecteur ferait bien de se souvenir que le président F. Mitterrand confia en 1981 à Haroun Tazieff le secrétariat d’Etat chargé de la prévention des risques naturels et technologiques majeurs .
Les failles dans le dispositif anti-incendies (par exemple) sont mal vécues au sein d’Etats dépourvus de Canadairs ; mais ces failles se retrouvent à l’échelon international. L’Organisation Internationale de la Protection Civile, (OIPC) composée de 53 Etats membres, existe depuis 1957. Elle fut créée par le médecin général (français) Georges Saint-Paul. Elle garde un profil bas avec ses 3 millions de francs (suisses) de budget annuel. La France ne s’y est guère investie…
Mobiliser les ‘casques verts’
En 1991, la députée Maj-Britt Theorin, ex-présidente du Bureau International de la Paix propose la création d’un corps de militaires capables d'intervenir en cas de désastres écologiques, qu'ils soient ou non occasionnés par des conflits ;
à partir d’une étude sponsorisée par l'ONU intitulée Charting Potential Uses of Resources Allocated to Military Activities for Civilian Endeavours to Protect the Environment. Le sujet refait surface à intervalles réguliers dans l’agenda politique. Des voix écologistes ont fait irruption à la suite de la catastrophe de Baia Mare, en Roumanie, (avec pollution au cyanure des eaux de la Tisza et du Danube). Il le sera encore, puisque les catastrophes naturelles sont responsables de la mort de plus de 100 personnes par an sur le continent et que les dégâts avoisinent les 10 milliards d’euros, (chiffre de 2016). Mais à l’exception de l’ONG Green Cross International, nul ne s’alarme du sort de la Mer Baltique infestée de munitions chimiques ou des sites contaminés au large de Gdansk et de Bari qui représentent en soi une bombe à retardement. Au niveau de l’UE, l’agence de destruction de ces munitions est encore en phase …d’hibernation.
Recycler les militaires
Ne plus se focaliser sur la dimension militaire de la sécurité favorise une conversion des militaires sensibilisés aux nouvelles menaces. Au-delà de la protection civile, dont nous cernons les limites, il s’agit de se fixer de nouvelles priorités et dégager de nouvelles règles de conduite. Recruter des médiateurs dans des zones sensibles, pour mieux assurer la ‘sécurité communautaire’. Sur le front environnemental ? Les options ne manquent pas : missionner les jeunes recrues à planter deux arbres durant leurs années de service militaire, ce qui se fait en Bulgarie. Former des unités sur le modèle des bataillons de l’armée éco-territoriale telle qu’elle est constituée dans chaque Etat de l’Union indienne, (avec trois unités existantes financées par le Ministère de l'environnement) ou encore, plus près de chez nous, délivrer une formation (de 4 semaines) de conseiller en gestion et protection de l’environnement , comme chez les officiers du Génie en Belgique. Ou encore garantir une forme de sécurité alimentaire en formant des agriculteurs surnommés ‘Soldats de la Terre , comme le pratique à Bangui le président de l’Association des paysans centrafricains. En collaboration avec une commune et une association du Luxembourg.
Revoir le recrutement
Mobiliser de nouvelles ressources humaines passe par le recours à des acteurs non militaires pour faire face par exemple à l’insécurité des installations nucléaires civiles. En se référant à Fukushima, on peut supposer que l’évacuation des personnes, la recherche des disparus et la réinstallation des déplacés qui habitent à 20 km d’une centrale (dans des centres d’accueil temporaire) ne nécessite pas une initiation au maniement d’armes sophistiquées.
Faire de la prévention à petite dose
A l’initiative des ministres suédois et finlandais des affaires étrangères en 2010, l’Institut Européen de la Paix (EIP) a vu le jour à Bruxelles dès 2014. Soutenu par neuf pays de l’UE (et la Suisse), il vise à encourager la médiation et le dialogue dans certaines zones de conflits. Mais avec un budget de 10 millions d’euros, dont 50.000 euros de la part du Luxembourg, (sur 300 millions de dépenses militaires), les moyens ne semblent guère à la hauteur des enjeux. Il est regrettable que ses missions dans le domaine du maintien de la paix ou la restauration de la paix soient localisées sous d’autres latitudes. Comme si les recettes préconisées sont celles que les Européens n’osent pas trop expérimenter dans leurs propres contrées, que ce soit en Irlande du Nord, en Catalogne et/ou dans les Balkans. A défaut d’être vaccinés contre tout dérapage guerrier, les Européens semblent se détourner de Chypre, l’un des territoires les plus militarisés au monde en proportion du nombre d’habitants, infesté de plus de 7.000 mines anti-personnel et anti-char qui affectent 2 millions de mètres carrés ; et dont la dépollution coûterait près de 7 millions d’euros, si l’on en croit la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) dont le mandat vient d’être renouvelé pour six mois.
Même si le concept de ‘sécurité humaine’ est absent de nos écrans radars, 25 ans après son apparition, les Européens seraient bien avisés de s’en inspirer. En renonçant à mettre exclusivement l'accent sur la sécurité territoriale pour insister bien davantage sur la sécurité des humains.
B.C. dans la revue 'Preventique'