On dénombre plus de 2.500 hommes, femmes et enfants morts ou disparus en Méditerranée en 2023. Chiffres de l’ONU. Soit une augmentation de près de 50 % par rapport à la même période en 2022. En l’espace de 10 ans, ce sont près de 29.000 morts près de nos côtes.
Et pourtant
Les 18 et 19 mars derniers, le très officiel Forum humanitaire européen de Bruxelles - - censé permettre aux dirigeants européens de bénéficier de l’expérience de quelque 1.400 participants pour trouver des solutions durables aux défis humanitaires - a omis d’inscrire cet enjeu humain de premier plan à l’ordre du jour de ses travaux ! Ce Forum aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’Union européenne. Le sujet a pourtant été totalement occulté, accusent Pierre Micheletti, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, et François Thomas, président de l’association SOS-Méditerranée.
Ils soulignent qu’il s’agit, en l’occurrence, d’un aspect de la question migratoire qui devrait échapper à toute controverse puisqu’il relève ni plus ni moins que du droit international humanitaire, qui fait du sauvetage de naufragés un devoir incontournable. Or, la seule fois où un chef de gouvernement européen a réellement tenté d’inaugurer une politique efficace d’aide aux naufragés -l’opération ‘ Mare nostrum’ lancée en 2013 par le Président du Conseil italien Enrico Letta- , celle-ci fut littéralement sabordée par les autorités européennes. A l’inverse, lorsque l’actuel gouvernement d’extrême-droite de Rome immobilise des navires de sauvetage humanitaire, entrave les actions de secours et harcèle les ONG concernées, il trouve grâce auprès de la Commission européenne.
L'affaire du Titanic
Cette attitude doit susciter des réactions à la hauteur de son indignité. Souvenons-nous de l’affaire du sous-marin parti, l’an dernier, à la recherche du Titanic d’énormes moyens sont déployés pour retrouver les 5 passagers du Titanic, dont un milliardaire qui a payé 250.000 US$. Qu’a-t-on fait pour secourir les 750 migrants du chalutier qui a coulé au large des côtes grecques ? RIEN ! Honte à Frontex et à l’UE ! s’indigna légitimement la réalisatrice Marie-Monique Robin dans le journal L’Humanité daté du 1er septembre 2023. D’éminents anthropologues crient régulièrement leur colère : Didier Fassin, professeur au Collège de France, fustige la politique criminelle de l’Union européenne en Méditerranée, (qui) se déploie dans l’indifférence générale, tandis que pour Michel Agier, Filippo Furri et Carolina Kobelinsky, l’indifférence face aux morts en Méditerranée est le signe d’un effondrement en humanité. Il faut entendre ces mises en garde. Il n’y a rien de plus dangereux pour une civilisation que l’accoutumance à l’inacceptable.
Rappelons l’esprit des demandes du Conseil national consultatif des droits de l’homme aux États européens, dont, le cas échéant, la France, pour en finir avec ces tragédies honteuses : qu’ils respectent le droit international humanitaire et les conventions qu’ils ont eux-mêmes ratifiées ; qu’ils cessent les stratégies d’épuisement, voire de criminalisation des ONG de secours en mer; qu’ils coordonnent les activités de recherche et de secours par les pays riverains concernés avec le soutien de l’Union européenne; qu’ils proscrivent la violence des garde-côtes (particulièrement en Libye ) et qu’ils renforcent les moyens d’identification des victimes. Une Europe humaine, c’est aussi cela.
Francis Wurtz,
ancien député communiste au Parlement européen, président l’Institut d’études européennes de l’université Paris VIII et enseignant à IRIS Sup avril 2024
Avec l’aimable autorisation de l’auteur