Mauvais temps pour le climat
Le combat pour le climat est déjà en mauvaise posture puisqu’en mettant le curseur sur le CO2, nos élites éclairées se débattent pour réhabiliter le nucléaire en faisant mine de le verdir. Ainsi, la Belgique a décidé de reporter la date de fermeture de ses centrales. Pour couronner ce rétropédalage, les velléités d’’indépendance énergétique face à Moscou vont se faire en accélérant le dérèglement climatique. On en vient presque à oublier le dégel entre Moscou et Washington qui a permis après la Chute du Mur de Berlin, des avancées conjointes face à l’ennemi commun qu’est l’affolement climatique. Le programme MEDEA (Measurements of Earth Data for Environmental Analysis), impulsé par Al Gore et sous la direction de Linda Zall a permis aux scientifiques Russes et Américains de partager dès 1992 et jusqu’à 2015 (avec interruptions sous Bush) les photographies collectées par leurs satellites-espions. Il a été interrompu après les affrontements en Georgie. On peut désormais l’enterrer. Mais, ce faisant, sachons reconnaître dans quelles impasses nous allons nous retrouver pour la gouvernance du monde ! Il en va de l’Antarctique, - dont la base Vernadsky - des océans et fonds marins, de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune, tous déclarés ‘patrimoine commun de l’humanité’. Face à la montée des nationalismes, souvenons-nous de l’utilité d’institutions internationales sur le modèle de l’OMM. Pour le contrôle de l’énergie nucléaire aussi. D’ailleurs, c’est Andreï Sakharov lui-même, le père de la bombe H soviétique, et prix Nobel de la paix 1975, qui rappela en juin 1987 que l’énergie nucléaire, de par sa nature, doit échapper à la seule autorité des États.
Le climat international s’est plutôt gâté. A l’ONU, dans le cadre des négociations, le climat subit la réplique du conflit militaire. Les missions entre chercheurs ont été annulées. La Russie, secondée par l’Inde, s’est arrangée pour atténuer le passage sur les conflits armés que pourrait causer le réchauffement climatique. Le Conseil de l’Arctique est mal en point : Sept des huit pays de l’Arctique – Canada, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède et États-Unis – ont suspendu leur participation à cet organisme intergouvernemental qui coordonne la politique dans cette région et traite notamment des questions liées à l’exploration, à l’extraction des ressources et aux études d’impact environnemental. Et tandis que les principaux protagonistes ne se parlent plus, les 193 membres de l'Assemblée Générale de l'ONU viennent d’adopter sans rire une résolution (non contraignante) afin de lutter contre le réchauffement climatique. Son contenu : favoriser le développement du vélo dans le monde ! Elle a été soumise par le Turkménistan qui n’a visiblement pas peur du ridicule ; mais l’anecdote révèle le degré d’impuissance d’une ONU de plus en plus ‘hors-sol’.
Lorsque les pollutions radioactives se répandent, lorsque les immeubles sont pulvérisés par des bombes au phosphore, le moindre discours sur le besoin de végétaliser les espaces publics sera inaudible et pas seulement décalé. Dans un décor de cendres, à quoi serviront les hymnes en faveur du recyclage ou du recyclable ? Pour recycler quoi au juste ?
Il est pertinent de dire que le carburant le moins cher est celui qu’on ne consomme pas, que le déchet le moins néfaste est celui qui n’existe pas. Mais s’il s’agit de dire que la guerre la plus écolo est celle qu’on ne livre pas, on s’aperçoit que ce n’est pas le critère écologique qui est prioritaire dans une situation de légitime défense d'une population qu'on veut anéantir.
Le pacifisme survivra-t-il à la guerre ?
Nous avons beau revoir nos classiques, relire la pétition contre l’arme nucléaire que fut l’Appel de Stockholm reproduire des vidéos sur Hiroshima ou Nagasaki. La fin du monde résonne de plus belle depuis qu’une armée d’occupation vient intimider un peuple aux abords de Tchernobyl. Il nous faut se rendre à l’évidence que le dilemme sur la fin du monde se télescope avec celui de la fin du mois.
La nucléarisation n’est pas passée de mode. Au contraire. Comme disait Jacques Attali : « aucune des 5 puissances nucléaires n’envisagera jamais sérieusement de se priver de ce privilège qui leur a été conféré par une coïncidence de l’histoire» (dans l’Economie de l’Apocalypse). Aujourd’hui, le chiffre (5) a presque doublé. Et la liste va s’allonger. L’OTAN, ‘alliance nucléaire’ (dixit Le Drian) ne va pas y renoncer. La dernière fois qu’il a été question de dénucléariser la zone, les Etats-Unis ont fait valoir que ce serait risqué parce que l’Allemagne réunifiée risquerait de se lancer dans l’aventure atomique. Quelle que soient les spéculations concernant un retrait américain d'armes nucléaires US sur la base d’Incirlik (Turquie), il n’est pas exclu que la Grèce retrouve son statut de base nucléaire alors qu’elle était parvenue à se soustraire à ‘ses obligations nucléaires’, suite à son opposition à la guerre au Kosovo. La Roumanie achète des pastilles d'iode. L'Irlande a adopté des mesures spéciales pour inciter ses agriculteurs à labourer les cultures essentielles. Et les dépenses militaires augmentent sur tout le continent. Le Premier ministre de Roumanie Nicolae Ciuca n’imaginait pas lui-même augmenter les dépenses militaires de 25 % en une seule année.
Le Traité d’Interdiction des armes Nucléaires (TIAN ou TPNW) a peu de chances de recueillir le moindre succès au sein des Etats dotés de l'arme nucléaire, ni auprès des alliés de l’OTAN, ni auprès des nouveaux candidats la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Japon… qui estiment qu’un renoncement à l’atome serait peu rentable, d’autant plus que ceux qui y ont renoncé comme l’Ukraine ou la Libye n’ont pas été gratifiés pour leur effort. Il faut aussi ajouter à cette liste la Biélorussie puisqu’en février 2022, plus de 65 % des Biélorusses (selon des chiffres officiels) auraient approuvé l’amendement de la Constitution du pays, faisant disparaître l’obligation pour le pays de rester une zone sans nucléaire’.
Le jugement que l’on porte sur le TIAN et le rôle qu’il peut avoir pour favoriser le désarmement (alors que 15 Etats ont renoncé à leur armement sans recourir au moindre Traité), est varié. Pour certains, il équivaut à interdire au végans de manger de la viande; pour d’autres, il s’agit d’actualiser la mise hors-la-loi des criminels de guerre, ce qui nous renvoie aux démarches d’un Aristide Briand visant à mettre la guerre ‘hors-la-loi'. En oubliant de dire que les armes nucléaires sont illégales au regard du droit international. D’autres critiques du TIAN font valoir qu’un dictateur (comme celui du Kazakhstan) ne devient pas un héros pacifiste sous prétexte qu’il a décidé un beau matin de 1995 de renoncer à son arsenal nucléaire.
Dans le contexte ukrainien, il y a de quoi se méfier des traités, des mémorandums, des assurances et autres déclarations, même s'ils sont ratifiés, juridiquement contraignants et soutenus par les gouvernements des Etats les plus puissants.
Le Traité de Non Prolifération ou TNP (valable en temps de paix) subit une perte de crédibilité. Pour Pyongyang par exemple, tout d'accord de désarmement avec l'Occident est perçu avec autant de désinvolture que le Mémorandum de Budapest, qui a vu l'Ukraine remettre ses armes nucléaires en échange de ‘garanties’ de sécurité …qui n’ont rien garanti du tout.
Et maintenant ?
Depuis longtemps déjà, j’ai eu la conviction qu’un évènement de l’ampleur du 24 février 2022 pouvait advenir. Ce qui ne m’a pas empêché de penser que les risques de décès dus à des carences de politique sociale sont bien supérieurs aux risques de mourir au cours d’une attaque terroriste menée par des Djihadistes ou des Talibans en mal de publicité, ou d’une guerre d’agression orchestrée par une puissance étrangère. Et maintenant ? Comme dirait Machiavel, ‘On commence une guerre quand on veut, on la termine quand on peut. Lorsque les armées et des états-majors s’en mêlent, les conflits adoptent leur propre dynamique’. Ils peuvent prendre des directions très imprévisibles.
Parmi mes collègues polémologues, rares sont ceux qui ont prêté la moindre attention aux avertissements prononcés par Poutine dans son discours à l’occasion du 43e Forum de Munich qui s'est tenu du 9 au 11 février 2007. J’ai trouvé cela curieux jusqu’au jour où fut annoncée l’interdiction des médias Sputnik et RT dans toute l’UE, une mesure édictée par Ursula von der Leyen au nom de la Commission européenne ; et qui avait déjà été prise par les GAFAM. En observant l’Occident paniqué à l’idée d’écouter un point de vue qui ne lui est pas favorable, prêt à n’importe quelle censure comme si nos concitoyens succomberaient forcément à la propagande d’un ennemi passé maître dans les ‘fake news’ et la ‘post-vérité’, je m’interroge. Qui prendra la peine d’honorer la mémoire du fondateur et président de l’Académie des Sciences d’Ukraine, le russo-ukrainien Vladimir Vernardsky ? Sera-t-il banni de nos livres d’histoire pour avoir inventé le concept de la biosphère ?
B.C.