Pendant la conférence annuelle sur la défense au début du mois de janvier 2024), plusieurs membres du gouvernement de coalition de droite, soutenue par l’extrême-droite, ont enterré le concept de neutralité en affirmant que le risque d’un conflit armé n’était pas à exclure. Face au sursaut militariste dans un pays qui n’a pas connu de guerre depuis 210 ans, la Svenska ‘Freds och Skiljedomsföreningen’ (l’Association suédoise pour la paix et l’arbitrage) plus connue par son sigle anglosaxon SPAS ou Swedish Peace Arbitration Society a de quoi s’inquiéter : le gouvernement a supprimé tout espace de débat citoyen sur ces sujets cruciaux…en leur coupant les vivres. Après 140 ans d’existence, les 18 ONG suédoises ne bénéficient plus de subventions (de 20 millions de couronnes suédoises).
Parmi elles, la Svenska Freds fondée en 1883 et qui peut se targuer d’être la plus ancienne organisation du genre dans le monde. A la suite de l’annonce de l’arrêt des subventions, l’organisation a dû mettre fin à un projet de recherche sur l’usage militaire de l’intelligence artificielle et des robots tueurs, faute de moyens. A propos de cette subvention que l’organisation récolte depuis un siècle, la porte-parole fait remarquer : ‘C’est une somme dérisoire comparée aux dépenses militaires qui ont augmenté de 27 milliards de couronnes atteignant 119 milliards de couronnes en 2024, soit le double par rapport au budget de 2020.
Le ministère (suédois) des Affaires étrangères a indiqué que la suppression des fonds (2 millions d’euros) s’inscrit dans le cadre d’une ‘réforme du gouvernement’ […] visant à améliorer l’efficacité des activités, en mettant l’accent sur les résultats. Des explications peu convaincantes car comme l’explique cette militante : ‘Leur décision constitue un énorme revirement, et nous n’avons pas eu le temps de débattre de ce que signifie pour la Suède de rejoindre une alliance nucléaire’, a-t-elle déclaré. En mettant fin à des décennies de neutralité.
La Suède a déposé une candidature d’adhésion à l’OTAN dès mai 2022. Alors que les ONG réclamaient juste un temps de réflexion sur les implications d’une entrée de la Suède dans l’OTAN, elles ont été sanctionnées pour leur prise de position anti-Otan, comme le confirme Malin Nillson, secrétaire générale de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF). ‘Nous avons été désignés comme des soutiens de Poutine’ précise Linda Åkerström. Mais le débat ‘pour’ ou ‘contre’ l’adhésion de la Suède dans l’Alliance atlantique a été quasi inexistant. Ce qui est étonnant dans la mesure où ‘’l’entrée de la Suède dans l’OTAN est l’un des plus grands changements géopolitiques depuis la chute du mur de Berlin’, comme le déclare la ministre suédoise des Affaires étrangères, Maria Malmer Stenergard. Le gouvernement suédois a dû se plier aux exigences d’Ankara sur la présence de militants kurdes dans le pays et modifié sa Constitution en adoptant une nouvelle loi ‘antiterroriste’. Après des mois de tergiversations, le Parlement turc a fini par ratifier l’adhésion du royaume scandinave. Au Parlement, la principale députée écologiste, Märta Stenevi, a écrit sur Twitter que le processus de l’OTAN avait été ‘mal géré depuis le premier jour’ et dénoncé ‘influence déraisonnable sur la politique intérieure suédoise’ qu’a eu M. Erdogan. Il a fallu ensuite le feu vert du premier ministre hongrois, Viktor Orbán pour que la Suède devienne le 32e membre de l’Alliance militaire. ( !)
L’industrie de l’armement connaît un essor fulgurant depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, avec une nette augmentation des commandes militaires. Au pays qui a béni dans l’héritage de Dag Hammarskjöld et de Olof Palme, la remilitarisation est donc bien en marche. La Suède se classe aujourd’hui au 13e rang des plus grands exportateurs d’armes mondiaux
Si elle consacrait 4 % de son PIB à la Défense en 1963, (avec un programme nucléaire), elle n’en consacrait plus que 1 % en 2017. Mais pour 2024, ce chiffre est remonté à 2,1 %. Face à cette industrie florissante, l’association Svenska Fred est la seule à enquêter sur l’industrie de l’armement en Suède, en dehors des journalistes d’investigation et des chercheurs.
Bientôt, tous aux abris ?!
Depuis lors, un vent d’inquiétude se propage dans le pays, où circule désormais dans toutes les chaumières un nouveau Manuel de survie. Pour parer à tout type de scénario relatif à la détérioration de la situation sécuritaire, le Manuel a mis à jour les conseils en matière de défense civile. En prime, des tuyaux pour constituer de réserves de denrées alimentaires non périssables, des médicaments et de l’argent liquide, dans le cadre des préparatifs pour temps de guerre. Cette dernière édition du manuel distribué à tout un chacun comprend des recommandations pour trouver un abri en cas de raid aérien, des renseignements sur les signaux sonores d’urgence. Elle décrit également ce qu’il faut faire en cas d’attaque nucléaire, notant que ‘le niveau élevé de la menace mondiale accroît le risque d’utilisation d’armes nucléaires’.
‘Ce qui m’épouvante, c’est la rapidité avec laquelle un gouvernement peut liquider la société civile, dans une relative indifférence’, résume Malin Nilsson.
BC