Ce que les Anglo-Saxons appellent les peace studies ne trouvent leur origine qu’après la fin de la Première Guerre mondiale avec en toile de fond l’idéalisme du président américain Woodrow Wilson (1913-1921) lors du Traité de Versailles (28 juin 1919) qui suit. En effet, l’autorité morale mais également militaire de Woodrow Wilson donne beaucoup plus de poids à une école de pensée qui naît à ce moment-là et qui est très proche de la philosophie qui inspire le président américain : le courant idéaliste. Celui-ci se situe dans la lignée d’une tradition remontant au philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) et son projet de Paix perpétuelle. Cependant, comme l’a souligné Arnaud Blin dans Géopolitique de la paix démocratique, cette œuvre tombe dans l’oubli très rapidement du fait de son trop grand décalage avec l’esprit du temps. Ce n’est donc qu’à partir de 1918, et sous le parrainage du président Wilson que les idéalistes reprennent cet héritage à leur compte. Ils constituent rapidement une école majeure du champ des relations internationales.
Le développement des études sur la paix après 1945
Ce n’est qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale que le champ des études sur la paix va véritablement éclore et se libérer de sa discipline de départ, celle des relations internationales. En 1948, un premier cursus universitaire de peace studies voit le jour au Manchester College situé dans l’Etat d’Indiana aux Etats-Unis. Sur leur site : ‘Peace: We have some ideas about non-violence resolution to conflict. Manchester is home to the nation’s first peace studies program and to one of the earliest environmental studies programs’.
En Europe, le célèbre Peace Research Institute d’Oslo (PRIO) est fondé en 1959. Quelques jeunes diplômés allemands, nés au cours du régime hitlérien, fondent le Hessischen Stiftung für Friedens-und Konfliktforschung (HSFK) de Francfort, en 1967. Parmi eux, Dieter Senghaas, un des meilleurs théoriciens de la paix d’Allemagne.
En réaction à la guerre du Vietnam, d’autres cursus sur la paix voient le jour aux Etats-Unis. En Grande-Bretagne, la première formation sur ce thème (en 1973) demeure celle que dispense l’Université de Bradford. La course aux armements, le contexte du déploiement des euromissiles etle pacifisme qu’il génère, aboutissent logique ment à ce que les cursus de peace studies à Bradford et ailleurs) se développent de plus en plus autour de l’étude de la pax atomica. Les étudiants anglo-saxons sont très demandeurs de ces formations.
La déroute scientifique de 1989
Cet événement majeur de la vie politique internationale qu'est la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 fait croire à un formidable espoir de paix. S’il ne dure pas (de 1989 à 1992 voire 1993), il est suffisant pour permettre aux dirigeants de la planète de diversifier considérablement l’ingénierie de la paix des différentes missions qu’ils envoient pour apaiser les conflits.
De 1989 à nos jours, les ‘peace studies ’ se concentrent plus sur les conflits intra-étatiques et interpersonnels. A la fin de Guerre Froide, en 1989, les spécialistes des études sur la paix se tournent plutôt vers l’étude des violences intra-étatiques. En effet, contrairement à l’ère de paix que certains prédisaient suite à la Chute de l’Empire soviétique, la conflictualité bascule d’un champ inter-étatique vers une multiplication des guerres civiles. Dans le même temps, la notion de sécurité n’est plus considérée seulement par le prisme national : on parle désormais de sécurité commune, environnementale voire même de sécurité totale qui prend beaucoup plus en compte les facteurs structurels de la paix et de la violence.
Une forte demande de prise en compte des violences intra-personnelles se développe en corollaire de la crise qui intervient avec le double choc pétrolier et des programmes libéraux qui sont alors appliqués aux Etats-Unis et au Royaume-Uni pour y faire face. Au cursus originairement de science politique, les formateurs tendent à venir de plus en plus des écoles du bien-être social et du monde de l’éducation comme le soulignent Ian Harris, Larry Fisk et Carol Rank.
Les courants actuels des relations internationales et la paix
Pour les réalistes dont Harald Muller par exemple, le problème de la paix est considéré avec circonspection. Cependant, cette école de pensée a identifié deux cadres qui peuvent réduire les dangers de guerres. Le premier est l’équilibre des pouvoirs (même s'il existe un désaccord pour savoir si les structures bilatérales ou multilatérales sont les mieux à même de prévenir les conflits). Le second est constitué par des acteurs hégémoniques dans lequel la puissance la plus forte peut agir pour empêcher, par la menace ou, s’il le faut, par une intervention directe, que des conflits ne deviennent manifestes.
La théorie ‘offensive-défensive ’ de Jervis (1978) tend à démontrer que la paix est certaine et la coopération probable si la technologie militaire défensive est plus forte que l’offensive parce que cela réduit de manière significative le dilemme de sécurité. En effet, même dans les cas d’attaques surprises, la partie attaquée a toujours des espoirs assez importants de se défendre de façon victorieuse. Cependant, cette argumentation comporte des faiblesses parmi lesquelles nous ne citerons que la suivante : la rationalité de l’acteur est critiquable s’il s’agit de mouvements terroristes ou de guérillas.
Une autre approche réaliste de la paix consiste à souligner le climat géopolitique dans lequel se trouve un pays. Si tous ses voisins ont des intentions pacifiques, il n’aura pas de problème particulier à établir des relations coopératives avec eux. En revanche, il faudra qu’il révise à la hausse sa sécurité si le contexte régional comporte des puissances prédatrices.
Enfin, la dernière théorie postule que les acteurs, conscients qu’ils seront tous perdants à engager une guerre, s’engagent par conséquent à tisser de nombreux liens pour rendre un conflit encore moins profitables à tous. Les partisans de cette approche ont su développer leur fameuse théorie des régimes en l’acclimatant aux problèmes concernant la paix. En cela, les travaux de l’Ecole de Tübingen et de Volker Rittberger ont été pionniers. Ces derniers ont montré que les régimes qui promeuvent la distribution de biens de façon interne en étant le plus juste possible, posent néanmoins des problèmes dont il faut tenir compte dans leur rapport à l’extérieur.
La culture de la paix en France au sein des universités et des centres de recherche
Au début du vingt-et-unième siècle, plus de deux cents cursus universitaires sur la paix sont proposés dans le monde, principalement occidental. Cependant, la disparité entre les pays demeure considérable. Il suffit de taper ‘peace studies ’ puis ‘études sur la paix ’ sur le moteur de recherche ‘Google ’ pour se rendre compte que l’ascendant anglo-saxon sur la France est considérable. Il semble que cela soit lié à la différence de culture entre le protestantisme et le catholicisme puisque l’Espagne et l’Italie se mettent également, mais lentement et avec beaucoup de retard, à développer de tels cursus. Pourquoi un tel retard ? Il paraîtrait que cela tienne à une ‘certaine idée de la France ’ , ‘exception culturelle ’ dans son aspect positif, ‘arrogance ’ , ‘incapacité à maîtriser d’autres langues étrangères ’ dans son versant négatif qui consiste, en France, à ne pas prendre en compte rapidement les acquis de la recherche anglo-saxonne dans les sciences sociales (ce qui n’est pas le cas des sciences dures où l’anglais constitue vraiment la lingua franca décrite par Samuel Huntington dans Le choc des civilisations).L’état actuel des recherches sur la paix dans les universités en France n’est pas brillant. (…) Pourtant, des formations sur la paix pourraient offrir des possibilités d’emploi. La formation d’un Peace Corps ou un soutien aux structures déjà existantes telle que la section française des Peace Brigades International serait à promouvoir. L’envoi pendant un ou deux ans de diplômés à l’étranger dans des situations conflictuelles pourrait valoriser de telles études.
Très rares sont les étudiants français à connaître la Décennie internationale pour la Paix promue par l’Unesco. Les chaires Unesco qui sont censées développer une telle culture sont peu développées au sein des universités françaises. On peut relever celui que dirige Patrick Lecomte, professeur des universités à l’IEP Lyon et directeur du Réseau UNESCO ‘Gouvernance et Paix ’ à l’Ecole de la Paix. (de Grenoble).
Les grands centres français de réflexion sur les relations internationales, l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales), l’IRIS (Institut des Relations Internationales Stratégiques), la FNSP (Fondation Nationales de Sciences Politiques), le CEAN (Centre d’Etudes sur l’Afrique Noire) ne prennent pas en compte la paix en tant que telle, à l’exception du CERI (Centre d’Etudes sur les Relations Internationales)et des deux approches développées en son sein par Jacques Sémelin.
Outre certains enseignements comme celui dispensé à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (par l’intermédiaire du CIRPES dirigé jusqu'à récemment par Alain Joxe, un Centre de Recherches sur la Paix patronné par l’Institut catholique de Paris (ICP) a vu le jour en 1998 sans délivrer de véritable enseignement.
Le mérite de l’Ecole de la Paix consiste à tenter une aventure en ce sens.