On croyait l’affaire du Larzac reléguée aux livres d’histoire. Ben non, les militants vont reprendre du service car l’introduction de légionnaires sur zone est de nouveau à l’ordre du jour. Mais que diable vont faire ces képis blancs pour manœuvrer là où tout militaire fut éconduit il y a 40 ans ?
La 13e demi brigade de la Légion étrangère - prononcez D-B-L-E. n’a pas de chances. Après avoir rayonné pendant près de 50 ans sous d’autres latitudes, elle a reçu l’ordre de stationner dans le bourg de garnison dénommé La Cavalerie au Larzac, dès cet été. Au nom d’une relocalisation des forces, 250 à 400 légionnaires sont sur le point de débarquer dès cet été et ce chiffre va atteindre 1 300 (militaires et personnels) d'ici 2018.
Mais d’où viennent ces nouveaux arrivants ? De la base d’Abou Dhabi. L’emplacement est certainement plus exotique que les Causses, mais le simple fait que nos chefs acceptent de se désengager du Golfe Persique mérite quelques applaudissements. Nous étions là-bas parce que, du temps du ‘bling bling’ stratégique de Sarkozy, nous voulions asseoir une présence francophone dans une zone trop phagocytée par l’oncle Sam. Et, par la même occasion, compenser l’affront que représente la mainmise progressive des Ricains, des Japonais et bientôt des Chinois sur le Camp Lemonnier à Djibouti (ex-confettis de l’Empire). Si ce rapatriement était le prélude à d’autres restructurations, le Larzac devrait se préparer à abriter demain les troupes en provenance du Sénégal, de Côte d'Ivoire, du Tchad, du Gabon, ou de Nouvelle-Calédonie (grâce à un nouvel accord de défense avec l’Australie), bref de toutes les bases qui nous confèrent un certain rôle sur le plan international. Mais ce genre de repli sur l’Hexagone n’est pas au programme.
Aux habitants qui n’ont pas forcément la mémoire courte, le retour des légionnaires dans la mère-patrie a de quoi susciter bien des interrogations sur les nouveaux modes de colonisation des territoires par des gaillards en uniforme et ce, à l’heure où l’administration de la peur a repris du service actif. Le collectif ‘Gardem Lo Larzac’, créé début Août 2015 suite à la décision de densifier les effectifs militaires du Camp, a mobilisé le 18 juin un millier de citoyens pour un rassemblement ‘Larzac debout’.
Certes, avant même l’état d’urgence, les légionnaires patrouillaient déjà dans les rues des grandes villes, Vigipirate oblige. Et Vigipirate est là pour nous enseigner que sécurité intérieure et extérieure tendent à se confondre. Mais l’accueil de ces troupes de choc méritera à lui seul un autre type d’entraînement de la part des civils, que ce soit pour apprécier les képis blancs, ou pour s’émouvoir du concert des véhicules de l'avant blindé …ces VAB que nos industriels ont su généreusement exporter sur de multiples théâtres d’opération…
En réalité, le problème avec les militaires, c’est qu’ils ne sont pas biodégradables. Quand ils s’installent quelque part, quand ils sont missionnés pour squatter une plaine ou un plateau, difficile de les déloger ! On l’a vu pour le camp militaire du Larzac qui a été créé en 1902 : en dépit d’un front commun dès les années 70 qui a permis aux paysans de conserver leurs terres tout en maintenant à distance les intrus, nombreux furent ceux qui estimaient que la couleur kaki s’inscrirait aisément dans le décor du Parc Naturel Régional des Grands Causses, un parc dont 3.000 hectares sont réservés aux activités militaires.
Comme le formulent si bien parfois les galonnés, remporter une bataille ne signifie pas gagner la guerre. N’importe quel antimilitariste a eu l’occasion de s’en rendre compte : sur le plateau d’Albion, par exemple, les missiles balistiques ont fini par être démantelés … l’armée de l’air a plié bagage en 1999, et la conversion pacifique des lieux s’est arrêtée en chemin. La preuve ? Le 2e régiment étranger de génie de la Légion Etrangère s’y est installé et cohabite du côté de Saint-Christol avec une station d'écoute de la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE).
Au Larzac, ceux qui ont crié victoire après 1981 ont de la peine à digérer que le loup rôde toujours aux abords de la bergerie. Pour le pouvoir politique, il s’agit de mettre les légionnaires au vert. Ici et maintenant. Pour remplir quelle mission ? Pour pacifier quelle zone de turbulence ? Lorsque le ministre Jo Le Drian va abattre ses cartes en septembre, il va feindre de zapper que, 40 ans auparavant (*) , 22 militants et paysans s'étaient infiltrés dans ce même camp militaire du Larzac pour y détruire 500 dossiers relatifs à l'enquête parcellaire avant expropriation. De quoi accréditer la thèse qu’une page du Larzac n’est pas complètement tournée….
Ben Cramer
(dans Charlie, août 2016)
(*) le 22 juin 1976)