‘Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire’ (sic).
Au-delà des interventions militaires (une cinquantaine) et des ‘crimes géopolitiques’ qu’aucune Cour Internationale de Justice n’a reconnus à ce jour, la France s’est efforcée de bétonner sa présence.
Dans un ouvrage de 1951 consacré aux ressources minières du temps des colonies, on pouvait lire : ‘Dans notre monde moderne, où les limites de notre planète semblent se rétrécir de plus en plus, il n’est plus possible que certaines régions restent vierges et que des matières premières, minières ou autres, continuent à dormir, alors qu’elles pourraient améliorer le sort de tout le monde, sous prétexte que leur exploitation bouleverserait le mode de vie de ceux qui ont la chance de vivre où elles se trouvent. Aujourd’hui, le monde entier forme un tout, il faut évoluer qu’on le veuille ou non. Si des peuples, demeurés arriérés, ne peuvent ou ne veulent s’occuper de leur mise en valeur, d’autres peuples plus entreprenants viendront le faire à leur place de gré ou de force (cf. Jacques et Jean-Pierre Lenormand, ‘L’Or et le diamant en France métropolitaine et dans l’Union française’, SEF, 1951, p. 167, cité dans l’ouvrage de Gilles Labarthe, L’or africain. Pillages, trafics & commerce international, édition Agone, collection Dossiers noirs, Lyon, 2007).
Dans le cadre des concessions en faveur des États nouvellement indépendants, la France a tenté de faire l’équivalent du deal scellé par Roosevelt avec l’Arabie saoudite en 1945, un deal comprenant une garantie de sécurité en échange de l’exploitation de ses richesses pétrolières. Les accords formalisés à l’heure des indépendances (1961) ne laissent pas de doute : la France est prioritaire dans l’acquisition de ces matières premières classées comme stratégiques, tandis que leur exportation vers d’autres pays peut être limitée ou interdite si les intérêts de défense l’exigent.
Dans les clauses secrètes, il était stipulé que les régimes signataires seront protégés par rapport à des menaces intérieures en échange d’un droit d’approvisionnement préférentiel pour la France concernant les matières stratégiques.
Parmi elles : hydrocarbures liquides ou gazeux, uranium, thorium, lithium, béryllium, hélium, etc.
Alors, la Françafrique, c'est fini ? Depuis l’époque Sarkozy, les nouveaux accords ne comportent aucune mention d’accords spéciaux et interdisent explicitement l’intervention en cas de troubles intérieurs. Toutefois, la France demeure le pays qui maintient le plus grand nombre de militaires en Afrique. Les populations de la Mauritanie au Burkina Faso, en passant par le Tchad, le Niger (189e au classement IDH… sur 189) et le Burkina Faso ont de quoi s’inquiéter en voyant les troupes de l'ex-puissance coloniale multiplier les déploiements sur leurs territoires, dont la force anti-djihadiste G-5 Sahel. Les opérations OPEX qualifiées de 'provisoires' assurent une présence de plus en plus permanente. Sans compter les bases de Mayotte et de la Réunion. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le nombre de militaires français sur le sol ouest-africain en 2017 est plus important qu'au lendemain de la vague d'indépendances en 1960.
Le pétrole, nerf de la guerre
La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant
L’histoire militaire de l’humanité tend à se confondre depuis tant de décennies avec les tentatives des puissants de s’approprier des ressources, celles qui lui sont indispensables pour faire la guerre, y compris les ressources pétrolières. Le complexe militaro-industriel s’est beaucoup concentré sur les hydrocarbures car, au risque de paraphraser Raymond Aron, le pétrole a été et est encore le nerf de la guerre. Un État détenteur de ressources en hydrocarbures présente neuf fois plus de risques d’être le théâtre de conflits qu’un État qui n’en a pas (cf. Philippe Hugon
Au Nigéria, un mouvement pour la survie du peuple ogoni, qui s’est fait connaître dès 1990, dénonce les effets dévastateurs de l’exploitation des gisements de pétrole par des multinationales.
Il y a dix ans, les États producteurs de pétrole étaient le théâtre d’un tiers des guerres civiles, de faible ou de forte intensité, contre un cinquième (1/5) en 1992. Nous allons tenter ici de voir en quoi cet accaparement ne fait qu’accroître la conflictualité dans le monde.
Toute opération militaire renvoie à la logistique, dont le ravitaillement en carburant. Les armées constituent l’un des piliers de l’économie mondiale des énergies fossiles. Ceci permet de mieux comprendre pourquoi les forces armées font main basse sur ces ressources. Les armées modernes qui chérissent la projection de forces consomment sans compter pour un secteur qui n’a de comptes à rendre à personne. La ‘Grande Muette’ (en France) a ses priorités et de ce fait soigne son Service des essences des armées (SEA), qui délivre par an plus de 900 000 m³ de carburant. Le Pentagone est le plus gros consommateur de pétrole au monde : de l’ordre de 320 000 barils par jours, (chiffre de 2011), c’est-à-dire une consommation équivalente à celle d’un pays tel que la Suède . Durant l’opération Desert Storm, par exemple, les États-Unis et leurs alliés ont consommé environ 19 millions de gallons ou 73 millions de litres de pétrole par an, soit l’équivalent de la consommation journalière d’un pays de la taille de l’Argentine (Resource Wars de Michael Klare, un auteur qui semble ignorer l’Afrique et ses ressources.
Ce carburant dont la consommation permet de maintenir un niveau de vie non monnayable , permet aussi de maintenir un niveau de militarisation que nos élites en Occident (et ailleurs) n’entendent pas compromettre. La présence de pétrole ravive les aspirations de conquêtes. Pour protéger l’accès aux hydrocarbures et autres ressources stratégiques que l’Afrique possède en abondance, les États-Unis s’appuient sur le dispositif d’Africom. Le Pentagone n’a d’ailleurs pas caché son désir (non assouvi à ce jour) d’installer le Quartier général du commandement d’Africom au Nigéria, premier producteur de pétrole du continent.
Si le pétrole fait ‘carburer’ les armées, il le fait au sens propre et au sens figuré : le pétrole est aussi capable d’enrichir les militaires. Entre 2005 et 2014, l’Angola a plus que doublé ses dépenses militaires, comptant pour plus de 30 % du total régional et détrônant l’Afrique du Sud de la place de plus grand dépensier en Afrique sub-saharienne
Au vu de ce qui se trame en Algérie ou en Angola, on peut en déduire que les revenus élevés du pétrole sont un facteur favorisant l’augmentation des dépenses militaires. À l’instar des minerais, le pétrole est une source de financement des conflits, comme en Angola durant la guerre civile (de 1975 à 1991). Au Congo-Brazzaville, qui fut le théâtre d’une guerre civile entre 1993 et 2000, l’argent du pétrole, seule ressource du pays, a été utilisé pour armer les milices et acheter des armes lourdes, tant par le gouvernement légal de Pascal Lissouba, qui disposait de la redevance versée par les compagnies pétrolières, principalement Elf-Congo, que par son adversaire Denis Sassou Nguesso, qui avait conservé des liens étroits avec les dirigeants du groupe Elf.
B.C.
Extraits du rapport GRIP 'l'Afrique des minerais stratégiques : du détournement des richesses à la culture de la guerre.