L'exception française

Le nucléaire civil au garde-à-vous

ENTRE-NUCLEAIRE-et-BOUGIECoup de tonnerre dans le ciel européen : l'Allemagne en rajoute dans le principe de précaution et décroche du nucléaire. La France, elle, renonce de suivre le modèle allemand et ne disjoncte pas. Au contraire : elle va mettre toute son énergie à défendre sa vision nucléaire du monde. L'Allemagne, elle, se libère et pour une raison majeure : elle n'est pas plombée par la bombe.

Explications.

La France n'est pas dans la même situation que l'Allemagne ou le Danemark. Pour ceux qui n'auraient pas capté le contraste, le renoncement est une recette pour Andorre ou le Liechtenstein, des micro-Etats - qui ne comptent pas -, des nations comme l'Autriche ou la Suisse – qui seront un jour les Costa Rica du continent, mais pas la France.

Regardons autour de nous : tous les pays qui ferment leurs centrales ou les mettent sur la touche – Italie comprise, depuis 1987 - n'ont pas de programme nucléaire militaire. Bref, derrière les 58 réacteurs de l'Hexagone, capables de fournir de l'électricité à tout va, se pointe fièrement une puissance nucléaire militaire. Yala ! Avec une infrastructure qui marie le civil et le militaire quand çà l'arrange, on ne va tout de même pas se laisser impressionner par des civils qui voudraient changer la donne. Avis aux populations : Les enjeux ne sont pas é-ner-gé-ti-ques ! Arrêtons d'expliquer aux gens que les énergies renouvelables sont plus rentables. Paris s'en fout.

Anne Lauvergeon d'Areva a-t-elle raison de dire que c'est une 'affaire stratégique '? En tout cas, le choix de telle énergie ou de telle technologie tient à la fois aux ressources disponibles, à la culture, à l'histoire et aux options en matière de défense. Certains de nos compatriotes vantent-ils les atouts du nucléaire pour réduire le C02 ? Soit. Outre-Rhin, on valorise les énergies qui évitent le recours à des liquidateurs, qui nous épargnent l'anticipation subtile d'un accident majeur ; des énergies pacifiques. Mais faut croire que la paix n'a pas les mêmes résonances ici et là.

Dans l'inconscient collectif français, tout ce qui relève du nucléaire est synonyme d'indépendance nationale. De l'autre côté du Rhin, on a moins été tenté, ni séduit par la bombe, car ces armes, étrangères, (aux armes de l'oncle Sam) limitaient la souveraineté. Aucun Allemand n'oserait s'exclamer en son âme et conscience - vive la bombe ! -. En France, c'est légal. Abandonner le nucléaire, pour certains de nos concitoyens mâles, c'est se couper les couilles, ou du moins ne pas en avoir ; MAM, lorsqu'elle était à la Défense, expliquait que désarmer, c'est - se coucher - devant l'ennemi, se retrouver - tout nu - pour ne pas dire - impuissant - face à ceux qui voudraient s'en prendre à nos 'intérêts vitaux'. A l'heure de l'affaire D.S.K. où l'indéfendable se défend, c'est édifiant. Chez nos voisins, l'atome fut un mal nécessaire, une retombée d'une guerre froide qui a failli mal tourner. D'ailleurs, depuis 2005, Berlin réclame au Pentagone qu'il arrête de squatter les bases aériennes de Ramstein, aujourd'hui de Büchel où s'affairent encore quelques Tornado qui embarquent des têtes nucléaires made in the USA.

Les options dépendent-elles des ressources ? Evidemment ! Entre deux voisins qui savent capter le soleil et dompter le vent, l'un dispose d'ex-colonies assez dociles pour pomper de l'uranium dans le sous-sol, (dont le Nier), l'autre pas. Le handicap de l'un est un atout pour l'autre et réciproquement. Grâce à la décision d'Angela Merkell, Berlin ne va pas marcher sur nos plates-bandes en matière d'exportations et de transferts de technologie. Nous avons donc les moyens de valoriser nos 'acquis atomiques' et ...on ne change pas une équipe qui perd ! Le surarmement énergétique et son gaspillage s'allient admirablement avec le surarmement tout court. Ce n'est donc pas le moment de convertir nos sous-marins en bateau de plaisance.

Grâce à la décision allemande, l'exception française revient en force. Nous avions déjà un PC qui vante l'efficacité et la sûreté du nucléaire civil tant qu'il n'est pas privatisé à la Tepco. Nous avons une gauche et une droite qui vénèrent l'impartialité du C.E.A., capable de veiller sur les centrales comme Allègre veille 'scientifiquement' sur le climat. Nous allons être capables de 'sécuriser' les zones vulnérables autour des centrales, des sites d'enrichissement, de retraitement et de déchets. Nous avons désormais la certitude que l'armement nucléaire remplit aussi la fonction - inespérée - de maintien d'un certain ordre...

 In Charlie Hebdo, 14 juin 2011