Le rêve d'Eva Joly et la polémique qui s'ensuivit devraient faire en sorte que les questions de défense soient au cœur des débats de la Présidentielle ; que les citoyens se déterminent en fonction de cet enjeu.
1. Refuser de jouer à cache-cache
Le Cachez cet armement que je ne saurais voir ! peut faire sourire et les âmes les plus prudes pourront s'en contenter. Mais décréter demain que le ministère de la défense devrait s'appeler le ministère de la paix est trompeur. À chaque Etat correspond un certain type de défense - L'Etat social et politique d'une nation est toujours en rapport avec la nature et la composition des armées. C'est en fonction d'elles (nature et la composition des armées) que l'Etat définit ses priorités dans la 'gestion' de la population civile ; et le recrutement de ceux qui sont chargés du maniement des armes se fait en fonction des options en matière de défense. Selon l'idée que l'on a du type de société à réaliser, on penche vers telle ou telle option en matière de défense. Qu'apporte la dissimulation ? Pour les salons de l'Armement, Eurosatory, Euronaval, même Le Bourget, des voix se font entendre pour les condamner. Pourtant, ces salons, faut-il les interdire ?
Leur bannissement aurait pour effet d'accroître les circuits parallèles, avec sa mafia et son argent sale. La transparence est un combat. Il le fut naguère pour connaître le nombre exact des essais nucléaires (un aveu qui n'intervint qu'en 1993). Il l'est pour les archives, il le sera pour les vétérans, les rétro-commissions de Taipeh à Karachi, ou pour le sort des bateaux de pêche coulés par erreur par des sous-marins en exercice.
2. Tous les chemins mènent aux Champs Elysées
Conformément au rêve d'Eva Joly, un défilé peut être très hétéroclite et inclure toutes sortes de publics. En Inde par exemple – oui, des défilés, il en existe ailleurs qu'en Corée du Nord - les éléphants, couverts de bijoux et de tissus aux couleurs flamboyantes, sont les vedettes du Républic Day le 26 janvier. Ils sont montés par des enfants récompensés dans leurs écoles pour leur courage. Sarkozy en a été le témoin en 2008. Depuis, les éléphants peu disciplinés ont été écartés et les jeunes lauréats sont juchés sur des véhicules militaires.
3. L'exception française, un atout à valoriser
Si tous les militaires du monde ne défilent pas au pas le jour de leur fête nationale, y a eu des variantes qui nous éloignent de la simple démonstration de force. Pour varier le ton, on aurait pu dire comme l'a fait Giscard d'Estaing en 1994, en voyant défiler des militaires allemands : Il y a des lieux pour la réconciliation ! Et pour réconcilier les citoyens ? Il existe des initiatives locales, au sein de l'Hexagone, qui pourraient 'en rajouter' toute l'année. Un exemple ? L'association des Villes marraines. Créée en 1986, cette association réunit en 2011 l'ensemble des 150 collectivités territoriales, communes et départements. Chacune parraine l'une des huit unités opérationnelles de l'armée de terre. Et pas de jaloux chez nos amis de La Royale : la Frégate Latouche-Tréville est filleule de Saumur ; la frégate la Motte-Picquet est marraine de Rennes. Depuis octobre 2001, Paris est la ville marraine du porte-avions Charles de Gaulle. Ceci démontre, s'il en était besoin que des efforts sont entrepris pour 'souder' les armées et le peuple et la nouvelle appellation du ministère de la défense – qui est aussi celui ides anciens combattants – va dans le même sens. L'armée ne veut pas se couper de la nation, même si le rapport à la mort des soldats fait que ce métier n'est pas un métier comme les autres. Via l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, (IHEDN), notre chère patrie dispose de plus de 30 associations régionales qui soutiennent le développement des correspondants défense dans les communes et qui participent aux réserves opérationnelles et citoyennes. On pourrait donc proposer, à défaut de voir des enfants sur des chars (ou des éléphants), nationaliser l'événement avec des représentants des différentes communes.
4. Ce qui est 'pro' n'est pas forcément mieux
On a coutume de dire que les mauvaises herbes poussent toujours et bien oui, 15 ans après la 'suspension' du service national, les mauvaises herbes n'ont pas été arrachées. Ou pas correctement. Et voilà que le malaise éclate un 14 juillet...Joly clin d'œil ! Oui, malaise il y a depuis que l' armée de la nation qui défile sur les Champs (Elysées) est une armée de professionnels. D'ailleurs, en mai 1989, le 29 mai 89 très exactement, lorsque Giscard se prononce en faveur d'une armée de professionnels, Antoine Waechter (et la gauche) répliquent en affirmant leur attachement au service national. Et il serait faux de croire que les militaires se réjouissent tous d'être passés à une armée de volontaires.
Maintenant, la voie est ouverte pour proposer, comme le fait Ségolène Royal, un moratoire sur la fermeture des régiments ; ou introduire une loi qui empêcherait aux enfants de militaires de devenir militaire à leur tour, histoire de s'assurer que ce monde ne fonctionne pas en circuit fermé.
5. S'exhiber oui, mais en sachant pour quoi
L'exhibitionnisme militaire n'est pas un péché, ni même un abus de pouvoir. Quand on est le premier propriétaire foncier de France, (0,5% du territoire), on peut s'arroger le droit d'occuper du terrain. Et pourquoi ne pas en profiter pour frimer un peu ? Il y a dans l'imaginaire collectif un peu de cocorico. La France et ses élites se vivent comme une grande puissance, avec des capacités de projection. C'est l'un des rares pays à posséder des sous-marins, l'un des rares à avoir un porte-avions à propulsion nucléaire, même s'il n'est opérationnel que deux jours sur trois. La France est l'un des neuf Etats à avoir des têtes atomiques qui en imposent. Dans la compétition mondiale des dépenses d'armement par habitant, nous sommes devancés par les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite et le Royaume-Uni. Pour ce qui est des dépenses d'armement nucléaire par tête de pipe, nous figurons au 3ème rang sur le podium, juste derrière Israël et les Etats-Unis. On peut ricaner sur ce besoin de montrer ses muscles, en faisant le pari que cela n'impressionne personne, pas même les attachés militaires étrangers flanqués à la tribune officielle. Mais il serait tout aussi réaliste de se dire que les nantis éprouvent le besoin de s'armer – et de le faire savoir. Ce qui peut passer pour de l'arrogance de l'homme blanc n'est souvent que mauvaise conscience. Les nantis savent bien que les crève-la-faim, les exclus qui sont privés de 80 % des ressources naturelles de la planète, seront de plus en plus tentés de réclamer leur dû, et contester la répartition des richesses telle qu'elle est pratiquée. Que les voyeurs d'un 14 juillet méditent ces propos.
6. Assurer la sécurité et les sécurités
Vouloir 'civiliser' ou démilitariser les célébrations du 14 juillet est à la fois complexe et évident dans la mesure où les menaces militaires n'apparaissent plus comme le seul facteur d'insécurité dans le monde. Pas besoin d'avoir fait Polytechnique pour repérer l'avènement de la sécurité écologique, les débats sur la sécurité alimentaire, énergétique, la sécurité humaine. La France ne veut pas forcément se retrouver dans la situation d'Israël qui, à force de se bunkeriser, a omis de consacrer le moindre shekel pour affronter les flammes d'un incendie de forêt et à dû emprunter des Canadairs à des voisins ou alliés compatissants !
Le concept de sécurité civile est apparu au milieu des années soixante-dix, se définissant comme la prévention des risques de toute nature, ainsi que la protection des personnes, des biens et de l'environnement contre tous sinistres et catastrophes, en temps de paix et de crise. A ce titre, la sécurité civile constitue une composante de la défense qui a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances, et contre toute forme d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire ainsi que la vie de la population.
Au final, et si c'était l'Afrique, unie, qui en conscience, portait les Casques Rouges jusqu'à la tribune de l'Assemblée Générale de l'ONU ? L'article 13 du Protocole créant le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'Union africaine porte sur la Force africaine en attente, dont l'un des volets du mandat est l'assistance humanitaire, pour atténuer les souffrances des populations civiles dans les zones affectées par les conflits et par les catastrophes naturelles.
L'Afrique solidaire pourrait graver le droit au secours dans le marbre de la Charte de l'Union Africaine. L'Afrique seulement ?
Reste à savoir comment, sans être un naïf inconséquent ou encore un pacifiste bêlant (dixit Hernu), comment transmettre ces images, faire défiler les pompiers, OK, mais aussi les garants d'une sécurité énergétique, les agents du SAMU Social. Les casques bleus aussi. En ouvrant dès 2012 un centre de formation comme cela se fait en Finlande. Un défilé pourrait aussi un jour inclure un détachement de casques verts , unités réclamées par les écologistes il y a vingt ans, déjà. Ces casques verts seraient sûrement plus utiles que les incantations en faveur d'une autorité mondiale de l'environnement, nouvelle usine à gaz onusienne dont les Etats pauvres se méfient, à tort ou à raison.
7. Attention au 'dépenser moins pour mourir moins'
Quelle que soit notre attirance pour la pensée au garde-à-vous, la baisse de budgets militaires ne va pas tout régler, loin de là. La décroissance a des limites, n'en déplaise à l'écologiquement correct. Comme pour le développement durable que les forces armées tentent d'intégrer, les généralités masquent les ignorances. Les Verts (EELV) ont prôné durant longtemps, trop longtemps, qu'il suffirait par exemple d'affecter 1 % du budget de la Défense à la paix et à la résolution des conflits avec un Corps Civil Européen de Paix (CCEP). Espérons qu'ils ont dépassé le stade du pays de Bisounours. Car d'autres exigences s'imposent.
Les Chinois dépensant aujourd'hui 23 fois moins que les Français, nous disposons de quelque marge. On pourrait considérer une réduction de nombre de kilomètres carrés des terres affectées/sacrifiées aux manœuvres et les tirs - sans oublier que les militaires n'ont pas été à l'origine de l'affaire de l'extension du camp du Larzac (1). Cela aurait pour inconvénient de mettre les sites Natura 2000 entre les brigands de l'immobilier, mais pour avantage écologique d'accélérer l'apprentissage par simulation. Si l'indépendance n'a pas de prix, le carburant englouti dans toutes les activités et incursions militaires assure sans doute une grande partie de notre dépendance à l'égard des ressources pétrolières étrangères. Aussi nous faudra-t-il cogiter pour doser la fermeture de telle ou telle base, dans telle ou telle ex-colonie, l'élimination de tel ou tel système d'armes et selon quel critère. Cet exercice est subtil car celui ou celle qui croit que les mêmes règles peuvent s'appliquer à tous se plante. Tout comme l'interdiction de ne pas dépasser les 20 km/ heure pour la tortue, le guépard et le pingouin. Ce qui semble évident pour la conduite automobile, l'est encore davantage pour l'éducation des enfants ou la gestion des armées.
Pour revenir à l'argent qui n'est pas seulement le nerf de la guerre mais de la paix, la France pourrait plafonner ses dépenses d'équipement et de fonctionnement à 1% du PNB. Le chiffre n'a pas été pris au hasard : le Japon s'impose cette restriction depuis 1976. Mais pas de démagogie : le désarmement n'est pas un long fleuve tranquille. Il coûte cher. Un Etat comme le nôtre ne peut se défiler pour le déminage ou dépollution des sols, la décontamination des bases, le désamiantage des bâtiments de la Marine, etc. Assurer le démantèlement des sous-marins, surveiller le cœur des réacteurs, c'est aussi du savoir faire, de la volonté politique et ...de l'argent.
Même si le défilé le cache bien, la crise frappe aussi les forces armées. Il y a crise dans les effectifs. En perdant 6000 marins d'ici 2014, la marine va se serrer la ceinture, les marins feront à deux ce qu'ils faisaient à trois. Les restrictions budgétaires dramatisent la crise de recrutement, et la défense au rabais implique le recours systématique au système D et au privé. Enfin, la façon dont sont traités les vétérans mérite un coup de gueule dans un pays qui pavoise en raison de ses traditions militaires et salue ses morts en laissant dans l'ombre ou le désespoir ceux et celles qui sont paumés et traumatisés à vie.
8. - Penser la défense d'un point de vue écologique
Que les centres du CEA soient labellisés ISO 14001 n'est pas la panacée. Pour assurer la sécurité du citoyen, il vaut mieux comptabiliser les dégâts et évaluer la dépollution. Concernant les munitions chimiques, des lacs comme Arillé et Gérardmer méritent des soins attentifs. Dans l'outre-mer, de nombreuses munitions de la 2ème Guerre Mondiale reposent encore, dont des mines dans le lagon de Nouméa. Si la France peut se prévaloir d'être le premier Etat membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU à avoir ratifié (en mai 1995) cette Convention sur l'interdiction des armes chimiques, l'usine de destruction des munitions chimiques anciennes (le projet Secoia) ne sera opérationnelle qu'à partir de 2012 et plutôt 2016. Motif : le manque d'argent !
Tandis que des efforts sont entrepris à Brest pour tenter la reconversion des arsenaux et concevoir un pôle d'excellence dans le démantèlement des sous-marins, d'autres réflexions et propositions sont à mettre sur la table. Parmi elles, la mise en place d'un programme Des mégatonnes à mégawatts – afin de fournir un débouché énergétique au démantèlement des têtes nucléaires, comme le font les Russes en vendant leur électricité aux Etats-Unis, et ce depuis février 1993, à partir de la conversion de 500 tonnes d'uranium hautement enrichi.
Œuvrer pour la sécurité écologique, c'est réclamer de la France, signataire du Protocole de Kyoto, d'arrêter d'exempter les activités militaires. Sachant que 70 % de toutes les émissions de dioxine de carbone émises par l'Etat sont à mettre sur le compte du ministère britannique de la défense (MOD), l'empreinte écologique de notre ministère mériterait quelque attention. Enfin, si l'on dresse la liste des pays qui se sont engagés pour la 'neutralité carbone' - le Costa Rica, l'Islande, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et Monaco – on s'aperçoit aisément que ce sont des Etats qui dépensent un pourcentage infime de leur PNB pour leur armement, voire zéro.
Dans le cadre d'un programme à présenter aux électeurs, dressons l'aperçu de quelques priorités. Adhérer à la convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires, dite ENMOD. Un passage obligé. La France aurait pu le faire depuis 35 ans (2), et d'autant plus que c'est le premier traité, signé par tous nos voisins et amis, qui évoque la guerre environnementale. Parmi les autres options qui ne coûtent pas cher, un ministère chargé de notre sécurité peut débloquer des fonds pour les lanceurs d'alerte qui méritent une protection juridique, et trouver de nouvelles orientations pour démilitariser la recherche scientifique. A défaut de 'zéro mort' qui ne leurre personne, l'objectif de 'zéro armes à uranium appauvri' est concret, réaliste, et vise la fermeture du centre de Bourges.
9. Revisiter nos alliances et nos chaînes
Sans faire allusion aux propos d'Eva Joly, Gérard Longuet a mis les choses au point : Nos moyens militaires n'ont pas vocation à animer des parades (JDD le 31 juillet 2011). Une façon diplomatique de dire nous ne sommes pas là (en Libye par exemple) pour rigoler. Espérons-le ! Mais l'interventionnisme ne nous évitera pas la question délicate des relations franco-américaines. Le complexe militaire surdimensionné des Etats-Unis pourrait connaître des lendemains aussi pénibles que ceux qu'a connus l'URSS au moment de sa chute. Et si certains sont allergiques à 'La Grande Muette', c'est tout de même dans ses rangs (à elle) que la question qui fâche a été posée : peut-on encore être anti-américain depuis que la France a rejoint le commandement militaire de l'OTAN ? (général Vincent Desportes). D'ailleurs, alors que l'OTAN n'est plus indispensable à l'Empire, il y a beaucoup à cogiter pour trouver la sortie. Pour l'instant, une répartition des tâches se précise : les Etats-Unis s'occupent de l'espace, et de sa militarisation ; ils se focalisent sur l'Asie en ayant à l'esprit leur bras de fer avec la Chine. Quant aux Européens qui gesticulent, ils sont chargés de neutraliser les voyous , ce qui est tout de même beaucoup moins valorisant. De plus, l'intervention en Libye a fait exploser l'Europe de la défense. Tout comme l'accord nucléaire franco-britannique.
10. Nucléariser le débat
Peut-on imaginer un lien entre les forces nucléaires et le peuple ? Même s'il n'y a plus d'appelé parmi les équipages de sous-marins ? Si oui, tentons de faire passer le message, quitte à exiger que les sous-mariniers et sous-marinières (parité oblige) défilent le 14 Juillet, eux et elles aussi. Ce qui ne nous empêcherait pas d'épouser le rêve de voir défiler des représentants de collectivités locales qui, à l'instar de ce qui se fit au Royaume-Uni durant l'époque Thatcher, s'étaient déclarées zones dénucléarisées, y compris le Pays de Galles et Manchester.
L'idée d'un référendum est-elle si hérétique. ? Faisons appel à notre mémoire : lors d'un entretien à la télévision le 10 mai 1994, Mitterrand n'exclut pas un referendum en cas de conflit entre le gouvernement et le parlement sur la doctrine nucléaire.
De toute façon, la dénucléarisation du continent constitue un casse-tête dont l'issue nous dépasse. Que Paris ait évité l'inscription, dans le concept stratégique de l'OTAN à Lisbonne en novembre(2010), de l'engagement de désarmement nucléaire ne doit pas étonner. Mitterrand s'y opposait déjà dans les années 90. Et les plus 'accrocs' au dogme nucléaire rappelleront que notre arsenal constitue au bas mot 5 % du potentiel nucléaire mondial et qu'il n'y a pas lieu de s'en émouvoir.
11. Le nucléaire n'est pas affaire d'interdiction
Se prononcer contre les munitions nucléaires est louable, qu'elles soient emportées sur des Rafale ou embarquées sur sous-marins (à 95 % chez nous). Le bon sens aidant, ces armes sont incapables de dissuader le moindre terroriste ou terrorisme. Le 'Global Zero' nucléaire, très 'people', fait recette. Il rassemble des partisans et surtout ceux parmi les convertis-repentis de la dernière heure, des anciens va-t-en guerre nucléaire, surnommés avec ironie les chevaliers de l'Apocalypse. Tous prônent l'abolition. Pour référence dans la croisade, la Cour Internationale de Justice de La Haye. Pourquoi ? Parce qu'elle s'est exprimée en 1996 sur l'illégalité de l'usage ou de la menace par des armes nucléaires. Sauf que. Par sept voix contre sept, la Cour ne peut cependant pas conclure de façon définitive que la menace ou l'emploi d'armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d'un Etat serait en cause . La Cour a donc implicitement reconnu que le droit international ne peut pas priver un Etat du droit de recourir à l'arme nucléaire si cela constitue l'ultime moyen par lequel il compte assurer sa survie. Bref, le jugement ne fait pas avancer la cause, sème le doute et flingue toute solution qui passerait par le recours à la loi. Tant mieux peut-être et tant pis pour les juristes : après tout, l'arme nucléaire – baromètre du pouvoir des Etats dans le monde – n'est pas un simple poison qu'il faudrait bannir des théâtres d'opération comme on interdit la cigarette dans les lieux publics, les trottoirs et les plages.
12. Sortir des clichés sur l'unilatéralisme
Eva Joly déclare le 30 juin 2011 sur les ondes de France Inter Pas de sortie unilatérale de la dissuasion nucléaire. Mais pourquoi ce braquage à contretemps ? Pour ne pas paraître trop naïve ? Pour s'immuniser contre quelle école du pacifisme ? D'un point de vue politique, la remarque est regrettable : c'est laisser entendre qu'on préfère les magouilles inter-gouvernementales (sur les armes dites tactiques , par exemple, qui n'ont 'que' 500 km de portée (3), favorisant ainsi le statu quo plutôt que les mobilisations populaires, et les actions de masse. Secundo, la remarque pêche par manque de réalisme politique. Observons la diplomatie atomique française. C'est aujourd'hui le seul État doté d'armes nucléaires qui a déployé des systèmes d'armes nucléaires sol-sol (au plateau d'Albion) et, de façon unilatérale, les a éliminées. Est-ce condamnable ? En mai 1989, Gorbatchev annonça le retrait unilatéral de 500 ogives nucléaires dispersées sur la partie européenne de l'URSS. Une erreur ? Heureusement que le Cambodge n'ait pas attendu un geste multilatéral pour inclure dans sa Constitution l'interdiction de présence de bases étrangères ; heureusement que la Mongolie n'a pas raillé l'unilatéralisme quand son gouvernement a décidé, avec vote au Parlement, de garantir la dénucléarisation du territoire national ! Etonnement, les précautions oratoires d'Eva Joly semblent contredire d'autres voix parmi les vertes. Parmi elles, celle de Dominique Voynet qui déclarait tantôt : Je considère que la France aurait tout intérêt à montrer le chemin en prenant des initiatives fortes vers un désarmement unilatéral à l'instar de la Suède ou de l'Afrique du Sud (4).
13. - La réintroduction du politique
Rien ne sert de résumer. On pourra sûrement philosopher sur l'insoutenable pesanteur d'un armement, - qui est aussi une manière de penser - songer au statut qu'il confère, et épiloguer sur la dimension politique des aventures nucléaires de par le monde. Mais à défaut d'enclencher une dynamique qui réconcilie la défense de l'écologie et une défense écologique, braquons nos projecteurs sur un passé pas si lointain, du temps du mouvement pacifiste trans-européen. Sans nostalgie. Mais pour montrer que les enjeux relatifs aux armes sont déterminants. Ce mouvement a eu pour acteurs et interlocuteurs des intellectuels d'END de Dublin à Athènes, des démocrates soviétiques comme Pliouchtcht, les membres de la Charte 77 à Prague, des "dissidents" comme Wolf Bierman en Allemagne de l'Est. Il a eu pour complices des mouvements de femmes et des syndicats d'appelés. Il s'était fixé pour objectif de ne pas accueillir de SS 20 et des GLCM, (acronymes yankee pour missiles de croisière basés au sol). Ce faisant, il fut contraint d'élargir son champ d'intervention, avec des associations religieuses et des militaires. Il a été le déclencheur de tout le mouvement pour les droits civils à l'Est (européen). Quand bien même l'OTAN tente de revendiquer sa victoire dans la guerre froide, ce mouvement a joué un rôle indéniable dans le processus qui a conduit à l'effondrement du Mur de Berlin.
Voici quelques 'leçons' et/ou quelques rappels pour considérer que le débat – concernant tout citoyen y compris sous l'uniforme – ne devrait exclure personne, ni le 14 juillet, ni un autre jour.
BC, Juillet 2011
Notes
1 – Contrairement à la légende cf. J. Toulat, Combattant de la non-violence, ed Cerf, Paris 1983
2. - La France a pris 22 ans pour signer le Traité de Non Prolifération nucléaire ou TNP
3. 'Tactique' par rapport à quoi ? sic !
4 * Alternatives non-violentes n ° 157, 4e trimestre 2010