L’armée française est engagée depuis maintenant une douzaine d’années dans un nombre grandissant d’opérations extérieures (Opex) - semble-t-il payantes en termes de sondages - mais dont la cohérence stratégique devient de moins en moins claire. Que coûteront-elles au final ?
Dans l’opération otanienne en Afghanistan, décidée dans l’émoi du 11 septembre 2001 3 600 soldats français ont été déployés en permanence jusqu’en 2014. A ce jour, l’engagement depuis 2001 a coûté près de 3 milliards d’euros pour les seules dépenses militaires et, à l’échéance de 2014, le surcoût total lié à l’opération devrait avoisiner les 3,5 milliards, notent Philippe Meunier (UMP) et Philippe Nauche (PS).
Mais ces chiffres n’identifient que le surcoût, soit les dépenses supplémentaires occasionnées par un engagement extérieur (augmentation des soldes, frais de transport, nouveaux équipements, munitions consommées, etc.) et les frais de retrait.
Selon Gérard Longuet, ancien ministre de la Défense, la guerre en Libye, qui a duré environ deux cent quarante jours, avec un coût journalier estimé à un peu plus de 1 million d’euros par jour, a donc coûté 300 millions d’euros. Comprenant le prix des munitions utilisées, qui représentent plus d’une centaine de millions d’euros car leur consommation a été très forte du fait de l’absence de troupes au sol dans ce conflit. La France effectuait encore près de 150 sorties aériennes par semaine. Enfin, il y a les primes versées aux soldats engagés.
Avant même le début des opérations de bombardement en Irak, le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, avait évalué, en juillet 2012, le coût des opérations extérieures à 775 millions d’euros. Le coût des Opex s’était élevé à 1,25 milliard d’euros en 2013, soit le double de la provision budgétaire de 630 millions d’euros. Idem en 2014 avec le Mali et la République centrafricaine. L’opération malienne est devenue sahélienne puisque le terrorisme international s’est étendu à toute la zone sahélienne.
Pour la guerre contre l’Etat islamique (EI), le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a estimé que les opérations menées en Irak depuis le 8 août et en Syrie maintenant coûtaient aux Etats-Unis de 7 à 10 millions de dollars par jour. Ce sont, toutefois, des estimations basses.
Toujours contre l’EI, on peut retenir pour l’armée française un coût proche de celui de la Libye, surtout depuis l’arrivée du porte-avions Charles-De-Gaulle, soit plus de 1 million d’euros par jour, donc en six mois, quelque 250 à 300 millions d’euros. Le financement des opérations extérieures de l’armée française en République centrafricaine, au Tchad et en Côte-d’Ivoire devrait s’élever environ à 1,1 milliard d’euros par an, selon le ministère de la Défense.
Au total on serait dans une fourchette réelle de 2 à 3 milliards par an en coût de remplacement, hors dommages humains. Mais le coût réel de ces guerres est plus difficile à chiffrer.
Le coût des blessés
En effet, les études américaines doublent le coût budgétaire d’une guerre pour en évaluer le coût réel et, comme le fait la spécialiste de l’université Harvard, Linda Bilmes en y ajoutant le remboursement des emprunts et surtout la gestion des anciens combattants en termes de pensions et de soins médicaux. D’après ce rapport, un ancien combattant sur deux a déjà soumis un dossier pour toucher des indemnités d’invalidité à titre permanent. Or, en l’espace de 11 ans, entre 60.000 et 70.000 soldats français sont rentrés d’Afghanistan : 88 tués et 700 blessés ayant bénéficié d’une interruption de service supérieure à un mois.
Aujourd’hui, 90% des blessés de guerre survivent, contre 50 % lors de la guerre du Vietnam et un tiers lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais beaucoup de militaires sont bi ou tri-amputés. Si on prend la base de 1 000 blessés sur une durée de vie de quarante ans, il faudrait budgéter de 400 à 500 millions d’euros pour les seules pensions d’invalidité.
Les traumatismes de la guerre sont une bombe à retardement avec des conséquences apparaissant plusieurs années après. Sur le plan psychique, plus de 20% des GI souffrent de syndromes de stress post-traumatiques mais seulement la moitié d’entre eux a cherché à se faire soigner. En France, en 2012, 450 militaires étaient en traitement pour ces syndromes.
Même si les méthodes américaines de calcul ne sont pas totalement transposables, cela donnerait, pour notre pays, un coût complet de la seule guerre afghane de 8 à 10 milliards d’euros, 1,2 milliard pour les guerres aériennes en Libye et en Irak heureusement moins meurtrières si elles restent aériennes.
Le coût des OPEX
Barkhane, qui succède à Serval, ne peut encore être chiffré. C’est donc un gouffre financier qui se creuse avec régularité.
Il reste à mentionner que ces guerres sont, pour l’essentiel, des échecs et, quand elles ne le sont pas, elles s’inscrivent dans une durée imprévisible. En Afghanistan, l’OTAN n’a pas fait mieux que les Soviétiques : 120.000 hommes engagés, sans compter les sociétés militaires privées, (SMP) et des actions militaires étendues au Pakistan, avec pour résultat une montée en puissance des talibans et de l’économie de la drogue. La Libye n’a plus le plaisir de recevoir la visite de BHL tant la situation y est devenue dangereuse et génératrice de troubles régionaux. Le terrorisme, qui devait s’éteindre à la suite de des opérations au Mali, refleurit, y compris sur le territoire national. Nos Djihadistes nationaux sont-ils découragés ou excités par ces interventions tous azimuts ?
Enfin, en termes proprement stratégiques, on peut se demander si la guerre contre l’Etat islamique (EI) est la nôtre ou celle des pays musulmans : la France a trois fois plus d’avions engagés que Riyad. Une nouvelle croisade pour défendre l’Arabie Saoudite, qui déploie le même nombre d’engins que la France et le Danemark cumulés ? Cocasse non ? Que ferons-nous si la crise en Ukraine s’aggrave ?
Pierre Conesa
Maître de conférences à Sciences-Po, le 16 mars 2015
Dernier ouvrage paru : La Fabrication de l’ennemi, éd. Robert Laffont, 372 pp.