Parmi les nouveautés exhibées au défilé du 14 juillet à Paris, l’avion Pilatus PC-21. Cet avion d’entraînement suisse, avion à hélice bon marché destiné aux pilotes de chasse, n’offre pas seulement de belles performances : il aurait un coût d’exploitation cinq fois moins élevé que celui de l’Alphajet. L’exportation de ces Pilatus participe au boom de l’industrie d’armement suisse. Le secteur emploie, fournisseurs compris, entre 10.000 et 20.000 personnes. Il se porte bien. Plus de 230 PC-21 sont en service dans neuf forces aériennes de par le monde. Pour la France, les PC-21 seront stationnés à la base aérienne de Cognac-Châteaubernard (militaro-civile) à partir de 2023, une base sur laquelle ils sont utilisés depuis 2018. Les premiers pilotes ont achevé leur formation en 2020. Le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), qui octroie les autorisations d’exportation aux fabricants d’armes, s’attend à une période faste pour le secteur. Sur le long terme, la tendance est nette : en 20 ans, les ventes d’équipement militaire à l’étranger ont quasiment triplé.
Un avionneur à succès
L’avionneur Pilatus, dont le siège et la principale usine se trouvent à Stans, près de Lucerne, est un des fleurons de l'industrie helvétique avec 2.100 employés. Pilatus Aircraft est à la fois concepteur et assembleur. Avec des filiales de vente aux Etats-Unis, en Australie et en Chine, c’est une marque reconnue. L’entreprise a été créée au début de la Seconde Guerre mondiale, loin des frontières, entre le lac des Quatre-Cantons et le massif du Pilate. D’où son nom. Pilatus est le leader mondial pour les avions turbo-propulsés à un seul moteur.
La saga des Pilatus
Cela fait longtemps que Pilatus défraie la chronique en s’impliquant légèrement dans diverses ‘guerres sales’ sur toutes les latitudes. Pour opérer sur certains théâtres d’opérations et ‘killing fields’, le Pilatus PC-7 ne manquait pas d’atouts : le client pouvait le modifier en bombardier du pauvre ! C’est pourquoi le Pilatus a acquis une certaine renommée à travers le monde, davantage (encore) que le chocolat Toblerone ou que les montres Swatch ! En plein embargo international d'armes vers l'Afrique du Sud en 1963, Pilatus s’est frayé un chemin. Ce scandale n’a pas suffi Il y a eu le Nigéria en 1967, qui valut au PDG Dieter Bührle une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie d'une amende (1970). Depuis cette époque, d’autres gouvernements ont sollicité les compétences de Pilatus dont les petits chefs au Guatémala, les putchistes Birmans, les dirigeants Angolais et récemment encore, les Talibans, une scoop que l’on doit à une équipe de l’émission de la RTS ‘Temps Présent’ qui a enquêté (en collaboration avec SRF, RSI, la NZZ am Sonntag et l’ONG Lighthouse Reports) sur le rôle joué par un avion Pilatus, le PC-12, (dont le coût avoisine les 4,4 millions U$ en configuration de base) dans un bombardement sur le district de Shuhada, en Afghanistan, un certain 15 juillet 2021.
En 1979, Pilatus vend une cinquantaine de ces appareils à Saddam Hussein. Les Irakiens s’en servent alors pour déverser du gaz (sarin et moutarde) sur le Kurdistan iranien. En 1982, c’est l’Iran qui fait l’acquisition de 35 PC-7. Pour les transformer en engins de guerre. Mais comment font-ils ? En 1978, le journaliste Ariel Herbez de l’hebdomadaire ‘Tout Va Bien’ lance un pavé dans la mare : les PC-7 possèdent six points renforcés dans les ailes et ce détail laisserait à penser qu’ils peuvent jouer un rôle dans la lutte antiguérilla. Ces infos seront accueillies par un déni digne des ceux de Florence Parly qui, dès le mois de janvier 2019, expliquait sur les ondes de France-Inter qu’elle n’avait pas connaissance que des "armes [françaises] soient utilisées directement dans ce conflit". Avec le même aplomb, les autorités helvétiques vont jurer la main sur le cœur qu'il est impossible d'armer ces avions d'entraînement et de les utiliser à des fins militaires. Les points d'ancrage situés sous les ailes ? Ils sont là ‘pour leur permettre de prendre des charges supplémentaires comme des réservoirs, du foin pour les animaux en détresse en montagne ou des appareils de sauvetage’, comme l’assure le chef de la division juridique du Département militaire fédéral (DMF) qui se dénomme depuis 1998 le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports . Pour réfuter ces allégations, il faudra disposer d’une preuve que fournit en juillet 1984 le journaliste d’investigation Roger de Diesbach (Capitaine à l'armée), qui s’est procuré une pub émanant du constructeur. Dans ce prospectus qui n’aurait pas dû circuler et surtout pas attirer l’oeil de reporters scrupuleux, l'entreprise Pilatus recommande à ses clients, photos explicites à l'appui, les armements à installer sur le PC-7 . La modification relativement peu coûteuse, prend une dizaine de jours. Elle est pratiquée (par exemple) par la fabrique Herstal SA, une entreprise d’armement belge, qui procède à l’installation des armes (mitrailleuses, roquettes, bombes), du système de visée et des connexions indispensables. D’où la blague : le Pilatus civil est le champion de la bombe et du canon. D’ailleurs, la société Pilatus peut adapter le cockpit et lui donner l’allure similaire à celui des avions de chasse comme l’Eurofighter ou le Saab Gripen, ou …le Mirage 2000 (boudé par les Suisses comme le Rafale).
L’exception helvétique
Le boom des ventes est appréciable car le secteur des biens militaires exporte aussi du matériel qui n’est pas classé comme ‘matériels de guerre’. Ce détail est important : la Suisse est le seul pays d’Europe occidentale à ne pas classer les avions militaires d’entraînement dans la catégorie du matériel de guerre. Grâce à cette lacune juridique, les Suisses ‘civilisent’’ leurs aéronefs et voilà pourquoi les Pilatus, l’équivalent vert-de-gris du canif rouge à la croix blanche, peuvent être livrés à des Etats comme les Emirats Arabes Unis, ou l’Arabie Saoudite, impliqués dans la guerre au Yémen. Contrairement au fusil d’assault Sig Sauer 500, aux mains des forces spéciales Saoudiennes, il s’agit d’armes qui ne sont pas reconnues comme telles. B.C.