L'exception française

Des propos plutôt désarmants

LA TERRE DEGONFLEELe débat de la primaire écologiste a battu son plein toute la semaine. Les deux candidats – Yannick Jadot et Sandrine Rousseau se sont retrouvés ce 22 septembre sur le plateau BFMTV. À cette occasion, la candidate écoféministe est intervenue sur la question de l’annulation du contrat de vente des sous-marins nucléaires français à l’Australie en indiquant que cet épisode concernait uniquement la France (…) et pas l’Europe . Elle n’est pas la seule à émettre cette opinion. Et pourtant ...
Une affaire strictement mondiale
Cette affaire des contrats d’armement n’est pas locale. D’abord parce que l’appel d’offres initial auquel Naval Group (dénommée alors DCNS) a répondu, mettait en concurrence les propositions allemandes, japonaises et françaises. Le fait que la France ait été sélectionnée pour ce contrat du siècle joue un rôle essentiel dans l’équilibre des pouvoirs, notamment avec l’Allemagne sur la politique d’armement en Europe (qui existe bel et bien).
Naval Group est le leader européen du naval de défense. Le groupe réalise un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros et compte près de 16.000 collaborateurs (données 2020). Profondément ancré à l’international, il s’illustre dans la vente de dispositifs à de nombreux Etats du monde y compris Taïwan et le Brésil. Sa déstabilisation économique aura forcément un impact sur ses livraisons et sa compétitivité. Là aussi, le sujet n’est pas franco-français puisqu’il s’agit d’apporter les outils de défense à certains pays amis ou alliés.

Jouer avec le feu nucléaire : un problème global

DPRK Submarine PosterLe sujet sous-jacent de ces contrats porte sur la question du nucléaire. À l’heure où des juristes se mobilisent pour inciter (coup d’épée dans l’eau) quelques Etats dont le Vatican, le Lesotho et le Costa Rica à adhérer au Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN – 2017), l’Australie choisit de renforcer son alliance avec l’Amérique du Nord pour bénéficier du transfert de technologie nucléaire, un transfert prohibé par le Traité de Non-Prolifération (TNP – 1968), signé et ratifié par 190 Etats (et tout de même snobés par 4 Etats dotés d’armes nucléaires, 4 sur 9). En tout cas, les deux traités ne recouvrent pas la même légitimité historique et juridique, ils n’auraient pas dû être confondus comme ce fut le cas durant le débat. Il y a donc comme un contre-sens de l’histoire avec les Etats-Unis obnubilés par la menace

chinoise et cherchant à créer de nouvelles bases dans l’Indopacifique et les Australiens qui décident de jouer avec le feu, eux qui déjà dans les années 50 ne cachaient pas leurs ambitions nucléaires. C’est donc, au-delà de la symbolique question française un sujet d’ordre essentiel au regard du droit international, de l’équilibre des puissances dans le Pacifique et de la répartition de la menace de mort au niveau mondial.
Candidat à l’élection présidentielle ou simple citoyen, il nous faut prendre la mesure de l’évènement qui dépasse de très loin ce qui s’est tramé depuis Cherbourg jusqu’à Canberra : sur les 44 Etats nucléaires ou capables d’accéder au statut nucléaire dans un délai de quelques années, identifiés comme tels par le Traité d’interdiction des essais nucléaires, (CTBT), six disposent de véritables compétences et parmi eux… l’Australie ! Le fait de vendre des sous-marins à une puissance qui a des capacités nucléaires n’est donc pas neutre, ni anodin. C’est jouer au petit comptable que de regarder la facture française alors même que le club atomique est en train de s’élargir.

L’Indopacifique : nouveau cœur battant de la mondialisation

NATO NONL’affaire de l’annulation des contrats met en cause la raison d’être de l’OTAN. L’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord, est empreinte d’une dimension occidentale qui s’efface à la mesure que le Pacifique devient le cœur névralgique du nouveau monde. Ce sont ainsi, parmi les pays du G20, pas moins de sept Etats (en sus du nôtre) : l’Afrique du Sud, la Chine, l’Australie, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie et le Japon qui se situent dans la zone. Autant d’Etats de plus en plus riches, peuplés et prédateurs qui se sentent concernés lorsque de nouveaux systèmes d’armes sont mis sur le marché. La France prend d’ailleurs toute sa part dans l’axe Indopacifique en menant des exercices militaires conjoints avec les États-Unis, l’Australie, l’Inde et le Japon en mer de Chine (pour la première fois en mai 2021).

De l'achat d'armes au repositionnement stratégique

Cet épisode des sous-marins est la partie immergée de l’iceberg. La volonté d’influence des Etats-Unis sur la zone s’est renforcée au fil des années. L’Australie ne s’aligne pas sur les Etats-Unis pour se protéger de la Chine, contrairement à ce qu’on peut penser de prime abord. Elle s’aligne sur les Etats-Unis pour s’en protéger en se plaçant sous leur tutelle. Il en va de même de certains Etats européens qui bénéficient depuis l’effondrement du bloc soviétique d’un parapluie nucléaire (ce que Lefebvre décrit comme l’identité singulière de l’Europe dans l’OTAN) ; un parapluie que Trump menaçait de faire disparaître et qui sera bientôt réduit à peau de chagrin.
La question soulevée, grâce à cette crise diplomatique, est celle de la défense européenne. C’est peut-être même la seule conclusion sérieuse et objective qu’on pourrait tirer de la situation : dépendre de Washington pour assurer sa défense et sa sécurité et plutôt risqué. Dans cette zone du Pacifique, nul ne doit compter sur les Etats-Unis pour construire des partenariats fiables. Avant d'être alliés, il existe des concurrents et des rivaux. 
C’est pour toutes ces raisons que l’épisode des sous-marins n’est pas uniquement français ;  qu’il est même avant tout européen et mondial. A partir de là, rappelons-nous que si une élection présidentielle ne se gagne pas sur les questions internationales...et les enjeux géopolitiques, ces questions peuvent plomber les ignorants. La méconnaissance du sujet par certains candidats mériterait qu’on paraphrase Simone de Beauvoir : On ne naît pas stratège, on le devient.
B.C.