Au cours de l’année 2017, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, avait appelé Israël à vider un réservoir à Haïfa pouvant stocker 12.000 tonnes d'ammoniaque et à démanteler la centrale nucléaire de Dimona. "Israël possède l'arme nucléaire mais nous pouvons transformer cette arme en menace contre Israël. (...) Ils savent que nous pouvons frapper leurs réacteurs nucléaires", avait-il ajouté.
Depuis lors, la commission israélienne de l'énergie atomique (IAEC), qui prend très au sérieux le scénario d'une attaque ciblée, a conduit un exercice d'entraînement simulant une attaque de missile contre l'un des réacteurs de Dimona incluant l'évacuation d'employés et la mise en place de mesures contre la fuite de matières radioactives. L'Agence nucléaire admet qu’une attaque au missile contre un réacteur nucléaire constituerait un succès pour la propagande de l'Iran et du Hezbollah ; et provoquerait un climat de peur. Mais elle estime qu’un risque de fuite radioactive est exclu, tout comme une contamination de l’environnement ou de la population dans le désert du Néguev.
Le fantôme de Vanunu
Pourtant, avec ou sans menace de frappe ou de sabotage, Dimona pose problème. Car Dimona renvoie à une affaire qui a fait la ‘une’ dans les années 80 (Sunday Times en 1986) lorsqu’un technicien de la centrale du nom de Mordechai Vanunu a révélé à la face du monde l’existence du programme nucléaire militaire d’Israël. Les révélations de ce lanceur d’alerte (Prix Nobel alternatif en 1987) lui ont coûté 18 ans de prison après une arrestation sous forme de kidnapping à l’aéroport de Fiumicino. Libéré de prison en 2004, il pourrait prochainement rejoindre sa compagne en Norvège. (Oslo a donné son accord). Bien qu’accusé d’être un traître, tous les secrets réels ou supposés dont il aurait été dépositaire ont été publiés par Frank Barnaby dans ‘The Invisible Bomb: Nuclear Arms Race in the Middle East’, à partir des interviews qu’il a menées avec Vanunu.
L’optimisme affiché par l’Agence au sujet de la centrale est loin de faire l’unanimité. Deux études, citées par le quotidien plutôt de “centre-gauche” Haaretz (*),
soulignent qu'en cas d'attaque au missile contre un réacteur nucléaire, la cuve de protection serait endommagée, pouvant engendrer une fuite de gaz radioactif, et perturber les systèmes de refroidissement de ces installations. D’après les conclusions d’un examen mené à l’aide de techniques aux ultra-sons, rendues public lors d’un forum scientifique à Tel Aviv, le cœur du réacteur, dédié officiellement à la recherche nucléaire et vieux de 55 ans, accuse 1537 défauts. Ca fait beaucoup pour un seul réacteur.
Jouer les prolongations
Les informations du Haaretz ont relancé un débat sur la durée de vie des réacteurs. Certains estiment que le grand âge de Dimona ne constituerait pas un obstacle insurmontable. La commission atomique israélienne estime que la durée de vie de 40 ans peut être prolongée ‘de manière significative’. Elle oublie de rappeler que deux réacteurs français construits à la même époque que celui de Dimona ont été fermés dans les années 1980. Elle semble ignorer que le plus ancien des réacteurs nucléaires actuellement en service en France, celui de Fessenheim, a été construit en 1977 ; et que l’exploitation commerciale du doyen des réacteurs, celui de Beznau 1 dans le canton d’Argovie en Suisse a débuté en septembre 1969. Uzi Even, professeur émérite de chimie physique à l’Université de Tel Aviv et l’un des fondateurs du réacteur Dimona est aujourd'hui un partisan de sa fermeture. Il déclare : Le réacteur Dimona est le plus ancien de ce type dans le monde”. “Il a fonctionné depuis 1963 – soit près de 55 ans (*). Plus de 150 réacteurs de son âge, ou plus jeunes, ont déjà été fermés dans le monde en raison de craintes de sécurité ou d’accidents dans leur fonctionnement’.
Le débat s’amplifie. Les appels à la fermeture du réacteur se multiplient. Des députés de l’opposition ont réclamé une réunion parlementaire d'urgence. ‘On ne peut pas attendre qu'un désastre se produise’, a écrit Michal Rozin, députée du parti de gauche Meretz. Comme d'autres députés, elle s'alarme de l'opacité entourant le site. Un site soumis à aucune inspection indépendante. Pour calmer le jeu, un porte-parole officiel a déclaré : ‘Le niveau de sécurité respecte les normes internationales les plus strictes’. Mais la remarque a de la peine à rassurer dans un Etat qui rejette en bloc l’idée même d’inspection ou de surveillance internationale du réacteur…dont l’obsolescence n’est pas programmée.
Jouer solo
A partir des inquiétudes quant à la fiabilité des équipements, les anomalies dont on ignore la nature, faut-il remplacer le réacteur de Dimona ? Derrière cette question se profile le malaise relatif à l’isolement d’Israël. Si Israël n'est pas en mesure de construire seul un nouveau réacteur, comme l’atteste Uzi Even, le refus de toute coopération internationale est-il encore une option ? Membre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Israël adhère à certaines de ses conventions, comme celle sur la notification précoce des accidents nucléaires. Toutefois, Israël n'a pas ratifié celle sur la sûreté nucléaire, un important accord rédigé après l’accident Tchernobyl. L'AFP a retrouvé la trace d'une inspection par une équipe d'experts internationaux du centre de recherche nucléaire de Soreq en 2013, mais aucune de Dimona. On pourrait ajouter une visite (de courtoisie) de El-Baradei en juillet 2004. Bref, en persistant dans sa politique ‘d'ambiguïté nucléaire’ consistant à ne pas confirmer ni démentir qu'il détient la bombe atomique, en s’excluant du TNP dont on célèbre aujourd’hui le 50ème anniversaire, Israël se prive de toute aide étrangère. (ou presque). Jusqu’à quand ? Selon Uzi Even, interrogé par l’AFP, ‘personne ne nous vendra un réacteur avant que nous ayons signé le Traité de Non-Prolifération’ (TNP).
‘L'heure de vérité approche pour la politique nucléaire israélienne’, résume Yossi Melman, journaliste respecté sur les questions de sécurité dans le quotidien Maariv. ‘Israël devra résoudre à l'avenir un énorme dilemme en ce qui concerne sa vieille stratégie de dissuasion’, prévient-il. Une stratégie basée sur la détention non assumée, non confirmée d’environ 115 bombes nucléaires, si l’on se réfère aux estimations de David Albright de l'Institute for Science and International Security basé à Washington.
(*) globalement hostile à Netanyahou, à son sabotage du “processus de paix” et critique vis-à-vis de la “gauche” israélienne en pleine déliquescence politique, intellectuelle et morale.
(**) avec pour objectif de produire suffisamment de plutonium pour équiper l'armée israélienne d'une bombe atomique avant la guerre des Six Jours.
B.C.