Il aura fallu attendre la fin des années 70, et la mobilisation contre les essais nucléaires français du côté du Pacifique (en Polynésie) pour que les Australiens redécouvrent l'existence de leur passé nucléaire, c’est-à-dire leur complicité dans l’aventure nucléaire britannique. Il aura fallu attendre les débâcles de Macron dans sa politique indo-Pacifique pour comprendre que le Brexit de Boris Johnson allait éclabousser la fameuse ‘Entente cordiale’.
Mieux encore, il aura fallu attendre qu’un client Australien d’une entreprise cherbourgeoise dénigre nos sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) pas suffisamment enrichis à l’uranium, bref, pas assez nucléarisés à son goût pour qu’un Français vexé se dise que l’Union Européenne (UE) devrait agir comme ‘multiplicateur de puissance’ et s’imposer davantage sur la scène internationale pour faire valoir un semblant de souveraineté.
Le désarmement en panne
Alors que les lignes de bataille de la nouvelle guerre froide se précisent et que les chances d'éviter une nouvelle conflagration mondiale s'amenuisent, nous assistons ici et là à une re-nucléarisation des politiques de sécurité des États. Parallèlement, nous allons assister à un nouveau front de la part des Etats ‘du seuil’ et des Etats réfractaires au protocole additionnel du Traité de Non Prolifération (TNP).
Les Européens peuvent-ils se permettre d’être marginalisés parce qu’ils ont brandi l’hymne de la ‘puissance tranquille’ et vanté les mérites du soft power ? Ils voudraient s’honorer de ce que certains Etats telle l’Autriche ont inscrit le refus du nucléaire dans leur Constitution, mais il va falloir se rendre à l’évidence que d’autres ont révisé leur Constitution comme la Corée du Nord qui, depuis avril 2012, définit son pays comme ‘Etat doté de l’arme nucléaire’ . Nul ne peut exclure qu’un débat est à prévoir sur l’eurobombe et que la question de l’armement nucléaire de l’espace européen fera partie des grands dilemmes de l’aventure européenne.
Nous sommes contraints d’évaluer ce que représente pour nous l’Australie, cette île-continent, grande comme sept fois la France, et qui n’a jamais enterré ses ambitions nucléaires depuis les années 60, lorsque le Royaume-Uni s’est servi de son territoire (et des Iles Xmas aux alentours) et de son peuple (les Aborigènes-cobayes) pour y effectuer des essais nucléaires entre 1952 et 1957, l’opération Buffalo.
Il n’est pas anodin que la crise franco-australienne et franco-américaine provoque (aussi) un débat sur le combustible nucléaire. C’était probablement inévitable dans la mesure où l’acquisition d’uranium enrichi pour la propulsion de sous-marins constitue une passerelle plus que séduisante pour tout candidat à la bombe. Un contournement non sanctionné par le Traité de Non Prolifération (TNP).
La crise franco-australienne qui, par ricochet, devient une crise franco-américaine, relance le débat sur la raison d’être du TNP ou, plus exactement, ses chances de survie. Nul ne peut exclure que le TNP vole en éclats dans les années qui viennent et/ou que certains Etats soient tentés d’acquérir le statut de puissance nucléaire par d’autres moyens, y compris l’achat ‘sur étagères’ (pour les Saoudiens) la location (pour les Japonais) ou le maintien d’une ambiguïté (Iran). Au regard du feu vert accordé par Washington et avec la bénédiction de Londres au transfert de technologie nucléaire vers un Etat signataire du TNP, non détenteur de la bombe, en l'occurrence l'Australie, les forces politiques ici en France sont invitées à porter un regard novateur sur la prolifération nucléaire. Parce que nous assistons à un évènement assez insolite : dans le cadre d’une coalition anglo-saxonne, voilà que le patron de la coalition (les Etats-Unis) lève un tabou sur la non-prolifération, préfère enfreindre ses propres règles, au risque de faire voler en éclats le régime de non-prolifération qu’il est censé parrainer !
L’armement nucléaire, qu’il soit loué ou honni, est toujours là. Sans vouloir entrer dans une bataille de chiffres, 36 Etats ont été répertoriés par l’ONU comme ayant des capacités nucléaires (civiles ou militaires ou les deux). Ce sont les 36 censés ratifier le CTBT (Traité d’interdiction des essais) pour qu’il entre un jour en vigueur. Une mission qui relève du calendrier de l’impossible. Voilà peut-être pourquoi les débats entre les désabusés de la bombe et les nantis de plutonium ne soulèvent pas la passion des foules. Et les signatures du CTBT par l’Indonésie, la Papouasie Nouvelle-Guinée et le Guatemala ne changent pas la donne.
Mettons-nous d'accord : le nucléaire ….n’est pas seulement une filière énergétique, ni uniquement une munition, c'est l'un des baromètres du pouvoir dans le monde ; il correspond nolens volens à une certaine conception du monde ; il ne peut pas être ‘interdit’ au même titre qu'une cigarette sur la plage ; quoi qu’en pensent ceux qui louent une convention, le TIAN qui, comme disait l’avocat Roland Weil, "vise à interdire les assassinats".
Des Etats frustrés, frappés d’interdiction par le bon vouloir de l’Occident se réveillent. Au Moyen-Orient, on ne se lasse pas de rappeler que la Libye et l’Irak n’auraient pas subi le sort qu’ils ont connu (enduré) s’ils avaient disposé de l’équivalent de ce que brandit Kim Jong Un à partir de la Corée du Nord. Les responsables ukrainiens, aujourd’hui menacés dans leur intégrité territoriale, regrettent son abandon, tout comme les élites au Kazakhstan et en Biélorussie. Le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko vient de déclarer (février 2022) que son pays pourrait accueillir des armes nucléaires s'il était confronté à une menace extérieure. B.C.