Il faut remercier le 'camarade' nord-coréen Kim Jong-Un, hissé au hit-parade de la provocation internationale. Grâce à ce maître chanteur hors pair me revient le slogan qu'on pouvait lire sur les autocollants en Allemagne dans les années 80 : Eine einzige Atombombe kann dir dem ganzen Tag verderben... Ou, si vous préférez : Une seule bombe nucléaire peut carrément te gâcher la journée.
Une erreur de timing
Le premier secrétaire du parti des Travailleurs n'a pas eu de chance. Alors qu'il s'évertue à améliorer l'image de marque de son pays – le 'branding' comme disent les Anglo-saxons – voilà qu'il se plante dans le calendrier de ses célébrations. Plutôt que de faire péter sa bombinette le 16, (février), histoire de rendre hommage à feu son père en sa date d'anniversaire, Kim a préféré le 12, le jour même où le Pape Benoît/Bénédict décida de rendre son tablier. Et voilà que la modestie bienveillante du chef de l'église a failli éclipser le coup de gueule atomique du chef autoproclamé de l'Axe du Mal.
Tout un symbole. Celui qui se retire sur la pointe des pieds fait plus de tapage médiatique que celui qui s'affiche indéboulonnable et qui, pour couper court à toute tractation américano-chinoise, a fait rajouter dans la Constitution le statut de puissance nucléaire du pays.
C'est un coup dur pour Kim car le but de la manœuvre consistait justement à ne pas passer inaperçu. Pour le parano, se mettre à dos la 'communauté internationale' (comme on dit vulgairement) n'est pas forcément une tare. Au contraire, le 3ème essai made in Pyongyang est une pub d'enfer et attise les convoitises. Cela s'appelle dans le jargon géopolitique la capacité de nuisance et tout dictateur qui se respecte aimerait en disposer. Surtout lorsqu'on consacre à ses dépenses militaires un centième du budget du Pentagone ! La posture de Kim, le 3ème de la dynastie, renforce le crédo selon lequel hors de la voie atomique, point de salut. Le premier président de la commission de la défense nationale (l'un de ses titres) est donc prêt à beaucoup de sacrifices, surtout prêt à sacrifier son peuple pour la cause ; un peuple où chaque mère rêve de donner naissance à un galonné, afin de sortir un jour de la misère. Cela fait écho aux injonctions de l'allié pakistanais qui, sous le temps de Bhutto, jurait qu'il aurait sa bombe, quitte à ce que ses citoyens mangent de l'herbe pour y parvenir. Bref, Kim est tellement accroc à la bombe qu'il se fait le chantre de sa délocalisation. Et paradoxe de l'histoire, cette délocalisation pour ne pas dire prolifération ne peut que le conforter dans son choix.
Les réactions à Seoul et Tokyo
Les réactions des autres protagonistes de la zone représentent des retombées qui en disent long. Il y a d'une part les frères qui vivent au Sud depuis 1953. Si le flirt avec la bombe n'a pas débouché dans les années 1970, en dépit de l'assistance discrète de la France, l'attirance de Seoul pour ce péché n'a pas été enterrée. Et si retraiter du combustible usé ou enrichir de l'uranium lui est proscrit, c'est uniquement en raison d'un accord avec Washington, un accord qui expire en 2014. Plus au Nord, il y a le Japon. Là encore, un train ne doit pas en cacher un autre. Le pays a été plombé par Hiroshima, Nagasaki, mais le nouveau Premier ministre Shinzo Abe veut lever tous les tabous. Il compte bien exploiter la crainte des sujets du pays du Soleil Levant pour renouer avec un passé militariste. Selon ses dires, renoncer au nucléaire civil après Fukushima serait suicidaire dans la mesure où cette option sonnerait le glas de toute option militaire (nucléaire) !
La fin de la trêve des expérimentations nucléaires n'est pas une bonne nouvelle pour autant. Certes. Qu'elle soit l'œuvre d'un trafiquant de deuxième classe, d'un bricoleur iconoclaste, encore moins. Toutefois, les Etats détenteurs de la bombe (les 8 autres) ne sont pas forcément les mieux placés pour s'offusquer ou donner des leçons. La preuve ? Le Traité d'Interdiction des Essais est au point mort. Américains et Chinois pinaillent toujours pour le ratifier. L'Inde, le Pakistan, Israël, l'Iran et l'Egypte n'ont pas l'intention de le rejoindre. Il risque donc de demeurer une coquille vide de la diplomatie du désarmement. Voici pourquoi l'essai du 12 février a de quoi titiller : il dévoile – grâce à Kim - que tout le monde veut bien désarmer mais personne ne veut être à court de munitions atomiques. C'est la version actualisée, revisitée de la formule écolo bien connue selon laquelle 'tout le monde veut sauver la planète mais ...personne ne veut descendre les poubelles'.
BC, juin 2013