La NASA et le département américain de l’Énergie recherchent des partenaires industriels pour construire des centrales nucléaires destinées à alimenter les futures bases lunaires. L’agence spatiale espère que le premier réacteur sera opérationnel d’ici 2026. Les dernières recherches en matériaux et technologies avancées devraient permettre d’atteindre cet objectif ambitieux. Un objectif qui faisait déjà débat à la fin des années 50.
'Monsieur le Président, s’exclame un conseiller de la Maison Blanche, les Soviétiques sont en train de peindre la Lune en rouge' ! Ce à quoi le dirigeant américain répond calmement : ‘Embarquez alors de la peinture blanche dans une fusée et allez écrire “Coca-Cola” dessus…’
Cette blague racontée à l’époque de la guerre froide illustre à quel point la course à l’espace (extra-atmosphérique) était un prétexte pour se vanter et soigner son image. Vu que le monde avait les yeux rivés sur eux, aucun des deux Super Grands ne se sentait à l’aise par rapport à l’idée d’accuser un retard sur son rival – que ce fût dans le domaine de la science, de la technologie, de l’entreprise ou (même) de la vision de la société.
Malheureusement pour les États-Unis, ce scénario semblait se dessiner de plus en plus lorsque, le 4 octobre 1957, les Soviétiques lancèrent avec succès leur tout premier satellite artificiel, Sputnik-1, et que, moins d’un mois plus tard, ce fut au tour de Sputnik-2. Néanmoins, l’humiliation ne marqua véritablement les esprits qu’au moment où, après des semaines de publicité, le satellite Vanguard TV3 explosa au cours de son lancement au Cap Canaveral le 6 décembre 1957.
La surenchère
Les dirigeants de Washington craignaient que le reste du monde eût l’impression que le communisme l’avait emporté sur le capitalisme, et qu’il était peut-être même en train de le ‘Sputnikenterrer’ , pour reprendre la formule de Nikita Khrouchtchev. D’où la nécessité de convaincre par ce qui devait être à la fois un coup de force, une avancée technologique et une résolution morale : le projet A119 de 1958.
Bien sûr, les États-Unis n’envisageaient pas vraiment d’écrire ‘Coca-Cola’ sur la Lune, mais ils s’apprêtaient à réussir ce qui venait juste après dans le classement des paris les plus fous. En fait, leur opération consistait presque littéralement en un ‘moonshot’, puisqu’ils entendaient faire exploser un engin nucléaire sur la Lune dans le but d’impressionner le monde entier. L’objectif, d’après Priceonomics qui relate cette histoire, était de provoquer une explosion tellement considérable qu’elle serait visible depuis la Terre. Ceci permettrait aux citoyens Américains minés par le succès de Sputnik, de miser sur leur gouvernement et par la même occasion, d'impressionner les Soviétiques.
Une fusée (ou un missile car, après tout, il s’agissait en gros du même engin) aurait été lancée vers l’astre de manière à le frapper sur sa partie ombragée, au niveau de la séparation jour-nuit, et à former un nuage de poussière que le soleil aurait éclairé d’une façon hallucinante. De plus, en raison de la faible gravité de la Lune et de l’absence d’atmosphère, le champignon atomique qui s’en serait suivi n’aurait pas eu la forme classique que nous nous représentons aujourd’hui.
L’élaboration d’un spectacle
Sous la direction du physicien Leonard Reiffel, une équipe de chercheurs s’est attelée à étudier les possibilités d’un tel coup de pub. L’objectif principal était d’impressionner le monde. C’était sans conteste un outil de relations publiques.
Même si le matériel de recherche produit par le projet A119 fut en grande partie détruit par la suite, un document rédigé par Reiffel en personne et intitulé ’Study of Lunar Research Flights' (étude sur les vols de recherche lunaires) a survécu. Cet ouvrage abonde de faits et de chiffres. Cependant, les questions principales sont ailleurs : les Etats-uniens avaient-ils la noble intention d’enrichir leur savoir et leur compréhension scientifique pour leur propre bien ? Peut-être pas. Par contre, il existait ce que Reiffel appela plus tard l’’agenda de la surenchère’. La nation qui serait la première à réaliser pareille prouesse profiterait d’effets positifs tels qu’une démonstration de ses avancées technologiques. Cela dit, Reiffel admit également la possibilité d’effets négatifs : alors que l’URSS pouvait prétendre que le programme Sputnik reposait sur des bases scientifiques sérieuses et avait pour but ultime le progrès de l’humanité, on voit mal comment les Américains auraient pu en dire autant du projet A119. Au mieux, cette explosion nucléaire aurait été considérée comme un prétentieux feu d’artifice tiré dans l’espace ; au pire, comme une menace brandie par une nation vantarde, agressive et brutale.
Finalement, le plan des chercheurs et du gouvernement fut abandonné en janvier 1959. Les risques estimés sur l’effet d’une telle initiative sur la population (allait-elle l’approuver ou non ?), et les doutes sur les capacités du missile à réellement atteindre sa cible (n’aillait-il pas retomber sur Terre en cas d’échec ?), en ont finalement eu raison.
Interrogé en 2000, lorsque toute cette histoire fut révélée au public pour la première fois, Reiffel s’avoua scandalisé. ‘Je suis horrifié à l’idée qu’un tel moyen de manipuler l’opinion publique fut un jour envisagé’. De plus, Leonard Reiffel qui plaçait de grands espoirs dans la colonisation de la Lune, craignait que la radioactivité à sa surface ne complique la tâche.
Alors pourquoi Reiffel a-t-il coopéré, si telle était son opinion ? Avec le recul, il est aisé de le condamner. Et pourtant, les scientifiques de son époque hésiteraient à lui jeter la pierre. On ne se rend plus compte à quel point la guerre froide planait sur chaque aspect de la vie publique, institutionnelle et même scientifique tout au long des années cinquante et soixante. Comme le dirait Fidel Castro aux Cubains en 1961, ‘Dans la révolution, tout ; contre la révolution, rien’ ! C’était le genre de raisonnement qui prédominait dans chacun des deux camps. Il s’étendait à tous les domaines de la vie intellectuelle, jusqu’aux activités artistiques et à la recherche scientifique. Tout n’était pas que tanks, sous-marins et soldats : la guerre froide confrontait aussi dramaturges et poètes, impressionnistes et compagnies de ballet. Quant aux chercheurs, au vu de l’intensité de la lutte entre les deux ‘superpuissance’s dans la course à l’armement et à l’espace, ils auraient difficilement pu éviter de se trouver projetés en première ligne.
La science a bon dos
La science ne décrocha que la deuxième place dans la promotion du prestige américain, mais on ne pouvait s’en dispenser pour autant. Le projet A119 comporterait le placement de trois instruments identiques en des endroits arbitraires sur la face visible de la Lune avant toute éventuelle explosion nucléaire. Ces instruments devraient être équipés d’un large éventail de dispositifs de mesures. Ils permettraient également, soulignait Reiffel, de rassembler de nombreuses informations de grande valeur à propos de la Lune (sur sa nature et ses origines).
En dernière analyse, ce projet était-il réalisable d’un point de vue technique ? L. Reiffel devait souligner qu’il l’était, et que les ICBM (missiles balistiques intercontinentaux) déjà en service (à l’époque) devaient le permettre. Ces missiles atteignaient en général une altitude de 1.125 kilomètres à l’apogée de leur trajectoire intercontinentale. Tout ce qu’il faudrait faire, c’est les pointer vers la Lune et non vers l’URSS.
Cela étant, il est probable que des considérations politiques aient contribué à la mise au ban du projet…bien avant la signature du Traité de l’Espace de 1967. Ce Traité (signé par la France en 1970) interdit la colonisation des planètes et autres corps célestes, et la mise sur orbite de tout "objet porteur d'armes nucléaires ou de tout autre type d'armes de destruction massive."
En 2008, lors d'une session au sein de la Conférence sur le Désarmement de l’ONU à Genève, les représentants chinois et russe proposent un traité pour interdire le placement et l’usage d’armes dans l’espace. Ces propositions vont recevoir des fins de non-recevoir de la part des États-Unis et des représentants de l’U.E.
B.C.