En octobre 2003, à défaut d'offrir des garanties de sécurité à l'Iran, la troïka européenne a déclaré soutenir "la création d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient, (conformément aux objectifs des Nations unies) pour promouvoir la sécurité et la stabilité dans la région'.
S'il est prématuré de croire que l'initiative lancée par le président Moubarak dès 1990 -et relancée depuis - aura des suites grâce à l'affaire iranienne, on ne peut exclure qu'Israël négocie à sa façon des garanties de sécurité en échange d'une mutation pacifique. Cette mutation passe par une révision de l'opacité nucléaire.
Se défaire d'un tabou
Le culte du secret qui renvoie à l'état d'exception correspond à un certain état d'esprit, mais l'ambigüité nucléaire, même dans le cas d'Israël, n'a plus les atouts que les adeptes de la dissuasion veulent bien lui attribuer. Les heures du nor deny nor confirm sont comptées. La fameuse formule sibylline Israël ne sera pas le premier Etat à introduire des armes nucléaires au Moyen-Orient, mais il ne sera pas le deuxième non plus, qui remonte à 1965 intriguait hier encore ; aujourd'hui, elle fait sourire.
Le monde entier sait que vous possédez l'arme atomique, vous le confirmez ? A cette question directe d'un journaliste d'Euronews en mai 1995, Shimon Pérès avait curieusement rétorqué : le monde entier, sauf Israël.
La pirouette déconcerte, mais le suspens - si suspens il y avait - est ailleurs. La tendance lourde n'est plus aux cachotteries, non pas parce que l'Iran affiche quelque ambition, comme le laisse entendre B. Netanyahu le 7 septembre 2001, mais parce que le secret dont s'entourait jadis Israël est un secret de polichinelle ; en décembre 2006, Ehoud Olmert alors Premier ministre s'énerve et déclare dans une itw diffusée par une chaine de TV allemande : "Nous n'avons jamais menacé un pays d'annihilation, L'Iran menace ouvertement (...) Pouvez-vous dire qu'il s'agit du même niveau de menace lorsque les Iraniens aspirnt avoir des armes nucléaires comme la France, les Américains, les Russes et Israël ?". Un lapsus qui a provoqué un tollé. Mais au-delà des cachotteries, c'est une ombre portée à un régime qui se targue d'être démocratique ; et parce qu'une certaine transparence a des vertus politiques dans le cadre de négociations sécuritaires régionales. En déclarant à l'intention des Etats arabes: 'Donnez-moi la paix, je renonce au nucléaire', Shimon Pérès avait fait un pas en décembre 1995...MAIS
L'un des premiers à avoir brisé la loi du silence est Mordechaï Vanunu (lauréat du Prix Nobel de la Paix 2003) En démontrant photos à l'appui les activités de Dimona - qui n'existait pas officiellement - le déserteur nucléaire l'a payé très cher. Mais des années d'acharnement à l'encontre de ce juif tunisien sympathisant des Palestiniens et hébergé par l'église anglicane, n'ont pas empêché d'autres fuites , dont l'interview de Pérès, dans le Jerusalem Post le 17 juillet 1998 .
Au mois de février 2000, la Knesset décide de consacrer une heure de débat sur le sujet ; à cette occasion, des voix dissidentes attirent l'attention sur les risques liés à la vétusté des installations nucléaires et font valoir qu'Israël a la responsabilité de changer le cours de la course régionale aux ADM. Depuis juin 2004, les photos de Dimona sont accessibles (plus ou moins) via le site internet de la (discrète) commission israélienne à l'énergie atomique et la première opération 'portes ouvertes' de Dimona a eu lieu sur la chaine 10 en janvier 2005.
Assumer son passé
Le déballage même sélectif fait aussi voler en éclats les secrets qui ont entouré et mystifié l'aventure nucléaire. En France, on disserte sans retenue sur les exploits du pakistanais d'Abdul Qader Khan plutôt que sur les options israéliennes mais les complicités, dont là filière britannique ne relèvent pas du secret défense, ni le Traité de coopération économique, scientifique et industriel signé par John Voerster et Itzhak Rabin en 1976. S'il reste des zones d'ombre - tel l'essai nucléaire dans le désert de Kalhahari, ou la détection le 22 septembre 1979, par le satellite Vela d'un 'flash ' au large de la base de Simonstown, elles sont limitées.
La paternité française de l'industrie nucléaire israélienne, civile et militaire est un fait acquis. Le représentant irakien à l'ONU a tenu à la rappeler, au lendemain de l'opération Babylone de juin 1981 et le ministre Claude Cheysson aurait pu s'abstenir d'afficher 'un étonnement ' un peu trop diplomatique. Vingt ans plus tard, cette péripétie des années 50 a fait l'objet d'un documentaire diffusé par la télévision israélienne, suivi d'un article dans le Yediot Aharonot (le 29 septembre 2001) sur le rôle clef joué par Albert Thomas, le chef de cabinet du ministre Bourgès-Maunoury.
Rendre des comptes
En dépit de ces ouvertures, le représentant algérien à la Conférence du Désarmement (CD) à Genève s'en est encore pris en avril 2002 à cette loi du silence qui est inacceptable et insupportable pour la communauté internationale. L'accusation n'est pas dénuée de fondement : à l'heure où la communauté internationale s'évertue à réclamer des aveux de tout le monde, des Sud-Coréens, ou des Brésiliens en passant par les Egyptiens, voilà qu'Israël serait dispensé d'avouer quoi que ce soit. Alors que le moindre bricoleur doit justifier de grammes de Pu qui auraient été détournés, un seul Etat du Moyen-Orient estime ne pas devoir rendre des comptes sur les dizaines voire les centaines de têtes nucléaires qu'il détient. Mais pour combien de temps ? 'Cacher ce nucléaire que l'on ne saurait voir' ne relève pas d'un quelconque principe de précaution mais signale un certain degré d'irresponsabilité.
En levant le secret sur son arsenal, Israël pourrait se distinguer...autrement. En mettant un terme au flou artistique sur ses capacités nucléaires, Israël s'épargnerait quelques amalgames avec tous les suspects qui biaisent avec la législation internationale ; ou avec ceux qui pourraient être tentés de claquer la porte du TNP comme la Corée du Nord le fit en son temps.
Lorsque le manque de prestige ne se compense pas en suscitant l'effroi, alors, s'afficher comme Etat nucléaire responsable exige l'application de nouvelles 'règles du jeu' et les cartes sur table. Dans le passé, Israël était coincé par un pacte scellé (en 1969) avec Washington : en s'abstenant de faire état de son potentiel, en s'abstenant de procéder à tout essai (nucléaire), Israël ne subissait en contrepartie aucune pression (US) pour adhérer au TNP.
Mais le monde a changé et les pactes ne sont pas éternels. Non seulement l'adhésion au TNP a été reportée , mais Israël a donné quelques gages en signant, dès 1996, le Traité d'interdiction des Essais (CTBT) - sans toutefois le ratifier - et la Convention sur les armes chimiques. (sans la ratifier non plus). Depuis, Israël figure au registre des armes classiques tenu par l'ONU et participe à la Conférence du Désarmement à Genève en tant que membre à part entière.
La quête de reconnaissance ne relève donc pas d'une mission impossible et la posture indienne offre un exemple de choix. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler qu'en 1988, le groupe des P5 a décrété arbitrairement que malgré leurs essais nucléaires, l'Inde et le Pakistan n'ont pas le statut d'Etats dotés d'armes nucléaires (sic).
Depuis, la réalité des faits a surmonté ces principes. C'est aussi au nom d'une certaine 'respectabilité' que le Premier Ministre Olmert a commis sa gaffe nucléaire qui n'en est pas vraiment une . Margalit, - un proche de Shimon Pérès - estime qu' Israël a maintenant l'occasion unique de rejoindre le club nucléaire par les grandes portes. Israël gagne(rait) une posture nucléaire régionale et sa situation longtemps statique sera enfin reconnue.
Reconnaître et assumer son statut
Soumettre ses installations nucléaires aux garanties de l'AIEA, ce n'est pas seulement se soumettre aux injonctions onusiennes découlant de la résolution 487 (1981) du Conseil de Sécurité. Ce n'est pas non plus applaudir la motion votée à la 13ème conférence du mouvement des non alignés, à Kuala Lumpur, en février 2003. C'est trouver un moyen de s'afficher.
A première vue, Israël n'a aucun intérêt à se lier les mains avec un dispositif dont les failles - les trous dans la raquette sont trop criantes et les retombées à sa porte. Mais si pour régler l'équivoque sur le réacteur Osirak, Israël a préféré en juin 1981 se fier à Tsahal pour procéder à un exercice de contre-prolifération préventive, - rien ne dit que Tel Aviv pourra(it) réitérer sur Buscher ou Natanz.
Quoi qu'il en soit, établir des relations courtoises avec l'AIEA s'impose. Pour l'instant, plutôt que de réclamer avec arrogance comme en novembre 2007 le renvoi du patron de l'Agence, accusant El-Baradeï de pactiser avec le diable et d'être un irresponsable en enfouissant sa tête dans le sable (expression du vice-premier ministre), Tel Aviv devrait plutôt se féliciter que la dernière offensive de la diplomatie égyptienne à Vienne - une résolution de septembre 2007 - n'ait pas porté ses fruits avec, à la grande surprise des autorités du Caire, 47 abstentions - dont 25 de l'UE .
El Baradeï, qui a fait 'profil bas' lors de sa dernière visite en juillet 2004, mérite davantage de considération. Certes, s'exposer aux regards étrangers est gênant, voire troublant, et il n'est pas nécessaire d'être paranoïaque pour se méfier d'une intrusion d'inspecteurs . Mais là encore , des marges de manœuvres existent. D'ailleurs, à l'heure du rapprochement avec Delhi, Tel Aviv devrait méditer le fait qu'un outsider du TNP comme l'Inde accepte, moyennant quelques concessions, de mettre (uniquement) certaines installations nucléaires sous le contrôle de l'AIEA tout en bénéficiant de transfert technologique avec les Etats-Unis.
Il vaut mieux exploiter ces ouvertures plutôt que de se figer en condamnant de manière récurrente la prolifération virtuelle des ADM chez les voisins - hier l'Irak, et aujourd'hui l'Iran - tout en feignant d'ignorer l'arsenal, lui bien réel, de l'Etat d'Israël. Cette attitude est 'caduque', pour reprendre une expression de feu Arafat. Elle est devenue inacceptable, aussi inacceptable que l'est, aux yeux de l'Administration Bush, l'acquisition (éventuelle) par l'Iran de l'arme atomique. Certes, des tricheurs potentiels sont légion.
D'ailleurs, si Ryad a fini en 1988 par adhérer au TNP, nul ne se bouscule dans la région (8 Etats non signataires) pour signer le protocole additionnel, et l'Egypte a fait savoir (décembre 2007) qu'elle s'abstiendrait d'aller au-delà de ses engagements antérieurs (adhésion en 1981). Mais en désignant les proliférateurs qui le dérangent, Israël agit paradoxalement en défendant l'esprit du TNP - quitte d'ailleurs à oublier que ce traité n'interdit pas aux signataires d'enrichir l'uranium.
A ce petit jeu, Israël pourrait se faire piéger car on ne peut à la fois sermonner les autres au nom du TNP et nier la validité du TNP qu'on récuse. Il est fort à parier que le TNP soit en sursis, mais celui qui concourt à faire péricliter cet édifice si fragile est à chercher du côté de Tel-Aviv et non pas du côté de Téhéran. Sachant que le double standard en vigueur aujourd'hui est un facteur d'érosion de sa légitimité, une attitude statique de la part d'Israël laisserait à penser que la seule valeur de son arsenal - existant puisque non démenti - est de dissuader ses dirigeants ...d'envisager la paix. Un handicap que les signataires de la Déclaration de Téhéran feraient bien de relever.