Rien de tel qu’une conférence onusienne pour comprendre que l’ONU et ses conventions sont pavées de bonnes intentions. Exemple ? Le ‘code de bonne conduite’ pour assainir et moraliser un secteur en plein boom, celui du trafic de l’armement, où la transparence concurrence celle de la FIFA. Les tractations ont commencé il y a 20 ans, et finalement en décembre 2014, le Traité sur le Commerce des Armes (TCA) est entré en vigueur. Pour limiter la casse des civils, les dérapages génocidaires, les architectes du TCA ont tout prévu. Sauf que les combattants changent d’uniforme et que le matériel, immatriculé n’importe où et figurant sur aucun registre national ou international se recycle aisément sur des théâtres auxquels il n’était pas destiné. Comme on a pu se rendre compte au Mali où des groupes djihadistes ont récupéré du matériel français vendu officiellement aux rebelles libyens.
Trop facile de dénoncer les marchands de canons, de chars ou de lance-roquettes ! Avec un marché qui représente 80 à 100 milliards de dollars, l’internationale des magouilleurs existe, et toute règlementation peut faire sourire. Le censeur qui voudrait dicter les recettes les plus ‘humainement correctes’ va se coltiner des acteurs qui revendiquent le droit de s’approvisionner où bon leur semble, au nom de leur défense, y compris l’Erythrée qui engloutit 8 % de son PIB à ses dépenses militaires.
Les Etatsuniens veulent bien faire mine d’approuver le TCA du bout des lèvres (sans le ratifier) mais avec un bémol : que les munitions soient exemptées. Ceux qui n’y voient qu’un caprice ignorent que les Etats-Unis fabriquent 6 milliards de munitions par an.
ONU ou pas ONU, les Etats frappés d’embargo pour mauvaise conduite sont passés maîtres dans l’art du contournement. Exemple ? Le Zimbabwe de Mugabe. Il fait son shopping en République Démocratique du Congo (RDC), là où nul ne distingue les bons et les méchants soldats. Cette RDC, à l’abri des projecteurs ici, est arrosée entre autres, par les industriels nord-coréens, car Kim Jung Un convoiterait l’uranium congolais, un uranium dont la pub n’est plus à faire puisqu’il a contribué à l’exploit d’Hiroshima.
Dans d’autres zones explosives de la planète, toute règlementation signifie restriction. Ca craint pour les dealers, même si l’échelle de Richter de l’indignation est à géométrie variable. Les Russes comme les Chinois boudent le TCA. Moscou ne veut pas d’embargo sur les armes à destination de la Syrie. La Turquie ? Elle n’est pas dans le collimateur des ONG humanitaires. Le Darfour ? La Chine se charge d’équiper leurs milices. Les Européens donneurs de leçons se garde bien d’exprimer la moindre objection : s’ils se sont appropriés un quart des exportations mondiales entre 2010 et 2014, ils ne vont pas snober ce futur marché. Au grand dam des ONG comme Amnesty, le matos sécuritaire dispatché dans la guerre de pacification au Yémen semble s’affranchir de considérations morales. Grâce au lobbying des industriels suisses, le Conseil fédéral à Berne vient d’assouplir sa règlementation sur les exportations à destination des Etats impliqués dans la région. Le cas de l’Arabie Saoudite - dont le budget de défense dépasse celui de la France – n’échappe à personne. Les Néerlandais, qui ont lu attentivement les résolutions du Parlement Européen, prônent un embargo à leur encontre, mais leurs collègues Français et Britanniques n’ont pas l’intention de suivre pareille démarche : le marché est trop alléchant et en cas de litige, le Canada a déjà servi d’intermédiaire ou de transit. Bref, le laxisme des uns fait le bonheur des autres. Quant aux Belges, ils aimeraient se faire oublier mais…la moitié des armes légères à destination du Moyen-Orient proviennent de leurs entreprises, FN Herstal compris.
En attendant que ce marché mortifère soit aussi régulé que celui des bananes, les experts louent de plus en plus les mérites high tech mais anti-écolos de l’obsolescence programmée. Pas pour les appliquer aux conflits qui se programment parfois à distance comme n’importe quel drone ou missile ; pas non plus pour les chefs sanguinaires qui se trouvent toujours des successeurs, mais pour certains systèmes d’armes via un dispositif d’autodestruction. Désarmant non ? Une affaire à suivre.
Ben Cramer
dans ‘Charlie-Hebdo’