Bien sûr, le monde est loin d'être pacifié. L'irénologie, ou science de la paix, n'est pas une discipline exacte. Trouver un emploi avec un diplôme de la paix en poche est aussi inapproprié en Occident que de vendre des frigos aux Inuits. Mais en parler et réfléchir aux dépenses militaires n'est plus un sujet tabou.
Que l'ONU ait parfois quelques retards à l'allumage ne surprend guère. Sa Charte de 1945 ne mentionne même pas les aspects écologiques de la sécurité ; et aucun des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ne fait allusion à la paix ! Les temps vont-ils changer ? Le désarmement est tendance. Et comme le stipulait le principe 25 de la Charte de Rio (1992) : La paix, le développement et la protection de l'environnement sont indissociables .
Lorsque les Jeux Olympiques s'inviteront dans la cité d'Hiroshima, (une idée qui a déjà mobilisé un réseau de plus de 122 villes en France), le sport va être pacifié à son tour, comme il a été secoué par la vague verte inaugurée lors des J.O. de Sydney.
'Option zéro' pour les armes ?
Dans le rapport Notre avenir à tous ou 'Our Common Future' de 1987, considéré comme la Bible (ou Coran) du développement durable, Brundtland, son auteure et présidente de la Commission environnement et développement à l'ONU, soulignait que les armes nucléaires représentent la plus grande menace pour l'environnement et le développement durable. Vingt-trois ans plus tard, cette menace perdure et entraîne le mot d'ordre Option zéro ou tolérance zéro à l'égard de certains systèmes d'armes.
Realpolitik oblige, nos sociétés ne peuvent surtout plus se payer le luxe de guerroyer n'importe comment. Le remède supposé est pire que le mal. Il n'y a pas un seul endroit au monde où les armes ayant parlé, on puisse dire sérieusement que la situation en a été améliorée ; on ne peut le dire nulle part, avouait Michel Rocard.
La conversion des militaires
Pour les militaires, longtemps caricaturés comme des brutes en marche, il n'est pas question de convaincre (et se convaincre) que la guerre est propre. Ni de monter des opérations en distribuant des affiches du style 'veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée' . Il s'agit de limiter les dégâts. Là encore, ce n'est pas une affaire d'éthique, mais de rationalité. Si certains militaires se méfient de la bombe (atomique) – dont les effets différés devraient être négligeables à en croire le dictionnaire des forces armées – ce n'est pas parce qu'ils ont une soudaine envie de rejoindre les troupes du réseau Sortir du nucléaire mais parce que le prix de la décontamination serait supérieur à celui de la conquête. Non seulement le crime écologique n'est pas payant pour le vainqueur, mais la facture de la victoire est trop salée.
Ne nous méprenons pas sur l'air du temps. Greening the armies fut au départ un slogan... mais qui marche ! Au Canada, lorsqu'un jeune homme s'engage sous les drapeaux, il déclare solennellement : Je veux aider à garder notre pays libre et à maintenir notre air et notre sol en bon état pour les générations futures . En Suisse, chaque officier qui se respecte acquiert une formation au développement durable par l'intermédiaire du SANU, un centre de formation civil réputé à Bienne.
Les guerres, en voie de disparition ?
Qui voudrait sérieusement investir dans ce que Jacques Attali avait qualifié d'économie de l'apocalypse (2) ? Dépolluer, démanteler, restaurer, réparer, assurer des cycles de vie, voilà un nouveau créneau ! À notre époque, être branché, c'est parier sur l'économie de la paix. Une taxe sur les armes serait non seulement populaire, mais bienvenue. Un marché prometteur qui a l'avantage de s'intégrer dans la sauvegarde de la planète. Les fondations, à l'affût de ce qui est tendance, s'adaptent : la fondation RATP a investi cette année dans la Journée internationale de la paix le 21 septembre avec affichage dans le métro. La Caisse des dépôts soutient la fondation Chirac qui décerne chaque année début octobre, juste avant la semaine de l'ONU pour le désarmement, un prix pour la prévention des conflits.
Recyclons nos armes
La sécurité est l'affaire de tous et ne se mesure pas au nombre d'armes possédées. Ce n'est pas qu'une question militaire (ou policière). Elle englobe la sécurité énergétique, la sécurité écologique, la sécurité alimentaire, bref, la sécurité humaine. Les États qui ont fait transiter leurs dépenses militaires vers le ministère de l'Éducation (comme le Costa Rica dès 1949) n'ont pas renoncé à défendre leurs concitoyens alors qu'ils transformaient les casernes en musées des Beaux-Arts.
Recycler des systèmes d'armes, c'est aussi recycler les esprits. Revoir les priorités plutôt que changer son fusil d'épaule. Parce que la destruction de nos environnements entraîne des conflits ingérables. Parce que l'injection de milliards dans des gadgets sécuritaires se fait au détriment des besoins fondamentaux des peuples. Se mobiliser contre la guerre, c'est ouvrir des académies et des universités de la paix, comme il en existe en Scandinavie, en Zambie et peut-être bientôt à Bujumbura au Burundi. Ou demander aux producteurs de serious games de scénariser des peace games pour s'amuser avec des jeux vidéo sans tuer. Ou encore organiser des campagnes comme celle du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) Plantons un milliard d'arbres ! une campagne lancée par Wangari Maathai, lauréate du prix Nobel de la Paix 2004.
Ironie de l'histoire, le jeune américain Jonathan Lee, âgé de 13 ans, est parti à Pyongyang remettre une lettre au leader nord-coréen Kim Jong Il pour lui demander de planter une 'forêt de la paix' sur la frontière intercoréenne, une zone démilitarisée de quatre kilomètres. L'idée a fait tilt...puisque 2011 est l'année internationale de la forêt.
BC, in Neoplanète - 25 octobre 2010
Notes
2) Économie de l'apocalypse, par Jacques Attali, (Fayard-1994), suite au rapport commandité par le Secrétaire général de l'ONU sur la prolifération nucléaire, le seul ouvrage d'Attali qui n'existe pas en livre de poche !