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La paix ? Rien à voir avec une récré entre 2 conflits armés

ETEINDRE les LUMIERESBen Cramer est venu au Festival 'Foutez-nous la paix' à Rochefort pour réhabiliter la très pertinente polémologie, la science de la guerre pour parvenir à la paix. Entretien :
Q. : Tout est parti de votre intérêt pour la paix...
B.C. Je me demandais comment réfléchir à la lutte antiguerre sans être en guerre. En me rendant au Bureau International de la Paix,. J’ai découvert que la plus ancienne organisation internationale pour la paix était présidée par un ancien responsable de l’IRA (Irish Republican Army)! J’ai compris alors que la paix était une affaire plutôt compliquée.
Q. Il fallait donc approfondir ?
B.C. : Je découvre l’Institut français de Polémologie créé à Paris (NDLR disparu dans les années 80) par Gaston Bouthoul,, sociologue que je veux réhabiliter. Après 39-45, pour lui et d’autres, comme l’écrivaine féministe Louise Weiss, la guerre est une maladie dont on doit pouvoir guérir si l’on trouve les symptômes. Sa maxime n’est pas celle des Romains ‘pour faire la paix, prépare la guerre’, mais ‘pour faire la paix, connais la guerre’ .
Q. : La polémologie, l’étude de la guerre, est donc une science ?
B.C. Exactement ! Et il y avait (dans les années 60-70) un département de polémologie dans chaque fac ! Maintenant, c’est fini sauf à Strasbourg. C’est une science, mais qui doit (ou devrait) servir à faire la paix. Hélas, il y a peu d’experts de la paix, c’est un métier négligé, un angle mort. La guerre s’enseigne avec force, intelligence et argent, mais pas la paix.
Q. : Comment enseigner la paix ?
B.C. : Il faut considérer que la paix, c’est la sécurité humaine qui permet de s’affranchir de la peur et du besoin. Hélas aujourd’hui, le concept de sécurité est associé aux armes et à des flics partout... Or, c’est un mot magnifique : pensons à la Sécurité sociale ! Pour enseigner la paix, pourquoi ne pas s’inspirer de l’environnement où la nature fonctionne en coopération, au lieu de parler de destruction et de domination ?! À la place d’un service militaire, on pourrait créer un Service à la Terre et réguler ainsi les crises alimentaires ou énergétiques. La paix, c’est aussi être en paix avec la terre et la planète
Q. : Le pacifisme vous a mené à l’écologie...?
B.C. Ces deux combats se rejoignent. La paix, c’est bien plus que dire ‘non’ à la capacité de s’armer, c’est aussi être en paix avec la terre et la planète. L’ennemi n’est pas forcément le voisin, mais les sols pollués ou la désertification. En combattant les menaces environnementales, on peut aussi parvenir à la paix.
Q. : Dans notre monde surmilitarisé, vous dites que tout est arme...
B.C. : Oui, une centrale nucléaire est un objectif de guerre, la propagande, une opération de guerre. Même en matière d’environnement, la protection est détournée pour devenir une arme quand par exemple, une aire marine protégée (AMP) exclut des peuples autochtones. On nous dit que la quête des minerais servirait à la ‘transition énergétique’, alors que la plupart des minerais servent au complexe militaro-industriel, quelle imposture ! On est en train d’élargir les champs de bataille potentiels aux fonds marins et aux espaces extra-atmosphériques.
Q. Pourquoi la polémologie est-elle tombée dans l’oubli ?
B.C. : On parle aujourd’hui de géopolitique, c’est plus chic. L’étude de la guerre, c’est trop brutal. Et puis la France a un rapport ambigu à la guerre et à la paix à cause de la collaboration et de la colonisation.
Q. : Le pacifisme est-il dévalorisé ?
raise the voicesB.C. Les pacifistes n’ont pas trouvé les bonnes armes, les armes adéquates. Ils n’ont pas compris que la paix, c’est une guerre, une stratégie, pas une affaire de bons sentiments, pas juste un truc cool entre deux conflits ; non, elle se travaille et s’entretient aussi en temps de paix ! Mais les pacifistes, qui ne s’y intéressent que lorsque les guerres font rage, se contentent d’invocations ‘Stop aux armes ! Non à la guerre !’ sans aucun argument. Voilà comment le pacifisme devient un truc gentillet de baba cool. Or, il faudrait une armée de la paix car en face, nous avons affaire à de vrais ennemis, dont l’ignorance et l’indifférence.
Q. : La paix fait-elle plus peur que la guerre ?
B.C. : Si on enseignait la paix, on comprendrait que faire la paix est synonyme de libération sociale. Le plus grand ennemi de la paix, c’est d’interdire aux gens de penser la sécurité en dehors des armes et de la domination, de nous priver de notre capacité à réfléchir pour faire la paix. La paix fait peur car elle est subversive.
B.C.

ITW le 18 janvier par Kharinne Charov