Parfois, y a de bonnes nouvelles qui nous échappent ; ou qu'on ne retient que trop tard, lorsqu'elles nous sont passées sous le nez. Il en est ainsi d'un programme de démantèlement et de reconversion d'armes nucléaires qui s'est échelonné sur vingt ans, de 1993 à 2013. Il fut surnommé 'Des Mégatonnes aux Mégawatts'.
Un jour, nos écoliers apprendront dans leurs livres d'histoire qu'il était une fois ... 20.000 têtes nucléaires de l'arsenal russe auquel on a retiré 500 tonnes d'uranium enrichi pour que ce combustible (une fois traité) atterrisse pacifiquement dans des réacteurs commerciaux (à eau légère) et finissent par éclairer 10% des chaumières de l'Oncle Sam.
Ce 'deal' désormais improbable puisque non reconduit peut être qualifié d'historique. Ce procédé de pacification de l'atome en transformant les bombes en combustible méritait tout de même qu'on s'y attarde. Une occasion de rendre hommage au physicien du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Thomas Neff, qui a lancé cette idée dès octobre 1991. Une idée qui pourrait faire pâlir d'envie n'importe quel pacifiste chevronné.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le projet ne fut pas acclamé en son temps et ne fit pas de buzz. Petit zoom en arrière : à Washington, le Congrès voyait alors d'un très mauvais œil toute tentative d'assister un ennemi mal en point alors que le Pentagone débloquait des milliards de dollars pour le contrer, le mater ou le terroriser. A Moscou, les députés de la Douma dénoncèrent ce deal d'un mauvais goût ; au nom des principes, de l'honneur et du patriotisme. Bref, quoi de plus compromettant que de troquer l'une de ces richesses pour lequel le complexe militaro-industriel s'est saigné : l'uranium enrichi. Même si ce surplus était stocké dans des hangars délabrés et risquait de ne pas servir.
'Dividendes de quelle paix' ?
Finalement, en dépit de toutes ces réticences, le marché a été conclu. Parce que réduire un armement nucléaire encombrant sans y avoir recours, et sans menacer personne, pouvait s'avérer rentable. Concrètement, le deal a permis à l'entreprise United States Enrichment Corporation (qui faisait partie du ministère de l'énergie avant d'être privatisée en 1998) de se procurer de l'uranium à bon prix, et aux Russes, via Techsnabexport (TENEX), qui dépend de Rosatom , d'empocher près de 17 milliards de dollars. Une première dans les annales ; et une histoire dans laquelle des motivations qui n'ont rien d'honorifiques parviennent à déboucher sur des résultats positifs.
Pourquoi a-t-on décidé de ne pas prolonger cet accord ? Se référer aujourd'hui au fameux slogan des années 50 'Des atomes pour la paix', est un peu 'has been'. C'est d'ailleurs George Bush qui a signé en 1993, et vingt ans plus tard, les mégatonnes ne font plus trembler. Signe des temps. Le désarmement nucléaire n'a plus la cote. Un chapitre de la période post-guerre froide se tourne. Le nouveau tsar du Kremlin veut de plus en plus rouler des mécaniques sur la scène internationale et pas seulement grâce au gaz. Plus question de brader les surplus de matières fissiles. Le prix de l'uranium doit remonter, il n'y a pas qu'Areva qui s'en porterait mieux ; ce n'est donc pas le moment d'accepter que le combustible d'origine militaire concurrence celui fabriqué avec les procédés d'enrichissement traditionnel ; et qu'il inonde un marché civil aux aguets. C'est l'heure de contrer toute forme de dumping, et s'assurer que le business de ce minerai, difficile à valoriser depuis l'accident de Fukushima puisse retrouver un nouveau rebond. A Moscou, dans l'entourage de Rosatom, on a calculé qu'il est plus rentable d'enrichir de l'uranium que de l'appauvrir !
Voilà pourquoi l'initiative 'Des Mégatonnes aux Mégawatts' risque fort de ne pas faire boule de neige pourquoi çà n'inspire aucun Etat de réitérer l'expérience. Même parmi ceux qui disposent d'uranium hautement enrichi. Ceux dont les quantités (plus ou moins connues) sont supérieures à celles officiellement requises pour leur arsenal de bombes ou pour les réacteurs de leurs marines. Ce qui est le lot d'Etats comme le Pakistan ou la France pour qui la bombe fait partie de leur identité nationale.
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B. C. In Charlie-Hebdo - 31 dec 2013, sous le titre "quand l'Oncle Sam s'éclairait avec des bombes russes'.