En octobre 1987, à Mourmansk, Gorbatchev prononce un discours dans lequel il associe les exigences de désarmement nucléaire et de protection environnementale. C’est une première qui survient un an avant la fin officielle de la guerre froide, scellée par une rencontre au sommet de Malte, et cinq ans avant le Sommet de la Terre à Rio (1992). En décembre 1988, Gorbatchev annonce à la tribune de l’ONU des réductions à la fois du budget de la défense et de la production d’équipements militaires. Il embarque son pays et son peuple dans la voie d’un ralentissement d’une course hier encore imposée par Reagan, d’une inversion des courbes et des tendances. Sa pensée rejoint celle du diplomate Alphonso Garcia Robles, prix Nobel de la paix 1982, pour qui ‘le temps est venu de chercher la sécurité non pas dans les armes, mais dans le désarmement’. Gorbatchev est encore à la tête de l’URSS et n’est pas encore lauréat d’un prix Nobel de la paix. (1990).
Lors du Sommet de la Terre, il va se lancer dans l’aventure de Green Cross International, une ONG chargée de s’attaquer aux enjeux environnementaux consécutifs à la destruction des arsenaux chimiques et nucléaires. Il va ainsi se consacrer à la gestion de cette catastrophe qu’est l’éclatement avant décomposition du complexe militaro-industriel qui a gangréné son pays ; un complexe responsable (chiffres de 2004) de 50 % des émissions de CO2. L’élimination des sites contaminés via les programmes Conweap et Chemtrust de Green Cross devient une priorité.
Avec Green Cross, Gorbatchev a compris que l’élimination des ADM (nucléaire et chimique) ne passe pas par des tractations multilatérales en vue d’une interdiction formelle, mais par une prise en charge, de façon unilatérale si possible, des retombées polluantes, dégradantes, nuisibles du désarmement.
En cherchant à ‘démilitariser la politique extérieure’, Gorbatchev innove. On a longtemps répété qu’il avait fait un gros cadeau à l’Occident : le priver d’ennemi. Mais Gorbatchev a fait bien davantage : il a tenté de libérer son pays d’un ennemi pour les générations futures et qui s’appelle la radioactivité, un sujet qu’il maîtrise pour avoir été en prise avec le drame de Tchernobyl, et pour avoir géré les informations que fournissaient Greenpeace et Bellona (grâce à Nikitine) au sujet des sous- marins-épaves de la Flotte du Nord sur la presqu’île de Kola et de Severodvinsk, jusqu’à Arkhangelsk ; certains coulés dans la mer de Kara. Au Kremlin, les fidèles, alliés et proches de Gorbatchev prennent le train en marche. Son ministre E. Chevardnadze propose que l’on réduise ‘tous ensemble’ de 30 % nos dépenses militaires pour affecter les ressources ainsi épargnées ‘à la protection de notre petite planète en si grand danger’. Cette proposition sera transmise aux Verts européens en avril 1989 lors d’un de leur congrès, via le délégué du Luxembourg, mais ne trouvera aucune oreille attentive. Gorbatchev avouera plus tard qu’il a été inspiré par un pionnier de la Peace research ou irénologie, Johan Galtung qui travaille alors au Peace Research Institute d’Oslo (PRIO) et qui se verra décerner en 1987 le Right Livelihood Award. Il ne se doutait pas que ses écrits seraient épluchés et potassés par de proches collaborateurs du père de la perestroïka ; que ce dernier s’en inspirerait pour dessiner un ‘horizon 2000 sans armes nucléaires’.
En tout cas, preuve est faite que la quête du ‘toujours plus’, est une impasse. Multiplier des ogives sur un seul missile, (le ‘mirvage’ pour les intimes), rallonger la portée d’un missile avec ou sans le baratin le vernis de la ‘coexistence pacifique’, n’a aucune influence sur la perception de sécurité d’une population. Un constat qui rejoint à certains égards le paradoxe d’Easterlin.
En toile de fond de cette réflexion collective : redéfinir la sécurité autrement. Mais comment? ‘La sécurité ne saurait être qu’universelle, elle ne peut être uniquement politique ou militaire. Elle doit également être environnementale, économique et sociale. Elle doit répondre aux aspirations de l’humanité tout entière’. Cette vision n’est pas en soi, révolutionnaire, elle précède pourtant les débats autour du concept de la sécurité humaine. À la tribune de l’AG de l’ONU, le lieutenant de Gorbatchev déclare :‘Les frontières qui divisent notre monde s’effacent. La biosphère ne reconnaît aucune division en bloc, alliances ou systèmes. Toutes partagent le même système’. Cette référence à Vladimir Vernadzki ne devrait pas surprendre : c’est lui qui définit dès 1926 la notion de biosphère et pose comme hypothèse que la vie est une force géologique qui transforme la Terre. Si le monde occidental a découvert ce génie en même temps que la perestroïka post-soviétique, Vernadzki fut l’un des tout premiers à envisager scientifiquement l’impact de l’activité humaine sur le climat.
BC
Extraits de ‘Guerre et Paix et Ecologie