Le matériel militaire, contrairement au pinard, ne prend pas de la valeur avec l'âge. Faut donc gérer ce qu'on appelle la fin de vie de ces équipements, ne rien stocker, démanteler un minimum, brader, savoir s'en séparer au bon moment. Pour l'armée française, voilà une révolution culturelle en marche.
Le vide-grenier
Si les armées se retrouvent avec beaucoup d'armes sur les bras, certaines sont mieux outillées que d'autres pour recycler leur quincaillerie. Prenons nos voisins Allemands : sur les 1.650 chars qu'ils avaient alignés, ils sont parvenus à céder plus de 1600 et 10 d'entr'eux ont été cédés à des musées. Pour les sous-marins, nos voisins ont vendu leurs vieux U-206 – qui avaient 40 ans de service derrière eux – à la marine thaïlandaise en faisant valoir que c'était le moins cher sur le marché.
Et les Britanniques ? Ils disposent d'un organisme étatique la Disposal Sales Agency (DSA) doté du statut d'agence depuis 1994. La DSA publie 'on line' l'état du stock de matériels à vendre, leur prix de vente, ce qui permet à tout acheteur de passer commande. 87 bâtiments et 202 bâtiments auxiliaires – d'occasion ! - ont ainsi été cédés à des pays 'amis' depuis 1990. La marine espagnole démilitarise ses navires et les met en vente aux enchères sans nécessairement les dépolluer. Les bâtiments militaires norvégiens sont vendus à des prix symboliques ou carrément donnés à d'autres pays.
Et nous Français, qu'est ce qu'on attend pour exposer nos gadgets sur ebay ?
Tout doit disparaître !
Les clients ne manquent pas. Y en a toujours qui sont à l'affût de quelque missile et disposés à faire leurs courses dans ce bazar, à défaut de pouvoir s'approvisionner aux Puces de Montreuil. Que vous soyez collectionneur ou trafiquant, c'est l'embarras du choix : sont à votre disposition plus de 200 chars lourds , 800 VAB "dégagés" d'ici à 2015. Outre les blindés, des tubes de 155 mm, une centaine de mortiers de 120 27 hélicoptères légers Gazelle, bref, l'Etat-Major des Armées a recensé entre 2010 et 2015 : 40 navires, 130 hélicos, 150 avions, 1500 engins blindés, 15.000 camions et véhicules comme matériels potentiellement cessibles . Qui dit mieux ?
Avec un catalogue pareil, la France doit pouvoir être au hit-parade de cette braderie internationale. Il lui faut juste recycler son mode de pensée. Tout d'abord, faire en sorte que les matériels d'occasion ne soient pas soumis aux mêmes règles que les équipements à démanteler. Il faudrait ainsi mater cette surenchère écolo, - le syndrome Clémenceau – ou, comme l'écrit le député Michel Grall, éviter une application excessive des normes environnementales.
Ecouler davantage n'est pas un long fleuve tranquille, le nombre de conflits est limité. Mais la France peut se consoler d'être très présente sur de nombreux théâtres d'opération extérieure, les OPEX. Voilà des occasions idéales pour se débarrasser de certains équipements : on les cède au pays hôte, et ce genre de petits cadeaux n'a pas de prix : se faire des amis, c'est prospecter des clients potentiels. Et la générosité a d'autres atouts : elle permet de s'épargner les coûts de rapatriement du matos vers la France.
Revoir son catalogue, en fonction de la demande, est un impératif stratégique. Eh oui, il y a tout simplement une ribambelle de pays, petits et grands, solvables ou non, qui préfèrent s'approvisionner sur le marché d'occasion. Tout le monde ne veut pas emprunter la voie des Emirats Arabes Unis qui ont misé sur des chars Leclerc flambant neufs (400). Les Roumains snobent le Rafale, et lui ont préféré les vieux F-16 américains. Les Français ont tort de vouloir percer dans le haut de gamme. Regardons le Brésil : il a récupéré le porte-avions Foch, rebaptisé le Sao Paulo, qu'il a acquis en 2000.
L'avantage de ces ventes au rabais est rentable car stocker coûte cher. Selon la loi de finances, le coût du MCO ou maintien en condition opérationnelle d'un char Leclerc, par exemple, s'élève à plus de 110 millions d'euros par an. Et faire du gardiennage pour les autres n'est pas rentable non plus, y compris la facture que représente depuis 20 ans la trentaine de chars AMX 30 que les Chypriotes ont commandée et qu'ils n'ont toujours pas réceptionnée.
La 'fin de vie' du nucléaire
Pour les équipements nucléaires, c'est une autre histoire. On ne peut pas jongler avec les dates de péremption de ces équipements-là. La durée de vie moyenne pour les têtes nucléaires est de 20 ans, pour les chaufferies de 30 ans et pour les installations de 40 ans. Contrairement aux recettes d'EDF pour les centrales nucléaires civiles, pas question de tricher en proposant des rallonges. Il vaut mieux éviter de solder, et songer sérieusement au démantèlement. Les Britanniques disposent de 25 bâtiments qui vont rouiller à partir de 2016. Les Français vont avoir les mêmes casse-têtes avec les 6 SNLE retirés du service. Au ministère de la Défense, nul ne semble avoir anticipé un financement pour la dé-construction des coques raboutées des sous-marins nucléaires. On ne peut pas penser à tout !
BC - Charlie Hebdo n°992 – 22 juin 2011