Le citoyen suisse s'est exprimé en février 2011 par voie de référendum sur la meilleure façon de se prémunir des dégâts – violents - des armes à feu. Un vrai casse-tête dans un pays où le tir militaire est un sport national.
'Contre la violence des armes' n'est pas un gag, ni un slogan équivalent à 'Rasons les Alpes qu'on voit la mer !' brandi par les militants du mouvement Zürichois des années 80-82.
« Oui à la protection contre la violence des armes » est une initiative populaire à partir de laquelle le peuple suisse va devoir se prononcer.
La Suisse, une armurerie
Les initiateurs de ce projet lancé par le Conseil Suisse pour la Paix et soutenu par le parti socialiste et les Verts - dénoncent la violence des armes de guerre. Ils en veulent pour preuve que le fusil d'assaut - qui décore tout chalet suisse au même titre que le canif rouge ou le caquelon de la fondue - a été utilisé plus de 200 fois l'an dernier dans des conflits familiaux et suicides. Eh oui, une arme tue et cette info ne figure pas de façon spécifique sur l'emballage. Les troupes pacifistes s'offusquent de cette négligence. Les églises protestantes parlent de l'usage abusif des armes comme si la Suisse devait accepter de faire une cure de désintoxication.
L'idée de mieux stocker la quincaillerie militaire dans des arsenaux conçus à cet effet, n'est pas délirante en soi. Dans un pays où le fichage des individus faisait penser à la STASI, où chaque voiture est recensée, où chaque cartouche a un certain niveau de traçabilité, où aucun permis d'acquisition d'armes n'est délivré aux ressortissants de Serbie, Croatie, Turquie, Sri Lanka, Algérie, Albanie (et j'en passe), où un piéton traverse dans les clous, on a de la peine à imaginer que les autorités n'ont pas répertorié les armes à feu dans quelque registre que ce soit.
La Suisse, caricaturée parfois comme un coffre-fort, est d'abord une armurerie. Une armurerie bien fournie avec 2,3 millions d'armes à feu en circulation dont les fameux fusils d'assaut que chaque milicien garde chez lui pour ses périodes d'instruction annuelles d'entraînement militaire ; et qu'il peut conserver comme souvenir et décoration à la fin de ses obligations militaires (c'était gratuit jusqu'en 2005).
La défense est aussi la défense du sport
Dans cette affaire, les opposants à l'initiative sont légion. Ils considèrent que les armes à feu du milicien ne méritent pas de protection excessive. Parmi eux, le DPPS ou Département fédéral (ministère) de la défense, de la protection de la Population et des Sports. Dans son sillage se rallient les chasseurs, les collectionneurs d'armes, l'association fédérale de tir à l'arbalète, l'Association suisse de tir sur silhouettes métalliques (ASTSM), les Arquebusiers de Suisse (AS)...et les habitués des 3.100 sociétés de tir, dont 150.000 soldats qui s'exercent au tir à longue distance. Ces sportifs font mine de croire à l'usage 'responsable' des armes à feu ; ils savent surtout que le tir est le sport le plus subventionné. Ces amoureux de la gâchette trouvent la 'votation' de février aussi incongrue que si nous, Français, voulions assécher la Seine pour empêcher des suicides par noyade.
La défense de n'importe quoi
La votation du 13 février pourrait avoir la vertu de relancer ce débat surréaliste entre une droite favorable à une armée citoyenne à la Jaurès et une gauche qui ne jure que par et pour des troupes d'élite capables de mener des opérations extérieures, de préférence avec l'OTAN. Eh oui, la défense n'est plus ce qu'elle était. En l'espace de 20 ans, inspirés ou contraints par l'OTAN, vingt-cinq Etats en Europe ont opté pour l'armée de métier. Le peuple suisse doit-il suivre cette normalisation ? Au risque de ne pas pouvoir réclamer des comptes à des professionnels qui vont faire le travail en son nom ? Le débat sur un hypothétique laxisme concernant le port d'armes est un prétexte pour pointer les failles de l'armée de milice d'une Suisse en quête d'identité. Histoire à suivre... ?
Nos voisins se sont souvent exprimés sur des sujets liés à la vie et la mort. En 1963, le peuple a été consulté sur l'équipement en armes atomiques. Depuis, il a dû se prononcer en 1989, pour ou contre une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix ; puis, en 2001 sous l'intitulé 'non aux nouvelles missions guerrières de la Suisse'. En 2009, au sujet de l'interdiction d'exporter des armes, le peuple à dit non à 70% mais la presse française a zappé cette votation car elle a eu lieu le jour même de celle pour ou contre les minarets.
BC, février 2011 (dans 'Charlie-Hebdo)