Les Etats-Uniens pourront-ils jamais renoncer volontairement à leurs 4x4, à leurs hamburgers, à leurs énormes manoirs de banlieue et à leurs sacro-saintes pelouses? Surprise : la bonne nouvelle nous vient du passé. Dans les années 1940, leurs aînés (parents ou grand-parents) combattaient simultanément le fascisme à l'étranger et le gaspillage chez eux. Mes parents, leurs voisins, et des millions d'autres Américains laissaient la voiture au garage pour se rendre au travail à vélo, retournaient leur pelouse pour planter des choux, recyclaient les tubes de dentifrice et l'huile de cuisson, prêtaient bénévolement leurs services aux crèches et aux centres de l'United Service Organization, offraient le gîte et le couvert à des inconnus, et s'efforçaient consciencieusement de réduire leur consommation et d'éviter le gaspillage inutile. La Seconde Guerre mondiale donna ainsi lieu à la plus grande expérience d'écologie populaire de l'histoire des États-Unis.
Lessing Rosenwald, le directeur du Bureau pour la conservation des matériaux industriels, exhortait ses compatriotes à passer d'une économie de gaspillage – et on connaît les habitudes de ce pays en matière de gaspillage – à une économie de préservation. Une majorité de civils répondit à l'appel, certains à contrecoeur, beaucoup avec enthousiasme.
Le symbole le plus célèbre de ce nouvel état d'esprit était les jardins de la victoire. Initialement encouragés par l'administration Wilson pour lutter contre la pénurie alimentaire pendant la Première Guerre mondiale, les jardins potagers communautaires ou familiaux sont réapparus au début du New Deal et furent alors élevés au rang de stratégie de subsistance pour les chômeurs. Au lendemain de Pearl Harbor, l'enthousiasme populaire fit céder les résistances des fonctionnaires du ministère de l'Agriculture et fit des jardins de la victoire le dispositif central de la campagne nationale Food Fights for Freedom.
Dès 1943, haricots et carottes poussaient sur la pelouse de la Maison-Blanche et, à l'instar de la Première Dame, Eleanor Roosevelt, près de 20 millions de jardiniers de la victoire assuraient 30 % à 40 % de la production nationale de légumes – permettant en retour aux fermiers de nourrir la Grande-Bretagne et la Russie. Dans The Garden Is Political, un recueil de poèmes populaires publié en 1942, John Malcolm Brinnin saluait ces mètres carrés d'internationalisme surgissant dans les villes américaines. Même si les jardins de la banlieue et de la campagne étaient plus étendus et souvent plus productifs, certains des horticulteurs les plus enthousiastes étaient les enfants des centres-villes, reconvertis en paysans urbains fiers de leur capacité d'autosubsistance. Dans les grands centres industriels du pays, avec l'aide des boy-scouts, des syndicats et des centres sociaux, des milliers de sinistres terrains vagues couverts d'ordure furent transformés en jardins communautaires. À Chicago, 400 000 écoliers s'engagèrent dans la campagne Clean Up for Victory, destinée à récupérer de la ferraille pour l'industrie et à nettoyer des parcelles pour les transformer en jardins.
Au-delà de la nécessité de répondre aux besoins alimentaires, cette horticulture de guerre contribua aussi à nourrir un imaginaire spontané d'autosuffisance et d'écologie urbaine, même si le concept n'existait pas à l'époque. À Los Angeles, la culture des fleurs (indispensable au moral des citoyens ) fut inclue dans le programme Clean-Paint-Plant , visant à transformer les terrain vagues de la cité. À Brooklyn, le personnel du Jardin botanique municipal enseigna les principes du jardinage aux enseignants de la ville et à des milliers d'élèves enthousiastes.
La guerre eut aussi pour effet d'affaiblir considérablement, au moins pour un temps, le règne de l'automobile, symbole du mode vie américain. Les chaînes d'assemblage de Detroit furent reconverties pour construire des tanks Sherman et des bombardiers B-24 Liberator. L'essence était rationnée ainsi que le caoutchouc, à la suite de l'occupation de la Malaisie par les Japonais. (Le directeur du Bureau américain du caoutchouc était chargé de collecter les pneus usés pour les usines, où ils étaient réutilisés pour les tanks et les camions.) Quand, en raison du rationnement et du trafic, le réseau des tramways et des bus du pays parvint à saturation, il devint urgent d'inciter les travailleurs au covoiturage ou d'adopter des modes de transports alternatifs. Si les grands centres de production militaires surpeuplés comme Detroit, San Diego et Washington, n'atteignirent jamais l'objectif de 3,5 personnes par voiture, ils réussirent toutefois à doubler le taux d'occupation des véhicules grâce à la mise en place d'impressionnants réseaux de ramassage et de co-voiturage impliquant voisins et collègues de travail. Le co-voiturage fut aussi encouragé par des réductions de prix sur l'essence, des amendes salées pour les amateurs de balades automobiles en solitaire et des slogans agressifs, comme celui de l'affiche qui proclamait : 'Quand vous conduisez SEUL, vous conduisez avec Hitler !'
Même l'auto-stop devint une forme tout à fait officielle de co-voiturage. Les automobilistes étaient encouragés à embarquer les travailleurs attendant leur bus et les soldats en permission. Dans le Colorado, le Parti républicain fit le voeu d'économiser le caoutchouc en demandant à tous ses candidats aux élections de 1944 de se rendre en stop aux meetings de campagne. À Hollywood, une starlette en shorts ultra-courts reçut les félicitations de la presse pour avoir pris en stop un soldat abandonné sur le bas-côté. Emily Post, la grande prêtresse des bonnes manières de l'époque, voyait d'un mauvais œil ce genre de sociabilité routière et suggérait à ses lectrices de faire preuve de retenue : il était ainsi malvenu de lever le pouce pour faire du stop ; les femmes devaient plutôt bien mettre en évidence leur badge militaire. À quoi elle ajoutait que ces trajets ne sont pas des lieux de rencontre et qu'il n'est pas nécessaire d'engager la conversation , même si nombre de baby boomers doivent sans doute leur existence à ce co-voiturage de guerre .
L'un des grands films de l'année 1942 fut La Splendeur des Amberson d'Orson Welles, une chronique sociale pessimiste qui décrit comment le capitalisme moderne et l'automobile ont détruit le petit monde tranquille de la fin du XIXe siècle, avec ses pittoresques voitures à cheval. Et pourtant, c'est une partie de cet univers, traction équestre incluse, qui fut alors ressuscité sous les auspices de l'austérité en temps de guerre. À la grande joie des enfants et des personnes âgées frappées de nostalgie, les épiceries et les entreprises de livraison pallièrent la pénurie de caoutchouc en harnachant leur vieux canasson à une carriole. En mai 1942, le New York Times rapportait que les habitants des banlieues chics du Connecticut et de Long Island commençaient à transformer leurs chevaux de selle en bêtes de trait : les fabricants de harnais font d'excellentes affaires et les voitures à cheval sortent des remises où elles étaient reléguées.
Mieux encore, on assista au retour triomphal de la bicyclette – grande tocade nationale des années 1890 –, en partie grâce à l'exemple amplement diffusé de la Grande-Bretagne, où plus d'un quart de la population se rendait alors au travail en vélo. Moins de deux mois après Pearl Harbor, une nouvelle arme secrète, le vélo de la victoire – un engin en ferraille équipé de pneus en caoutchouc de récupération – faisait son apparition à la 'une' des journaux et dans les actualités cinématographiques. Dans le même temps, des centaines de milliers de travailleurs réquisitionnaient les vélos de leurs enfants pour leur déplacement quotidien à l'usine ou au bureau, et des dizaines de municipalités organisèrent des parades cyclistes et autres journées du vélo pour promouvoir la supériorité patriotique du Schwinn sur la Chevrolet. À défaut d'automobile, les voyages d'agrément motorisés étant prohibés, les familles partaient en balade ou en vacances à vélo. En juin 1942, les autorités du Parc national de Yosemite déclaraient qu'elles n'avaient jamais vu autant de visiteurs en bicyclette. Les fonctionnaires du ministère de la Santé, pour leur part, ne cachaient pas leur satisfaction : horticulture et cyclisme favorisaient tous deux la bonne santé et la vigueur physique de la population civile, et on pouvait même espérer qu'ils contribuent à la réduction du nombre de cancers, lequel atteignait déjà un niveau inquiétant à l'époque.
Le recyclage des idées
Ce n'était pas seulement les matériaux qui était recyclés, mais aussi les idées. Pendant la guerre, une bonne partie de l'idéalisme des débuts du New Deal ressurgit dans les domaines de la politique du logement, de l'emploi et de l'aide à l'enfance, mais aussi, à la fin du conflit, dans la reconversion civile des industries militaires. Exemple particulièrement intéressant : le mouvement en faveur d'une consommation rationnelle parrainé par le Bureau de la Défense civile (OCD), qui encourageait les citoyens à n'acheter que le nécessaire et mit en place des centres d'information pour les consommateurs prodiguant des recommandations en matière de nutrition, de conservation des aliments et de réparation des appareils ménagers. Les centres de l'OCD remettaient en question les valeurs les plus sacrées de la consommation de masse – turn-over effréné des styles, tyrannie de la mode et de la publicité, obsolescence structurelle des produits, etc. – tout en érigeant la figure de la femme au foyer en soldat de l'économie gérant son ménage avec la même frugale efficacité que l'industriel Henry Kaiser ses chantiers navals.
De fait, avec des millions de femmes manipulant des riveteuses et maniant le fer à souder, la division sexuelle des rôles sociaux se voyait de plus en plus contestée. En avril 1942, par exemple, les reporters du New York Times rendirent visite à un village de caravanes installé à proximité d'une usine d'armement du Connecticut. Ils s'attendaient sans doute à y rencontrer de jeunes épouses rêvant de leur pavillon de banlieue et de la cuisine modèle que la Foire internationale de New York de 1939 leur avait promise pour l'après-guerre. Au lieu de quoi, ils tombèrent sur des ouvrières très attachées à leur travail et fort satisfaites d'un logement qui n'exigeait qu'un minimum d'entretien domestique.
À partir de 1942, la convergence entre ce féminisme de guerre naissant et l'impératif de préservation commença à bouleverser la mode féminine. Obnubilé par le souci d'économiser la laine, la rayonne, la soie et le coton, l'Office de la Production en Temps de Guerre (WPB) estimait que les mêmes techniques qui avaient révolutionné la production de bombardiers et de cargos militaires – structures simplifiées et standardisation des composants – pouvaient être appliquées à l'industrie textile. Contre toute attente, ce fut l'héritier d'une chaîne de grands magasins, H. Stanley Marcus (de la dynastie Neiman Marcus) qui fut nommé à la tête du département du WPB chargé de la rationalisation du secteur. À ce titre, il mit l'accent sur la préservation et la durabilité – des priorités qui coïncidaient avec les valeurs féministes égalitaires depuis longtemps défendues par la styliste radicale Elizabeth Hawes, dont le livre, Why Women Cry (1943), était un manifeste audacieux contre la dictature de la mode incommode.
L'objectif était de créer une silhouette élancée et allégée , un style plus court, moins corseté et plus standardisé qui laisserait à l'industrie textile plus de temps et d'espace pour fabriquer des uniformes, des tentes et des parachutes. Jupes courtes, salopettes et pantalons devinrent la norme approuvée par le WPB, et les photographes du magazine Life prodiguaient aux troupes basées à l'étranger les images affriolantes d'un authentique zèle patriotique : en tant que contribution à l'effort de guerre, les starlettes coupaient le bas de leur chemise de nuit ou arboraient des pyjamas passablement raccourcis. En mai 1942, les ciseaux de l'austérité vestimentaire promue par le WPB s'en prirent aussi à la mode masculine et supprimèrent les revers de pantalon de laine. Toute cette économie de tissu servit aussitôt à la production de couvertures et autres fournitures militaires dans les quelque cinq cents ateliers de couture mis en place dans tout le pays à la demande du Bureau pour la Conservation des Matériaux industriels. L'impératif de préservation entrait également en contradiction avec la culture du luxe. Malgré les milliards de dollars accumulés grâce à l'industrie de guerre, les grands ploutocrates américains étaient obligés de se montrer nettement plus discrets dans leurs dépenses. Afin de contraindre les entrepreneurs à répondre à la demande de logements bon marché destinés aux travailleurs, le WPB interdit la construction de maisons coûtant plus de 500 dollars (le coût moyen était alors de 3 000 dollars). À la même époque, des milliers de domestiques abandonnèrent les demeures fastueuses de Park Avenue et Beverly Hills pour des emplois mieux payés dans l'industrie militaire, tandis que nombre de ceux qui avaient décidé de rester à leur poste rejoignaient le tout nouveau syndicat des employés de maison affilié à la CIO. Si certains millionnaires se réfugièrent dans leur club pour y pester contre les derniers affronts de Franklin D. Roosevelt, d'autres se résignèrent à cette pénurie de domesticité et déménagèrent dans des appartements de taille plus modeste – quoique toujours fort luxueux –, acceptant de céder provisoirement leur gentilhommière aux programmes de logements sociaux à destination des troupes. Ainsi, en juillet 1942, le Chicago Tribune relatait l'histoire typique de sept jeunes sous-officiers de l'US Navy et de leurs épouses, qui se partageaient le manoir d'un vieux baron voleur (de nos jours, on appellerait ça du logement communautaire).
Cette mobilisation totale fut rebaptisée la guerre du peuple et, en dépit des critiques venues des milieux conservateurs, journalistes et visiteurs étrangers tombaient généralement d'accord pour estimer que cette combinaison de crise mondiale, de plein emploi, et d'austérité modérée constituait un excellent stimulant pour le caractère américain – ce que confirment également les recueils de souvenirs de l'époque. Ainsi, par exemple, Samuel Williamson, chroniqueur au New York Times, observa les effets du rationnement et de la restriction du transport automobile sur les familles des banlieues éloignées qui ne pouvaient jouir ni de l' auto-suffisance de la campagne , ni de l' intégration totale en milieu urbain . Après une première phase de désarroi et de confusion, Williamson se réjouit de voir les banlieusards enfourcher leurs vélos, raccommoder leurs vêtements, cultiver leur jardin, et consacrer plus de temps à coopérer avec leurs voisins. Sans voiture, les gens se déplaçaient plus lentement, mais semblaient être plus actifs. Comme Welles dans La Splendeur des Amberson, Williamson remarquait qu'en l'espace d'une génération, la vie des Américains avait connu une véritable révolution. Malgré cela, la guerre et l'impératif de préservation faisaient renaître de vieilles valeurs qui semblaient avoir disparu à jamais : Une de ces valeurs, sans doute, c'est la redécouverte que le domicile familial n'est pas un simple dortoir, mais un lieu de vie en commun. Voilà qui revalorise les relations humaines.
Ce qui se dessinait à travers les commentaires optimistes de Williamson, c'était un avenir différent pour l'Amérique. Malheureusement, au lendemain de la guerre, cette promesse fut balayée par l'euphorie de l'abondance et la réaction conservatrice contre les réformes économiques et sociales du New Deal. Avec la Guerre froide et la normalisation culturelle des banlieues américaines, il ne subsista pas grand-chose des valeurs et des programmes innovateurs de la Guerre du peuple . Et pourtant, quelques générations plus tard, cette brève période qui vit se côtoyer jardiniers de la victoire et allègres auto-stoppeurs demeure une source d'inspiration et un vivier de compétences pour la survie de la planète.
Mike Davis, qui travaille sur la géopolitique des changements climatiques.
Article paru sous le titre 'Home-Front Ecology' ou What our grandparents can teach us about saving the world, (ce que nos grand-parents peuvent nous enseigner à propos de sauver le monde), paru en français dans 'Mouvements ' août 2008.
POST-SCRIPTUM
Plutôt la guerre que la paix ?
C'est troublant. Car derrière cette reconnaissance d'un mode de vie économe, d'une manière de vivre non dépensière, on découvre entre les lignes une quasi apologie de la guerre en général. Au début, le lecteur se dit que la métaphore vaut le détour. Puis, le lecteur encaisse. Après tout, il excuserait le récit d'un Etats-unien qui aurait pu insister, par exemple, sur les efforts inouïs de reconversion vers le civil une fois que les armes se sont tues.
Le raisonnement renvoie l'écologisme vers l'impasse ou pourrait renvoyer les écologistes vers le degré zéro de la réflexion politique. L'auteur est-il simplement en faveur de la militarisation de nos sociétés au nom de valeurs écolos ? Voudrait-il que nos sociétés se militarisent davantage pour être sûr qu'on diminuerait la circulation automobile, l'usage de sacs plastic, la gabegie consumériste, la chasse aux trésors bling-bling ? Le message de Mike Davies est ambigu. C'est de la part d'un intellectuel qui écrit pour The Nation ou New Left Review une sorte de mauvaise ou malsaine nostalgie d'une époque...une époque durant laquelle on a enfermé tout Japonais, toute Japonaise dans des camps, (les documents historiques font mention de 110 000 prisonniers répartis dans dix camps) sous prétexte qu'ils avaient la même couleur que ceux qui avaient ordonné l'attaque de Pearl Harbor, cette célèbre opération mise en scène plus tard avec trop de sons et lumières dans Tora Tora Tora, ; une opératoin que les autorités Américaines ont feint de ne pas connaître à l' avance....et qui a surtout permis aux dirigeants à Washington d'arrêter de se conduire en spectateurs et d'entrer de plein pied dans ce conflit mondial.
A force de lutter contre le gaspillage, à force de vouloir faire de l'écologiquement correct, imaginer le pire n'est pas grave, encore faut-il ne pas implicitement promouvoir le pire. Le phénomène guerre détruit tout ce qui relève de la protection de la biosphère. Il serait donc intellectuellement malhonnête d'insister sur le fait que des géraniums poussaient à Auschwitz ; ou pour le besoin de l'argumentation, vanter par exemple le recours aux machettes plutôt qu'au lance-flammes ou au napalm en associant ce type d'armement à des exigences anti-pollution. Les forces d'occupation ne sont pas plus écolos parce qu'elles disent vouloir 'nettoyer des poches de résistance' (sic) ou parce qu'elles ont recours à un discours sanitaire pour justifier quelques ardeurs fascistes. Certes, en temps de guerre, on ' se sert tous la ceinture' et certains croient peut-être que cette rigueur, cette décroissance forcée représente le critère écolo par excellence. Et pourtant...Revenons au réel : dans les camps, on ne flirtait pas avec la surconsommation, il n'y avait pas de sur-bouffe, la soupe était de rigueur pour les prisonniers, le zyklon B était sûrement distribué au compte-gouttes, le luxe ne se répandait pas dans les casernes ou dans les lieux prédestinés à la torture....Et alors ? On a l'impression de relire du A. Glucksmann qui expliquait - aux jeunes Européens des années 80 terrorisés par les euromissiles - qu'il valait mieux mourir plutôt que d'être sous la botte des Soviétiques ! Mike Davies ne dit pas 'plutôt morts que rouges'. On espère seulement qu'il ne soit pas tenté de dire parfois 'plutôt la guerre que la paix'. Parce que la paix ne serait pas assez écolo ? Attention : détruire peut réduire l'empreinte écologique. Un être humain neutralisé n'a pas besoin d'un ventre plein. Un habitant détruit n'a pas besoin d'être chauffé. Un Hibakusha mort va épargner un trou dans la sécurité sociale ! Un être humain éliminé n'encombre pas la planète Terre en émettant "inutilement" des gaz à effet de serre. Mais oui, la destruction à grande échelle régulerait le désordre démographique et permettrait aux survivants de mieux gérer les ressources naturelles restantes, n'est-ce pas ?! Le problème avec le discours de Mike Davis consiste dans son incapacité à faire la part des choses. Il aurait pu écrire en préambule ou dans le chapô combien c'est regrettable qu'on ait besoin de millions de cadavres, de millions de prisonniers, de millions d'handicapés à vie pour convaincre les Américains des bienfaits du vélo. Il pourrait indiquer en annexe au lecteur un peu profane que ces économies ne s'appliquaient pas partout. La discipline un peu spartiate, que semble vénèrer naïvement l'auteur, s'appliquait uniquement à la société "civile", aux hommes et les femmes restés à l'arrière, recrutés perfidement pour mener la "guerre économique totale". Des hommes et des femmes – y compris les enfants - mobilisés comme soldats auxiliaires et sous-payés. Des civils qui, avec ou sans publicité, se saignaient pour que ceux qui sont au front puissent détruire avec indécence et sans parcimonie, sans souci d'économie. Pour que ceux qui n'ont jamais économisé une seule cartouche, ni limité la casse au nom du C02, ni freiné leurs ardeurs de vengeance, ni limité leurs bombardements au nom de la pollution sonore, pour que ceux-là puissent anéantir sans dentelles ....