La capacité à nouer les références (de Stiglitz au GIEC, aux théoriciens de la décroissance ou même Rifkin) est remarquable. Le constat, s’il n’est pas nouveau (Foessel le notait déjà), n’en paraît que plus étayé et clair. Il débouche sur le constat d’une fragmentation des peuples, de la mise en place d’un apartheid plus ou moins généralisé entre les 1% qui tiennent le système et les 99% qui sont dominés. Ce système moderne, capitaliste, libéral, individualiste et financier met sous contrôle les individus comme les groupes.
Vient ensuite un second constat, celui des formes innovantes de résistance et création d’un nouveau monde : des hacktivistes au financement solidaire et au microcrédit, le pessimisme laisse donc place à une lueur… Vient alors le souhait de faire coaguler l’ensemble et de former une sorte de révolution mondiale nouvelle qui verrait la plèbe se constituer au niveau mondial pour imposer de nouvelles règles, totalement opposées à celles qui nous régissent aujourd’hui : adviendrait une République universelle des Biens communs via des Etats généraux de la Terre.
Les auteurs achèvent leur propos par une adresse à chacun des citoyens du monde qui lira ces pages.
Injonctions paradoxales
Cependant, le propos tombe souvent dans l’ambiguïté voire la contradiction sémantique. Certes, il faut changer de logiciel de la civilisation occidentale qui a gagné l’essentiel du monde globalisé (Gruzinski ou encore Lipovetski l’écrivent chacun de leur point de vue), et ce dans le but non pas de modifier tel ou tel aspect de notre civilisation, mais pour la réformer entièrement, mettre à bas le triptyque de notre modernité évoqué ci-dessus. Mais comment ressentir comme une injonction paradoxale lorsqu’on lit que pour ce faire, la population mondiale (les 99% ) doit se constituer, à l’occasion de la COP 21 et au-delà, en Assemblée constituante , en Tiers-Etat du monde ? Comment ces vieilles formules pourraient-elles correspondre à une coagulation de ces nouveaux mouvements sociaux et alter-contestations que les auteurs recensent ? N’est-ce pas retomber dans les étapes des anciens processus révolutionnaires qu’ils considèrent eux-mêmes comme dépassés ?
Seconde originalité notable, l’idée de classer les formes de renouveau par la grille de Dumézil qui certes fournit des grilles de lectures particulièrement intéressantes mais dont les origines de la Nouvelle Droite portent à interroger quand on connaît les engagements des deux auteurs. Ainsi ils classent comme Dumézil en son temps à propos des sociétés indo-européennes les types de contestation en trois groupes : ceux qui luttent, ceux qui produisent, ceux qui pensent. Le GIEC apparaît ainsi comme assimilé au groupe des sorciers! Les climato sceptiques n’en souhaiteraient pas tant !
On suivra mal sur un autre point Noël Mamère et Patrick Farbiaz. Ils affirment un point de vue cosmopolitique fait de métissages. Ils critiquent les identités comme meurtrières lorsqu’elles défendent leurs intérêts. Mais dans le but de convoquer un changement global, comment ne pas s’aliéner les racines du renouveau (microcrédit, monnaies locales…) si ancrées dans leur terroir, dans leur civilisation, dans des structures ethniques ? Les difficultés restent ici bien grandes et la référence à des valeurs globales risque de ne pas suffire, de ne pas faire sens pour tous. Une fois de plus, le combat pour un changement global échoue à rencontrer clairement les pousses locales, malgré quelques efforts sur la thématique de la pollinisation…
Ecologie, y es-tu ?
Au fond, dans le propos, l’écologie tient une place congrue. Elle est évidemment sous-jacente dans de nombreux combats, de manière centrale ou non (Zadistes de Notre-Dame-des-Landes ou encore luttes à venir pour la maîtrise de l’eau potable). Pour autant, le titre l’indique, la crise écologique (et donc les solutions écologiques) n’est pas le cœur du problème, elle n’en est qu’une modalité. Au fond, le Manifeste qui doit dépasser les crises politiques internes et les questions partisanes reflète parfaitement, comme son titre l’indique, la dérive du positionnement d’EELV : il faut changer le monde, si possible à gauche contre une oligarchie (reste à savoir comment on la définit VRAIMENT), et l’écologie n’est qu’un des combats, mais peut-être pas le premier. Daniel Cohn-Bendit et Nicolas Hulot peuvent se retourner dans leur tombe d’ex-militants de l’ex-coopérative innovante… Ce dernier est d’ailleurs à la manœuvre auprès du Chef de l’Etat dans l’organisation et la préparation de la COP 21.
Pourtant Félix Guattari et ses réflexions sur l’écologie sont évoqués. Dans son ouvrage consacré à cette question, le philosophe exposait qu’il fallait lier l’écologie des esprits, de la nature, de la société. Mais l’écologie au sens strict du terme était encore le liant de l’ensemble. Ici c’est l’alter-gauche qui le devient. Certains le déploreront, mais le positionnement est clair. Le propos est en réalité axé sur l’acteur des changements de l’histoire par le bas, la plèbe , terme repris à longueur de pages.
Noël Mamère - Patrick Farbiaz
Changeons le système, pas le climat ; Manifeste pour un autre monde,
Paris, Flammarion, 2 septembre 2015