Les pays en développement tels que la Chine s’appuient souvent sur des technologies et des industries ‘plus sales’ pour stimuler le développement et faire croître leurs économies ; cependant, leurs émissions ne se limitent pas aux frontières nationales ou même continentales. En raison de ces effets de grande envergure, ces émissions affectent la sécurité nationale des autres, observe le lieutenant-colonel états-unien Pete Helzer. Une étude de 2014 publiée dans les Comptes-rendus de l’Académie nationale des sciences des États-Unis montre à cet égard que la pollution atmosphérique chinoise contribue quotidiennement de 12 à 24 % de la pollution par des sulfates dans l’Ouest américain. En effet, les puissants vents d’ouest ( westerlies ) charrient ces polluants sur des milliers de kilomètres, surtout au printemps. Chaque année, Los Angeles connaît au moins un jour supplémentaire de smog , nuage brumeux chargé de polluants atmosphériques (oxyde d’azote et monoxyde de carbone surtout). D’aucuns pourraient dès lors envisager le développement de Pékin, dont le rattrapage se poursuit, comme une menace à leur propre intégrité.
Avec les Etats-voyous climatiques , le potentiel retour de la ‘guerre juste’ ?
Une politique écocidaire pourrait-elle motiver des réactions militaires visant à atténuer les effets du changement climatique ? Pourrait-on aller jusqu’à bombarder des sites industriels polluants pour raison environnementale ? Selon Martin Craig, professeur à la Washburn University School of Law, concomitamment à l’intensification des désastres écologiques, ce ne seront plus seulement les conséquences du changement climatique qui seront perçues comme une menace par les États, mais ses causes elles-mêmes. Autrement dit, les pays qui contribueront de manière excessive au changement climatique (les ‘climate rogue state’ ) seront considérés comme une menace pour la paix et la sécurité internationales, justifiant une action collective allant jusqu’à l’emploi de la force. Martin Craig envisage en effet une clause d’intervention atmosphérique , qui permettrait une nouvelle interprétation de l’article 39 de la Charte de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en vue de contraindre ( ?) les États voyous climatiques (dont le Brésil mais pas que ….) à modifier leur comportement.
Néanmoins, il n’est pas même nécessaire d’amender la charte onusienne pour poursuivre un ‘État voyou climatique’ . Si la jurisprudence environnementale de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg est majeure, le mot ‘environnement’ n’a jamais figuré dans la Convention de Paris, qui fonde la CEDH. De même, rien n’empêcherait l’ONU de considérer qu’une menace contre le climat ou l’environnement constitue une menace contre la paix (art. 39 de la Charte onusienne).
En 2003, la fiole d’anthrax brandie devant l’Assemblée générale des Nations Unies par Colin Powell, alors Secrétaire d’État des États-Unis, a largement pesé dans l’établissement d’un casus belli. S’ensuivit l’une des rares mises en œuvre du concept de ‘guerre préventive’ menée par une coalition de 48 États sous l’égide de Washington. Dès lors, à l’instar de la ‘guerre contre le terrorisme’ , qui se traduit par une croisade à l’encontre des ‘Rogue States’, accusés (à tort ou à raison) de soutenir ces groupes ou du moins de les laisser prospérer, une guerre climatique contre un hypothétique ‘climate rogue State’ s’appuierait avant tout sur la double condition d’un récit efficace (propagande, guerre de l’info) et d’un rapport de force favorable au va-t-en-guerre.
La diplomatie des catastrophes
Toutefois, au-delà des errements et autres fautes humaines, il ne faut pas négliger l’impact des aléas climatiques, aussi imprévisibles qu’incontrôlables, sur les relations internationales.
D’autant plus que sur les 20 pays les plus touchés par les conflits dans le monde, 12 font également partie des pays les plus vulnérables aux impacts des changements climatiques. Avec la double perspective d’une intensification et d’une multiplication des événements climatiques extrêmes, certaines missions sont susceptibles de devenir plus fréquentes, quand celles réalisées localement pourraient changer d’échelle. C’est notamment le cas des missions post-catastrophes naturelles. Si, pour l’heure, les feux en dehors du territoire états-unien n’entraînent pas de larges déploiements de militaires américains, ce pourrait être le cas si des alliés (européens ?) se trouvaient débordés par leur intensité ou leur fréquence. Les chercheurs Angélique Palle et Édouard Jolly observent à cet égard une recrudescence du recours au militaire en cas de catastrophe environnementale, notamment au sein des armées occidentales depuis la fin des années 2000.
En avril 2019, 2.000 militaires de l’armée canadienne sont intervenus pour secourir des populations victimes d’inondations majeures en Ontario,
Deux mois plus tard, les forêts de Sibérie sont à leur tour ravagées par les flammes et un épais voile de fumée s’abat sur les villes industrielles de l’est de la Russie. Des unités de l’armée ainsi que 21 avions de la Défense sont réquisitionnés. Compte tenu de l’étendue des incendies (4 % du territoire russe en feu), le président D. Trump propose une aide américaine à son homologue russe, qui y voit le signe d’un rétablissement possible de relations bilatérales à grande échelle…à l’avenir.
Cela illustre les dynamiques de coopération à l’œuvre dans le cadre de la disaster diplomacy et relance le débat entourant le potentiel coopératif du changement climatique… À ce sujet, Frédéric Encel note que la recherche d’accords de coopération hydrique a soit accéléré la conclusion de traités de paix, soit réduit les menaces de guerre, à trois reprises au moins : close de session d’eau d’Israël à la Jordanie en 1994 (paix de la Arava, toujours en vigueur) ; nouvelle coopération entre la Turquie et la Syrie en 1999 (accord sur le débit de l’Euphrate) ; pourparlers avancés sur le débit du Nil entre pays d’aval (Égypte, Soudan) et le principal pays d’amont (Éthiopie) en 2020.
Comme le souligne le Livre vert de la Défense (2014), la menace sécuritaire liée au risque climatique motive le recours aux armées, réputées pour leur aptitude à intervenir dans les délais les plus brefs et en nombre suffisant pour porter une assistance efficace.
Le dérèglement climatique, risque stratégique à part entière par le caractère inédit, multidimensionnel et global de ses conséquences, appelle une orientation de nos armées vers une capacité renforcée de secours été d’assistance. De l’autre côté de l’Atlantique, le ‘Military Advisory Board du Center for Naval Analysis’ estime que les missions de secours aux populations lors d’évènements météorologiques extrêmes vont entraîner une mobilisation croissante des forces armées états-uniennes sur le territoire national. Et ailleurs ?
Les catastrophes climatiques font partie d’un des scénarios d’intervention du CJEF (Combined Joint Expeditionary Force). Les pays en développement, qui sont à la fois les plus touchés par les événements météorologiques extrêmes et ceux dont les infrastructures sont les plus fragiles, constituent potentiellement des zones de conflit en devenir en cas de catastrophe naturelle. Cependant, un déploiement à l’étranger dans un tel cadre démontrerait l’engagement d’un État en faveur d’un certain humanisme dans sa politique extérieure, ce qui peut devenir une stratégie diplomatique à part entière, comme en témoigne la disaster diplomacy .
Pour Will Nichols, responsable "climat et résilience" chez Verisk Maplecroft, les principales surprises ne viennent pas de la catégorie des "protégés", "pas seulement de ceux catalogués comme "vulnérables" comme certaines puissances régionales dont l'Inde, l'Indonésie ou l'Afrique du Sud, mais de la catégorie ‘précaire’ qui comprend la Chine, le Vietnam, le Brésil, la Russie, l'Arabie saoudite, ou encore le Mexique. Le Mexique, pourtant membre du G20, est "précaire" principalement en raison des répercussions possibles du changement climatique sur ses voisins, qui pourraient déclencher des vagues de migrations. "Ces risques ne sont pas contenus par les frontières politiques. Votre maison peut être en ordre, mais si celle de votre voisin ne l'est pas, ça peut sérieusement miner votre capacité à vous protéger", explique Will Nichols.
La guerre, une affaire de perceptions…
Dès lors, si le changement climatique est bel et bien un game changer, son caractère crisogène voire conflictuel n’est point inéluctable, mais repose avant tout sur sa perception et les valeurs qui la sous-tendent. Au niveau interétatique, on peut distinguer deux principales réactions. Pour les partisans d’une approche hobbesienne, qui envisagent la scène internationale comme une arène, la perspective d’un épuisement des ressources et d’un accroissement de la population mondiale pourrait nourrir la peur, le repli et a fortiori le bellicisme.
Si les institutions militaires semblent de plus en plus préoccupées par la lutte contre le changement climatique, les experts déplorent le manque de coopération nécessaire entre les nations. Il s’agit, pour chaque pays, de protéger sa population. Un rapport du ministère de la défense britannique, révélé par le média Vice, appelle ainsi "à un programme massif de nouvelles interventions militaires britanniques en réponse à un scénario d'accélération des crises climatiques dans le monde".
Il ne s’agit pas seulement de soutien direct aux populations affectées par le changement climatique, mais aussi d'être présent dans des endroits géostratégiques d’avenir comme l’Arctique et le Grand Nord. Le but serait d’éviter des pénuries de ressources comme le gaz, le pétrole et quelques terres rares. Alors, au lieu de lutter directement contre le réchauffement climatique en limitant les émissions de gaz à effet de serre, les États miseraient sur une conquête des ressources fossiles par l’armée. Dans ces conditions, un conflit de haute intensité entre des États aux réflexes prédateurs devient possible. En misant sur la guerre de l’information, les belligérants pourraient alors prétexter la lutte contre un État voyou climatique pour détruire une puissance adverse jugée dangereuse et/ou mettre la main sur des ressources stratégiques.
Cela étant, si l’on épouse une approche davantage libérale des relations internationales, l’anarchie structurelle n’apparaît plus comme indépassable et les valeurs humanistes pourraient prendre le pas sur l’égoïsme des États. Dans ce contexte, les désastres environnementaux pourraient alimenter des attitudes coopératives et renforcer la solidarité internationale ? "Un échec sur le front du climat saperait les efforts de prévention des conflits et de consolidation de la paix", a déclaré le chef de l’Etat (français). Plusieurs Etats, dont l’Inde, ont ainsi appelé à agir en collaboration et à renforcer le multilatéralisme. Le scénario qui se profile alors est celui d’une multiplication des missions post-catastrophes de par le monde, Au bénéfice des pays ‘en développement’ ? Les États-puissance rechercheront-ils avant tout le bénéfice induit par l’image positive de ces opérations, dans une logique davantage tournée vers le soft power ?
Alexandra Nicolas
Extrait d’un article du 3 novembre 2021 intitulé ‘la guerre du climat aura-t-elle lieu ?’