Le monde devrait se féliciter de certains hasards du calendrier. Le dernier en date fut le happening en faveur du climat le 21 septembre 2014. Cette date n’est pas anodine : c’était la journée internationale de la paix célébrée comme il se doit depuis 2001, conformément à une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Grâce à un sommet à New York auxquels avaient été conviés les dirigeants du monde par Ban Ki Moon, la « marche‘pour le climat » était une occasion idéale, inespérée, d’additionner et combiner les consciences des écologistes et des pacifistes. Puisque les perturbations climatiques représentent un arme au service des forces armées ; puisque le dérèglement climatique auquel nous assistons est facteur de guerres et que ces conflits en gestation vont hypothéquer tout avenir durable auquel nous aspirons…, il y avait vraiment de quoi louer cette synchronisation : faire coïncider les enjeux du climat et ceux de la paix !
Mais voilà, les initiateurs de cette marche relayée par Avaaz ont carrément oublié de faire ce lien. A qui la faute ? Triste ironie de l’histoire, la journée d’Alzheimer tombait aussi ce jour là. Du moins en France. Ce qui explique peut-être pourquoi les allergiques à la polémologie (*) méritent quelques piqures de rappel. De 1967 à 1972, soit il y a près de 50 ans, les forces américaines ont eu recours à la guerre météorologique, en inondant la piste Ho Chi Minh dans le cadre de l’ opération Popeye.
Ces manipulations avec ensemencement de nuages - interdites depuis – sont à l’origine de l’adoption dès 1978, de la Convention ENMOD qui interdit de modifier l’environnement à des fins militaires. A l’époque, des associations écologistes se sont mobilisées, dont l’association internationale d’écologie (INTECOL).
Si les climatologues ne prennent pas la peine de répertorier la part des émissions de C02 que produisent les infrastructures du complexe militaro-industriel, restons vigilants ! D’autant plus que le ministère britannique de la Défense avoue être responsable de 70% de toutes les émissions de dioxyde de carbone émises par l’Etat. Et que le ‘monsieur climat’ de sa Gracieuse Majesté était jusqu’à récemment un amiral.
Dans leurs bureaux de l’Organisation Météorologique Mondiale, les experts omettent curieusement de mesurer l’empreinte carbone des dix premières entreprises de l’armement dans le monde. Ceci ne leur a pas retiré le visa pour décrocher un Prix Nobel de la Paix en 2007 . Cela n’a pas non plus inspiré l’ex-vice-président Al Gore (nobélisé à son tour) de pointer le Pentagone (qui consomme plus d’énergie que l’industrie civile aux Etats-Unis) parmi ses « vérités qui dérangent ».
Les négociations à Copenhague ont piétiné –entre-autre- parce que les Américains ont fait savoir qu’ils refuseraient que soient comptabilisées les activités militaires sur leurs 500 bases à travers le monde.
Aujourd’hui, il nous reste à espérer que ceux et celles qui réclament des « avancées » pour COP21 de décembre 2015, ne vont pas oublier (assez de retombées d’Alzheimer !) d’exiger de la part du gouvernement français qu’il signe et ratifie la convention ENMOD, ce traité qu’a adopté la grande majorité des Etats membres de l’U.E. et qui a été signé par toutes les puissances nucléaires (même la Corée du Nord), hormis Israël. Que ceux et celles qui réclament des ‘fonds verts’ pour « sauver le climat » n’occultent pas les montants des dépenses militaires qui pourraient être réaffectées ailleurs. Car nul ne pourra se consoler des échecs onusiens sous prétexte que les Objectifs du Millénaire pour le Développement vont être recyclés en Objectifs du Développement Durable.
Lors d’une rencontre avec les journalistes de l’environnement, à Paris, le 16 septembre dernier, Marie-Hélène Aubert, conseillère de la Présidence de la République pour les négociations internationales Climat et Environnement, a insisté sur le fait que les questions du climat ne concernaient pas seulement les écologistes. Difficile de ne pas l’approuver. Ces questions concernent en premier lieu les militaires, concède-t-elle en off. D’ailleurs, ces derniers se mobilisent sur plusieurs fronts :
a) pour maîtriser les conséquences d’un dérèglement climatique qui influe sur la reconfiguration géopolitique (pas seulement dans les pôles) et donc sur leur stratégie
b) pour mener des opérations de sauvetage à l’intention de civils auxquels nul ne veut reconnaître le statut de réfugié climatique alors même que les déplacés du climat sont plus nombreux que les déplacés pour causes de conflits armés ;
c) pour recourir à la ‘menace climatique’, histoire de mettre tout le monde ‘au pas’, au cas où le scénario terroriste ne parvient pas à terroriser suffisamment les peuples égarés ; enfin,
d) au niveau diplomatique, avec un lobby qui ne dit pas son nom, pour être exemptés de toute obligation dans le cadre de Kyoto ou de post-Kyoto.
L’occasion manquée du 21 septembre 2014 fait apparaître que la militarisation du monde est l’angle mort de l’écologisme. Une vision dont il serait salutaire de se défaire. Sans l’oublier.
BC in 'Reporterre', 24 septembre 2014
*Cette science des conflits inventée par un Français , Gaston Bouthoul