‘Notre maison brûle et que nous regardons ailleurs’. Vous vous rappelez ? L’auteur n’était pas un guetteur de l’aube, juste Président de la République. La formule a fait tilt à l’époque. (2002). Aujourd’hui, la maison brûle toujours, mais la fumée qui s’en dégage semble boucher les issues de secours. On ne peut plus regarder ‘ailleurs’ car il n’y a plus d’ailleurs.
Dans le bal macabre des charognards, nous assistons médusés à la cacophonie entre les survivalistes qui spéculent sur la fin du monde, les exclus du banquet qui redoutent la fin du mois, les victimes du ‘ rideau de fer des inégalités’ (Amartya Sen) ; ceux qui sont tiraillés par la faim dont les populations de 31 pays d’Afrique qui ont besoin d’aide alimentaire extérieure ; ceux qui survivent dans l’insécurité tout court, dans ces Etats qualifiés d’ingouvernables ou de fragiles (8 Etats africains listés) ; avec ou sans catastrophes naturelles qui leur tombent sur la tête.
A la recherche de priorités
A ceux qui estiment que la fonte des glaces au Groenland est plus menaçante que l’édification de murs et miradors sur le pourtour méditerranéen, attention ! Avec l’extension géographique d’une forme d’’apartheid’ planétaire, sera étouffé tout espoir de fraternité et de médiation sociale. La vigilance s’impose. S’il est louable de prôner la désobéissance pour ‘sauver le climat’ , un front pour préserver les richesses non renouvelables dans nos sols le serait tout autant. L’accaparement et le viol des terres arables pour satisfaire les multinationales du junkfood, qui s’affranchissent de tout principe de responsabilité, est aussi scandaleux que le pompage et pillage des sous-sols africains via le ‘droit d’approvisionnement préférentiel’ que s’étaient octroyés certains pour qui ‘le citoyen africain n’était pas encore entré dans l’histoire’ (Sarkozy).
L’enfumage fait des ravages : au point de nous faire croire qu’il ne faudrait pas juxtaposer l’extraction de minerais et la quête de la domination militaire. Vraiment ? La géologie ne sert-elle pas d’abord à faire la guerre (pour paraphraser Yves Lacoste) ? Soyons sérieux ! Si ‘la maison brûle’ pour reprendre la formule de Jacques Chirac, c’est aussi et surtout en raison des flammes qui surgissent au cœur des opérations de sabotage et de destruction. Le prédateur à l’affût du moindre minerai stratégique n’en omettra aucun, aussi épuisé soit-il, pourvu qu’il serve à dominer, et poursuivre la guerre par tous les moyens. Le minerai de sang qu’on soutire aux sinistrés de la mondialisation ne va pas uniquement enrichir les caisses des milices de tous bords ou améliorer nos smartphones. Il permet aux puissants de perfectionner leur quincaillerie. En effet, lorsque la "maison brûle", la puissance se mesure en ‘puissance de feu’ et ceux qui jouent avec le feu ne manquent pas de munitions et de points d’appui.
Djibouti, un ‘hotspot’ de la conflictualité
Sur ce champ de bataille, les prédateurs les plus déterminés se positionnent. En ordre dispersé ? Pas du tout. Pour faire main basse sur le continent africain, les plus malins ont décidé de squatter un avant-poste de choix : Djibouti. Le best-off de tous les hub. Le ‘hotspot’ de la conflictualité dans la zone où transite un quart du trafic du commerce mondial. Des militaires de six puissances non africaines (dont le Japon) se sont invités au sein de ce territoire d’un million d’habitants qui fut jadis l’un des joujoux de la Françafrique. Djibouti abrite non seulement depuis 2003 une base militaire des Etats-Unis (3.200 hommes), mais accueille les Chinois et des puissances émergentes décidées à en découdre pour mettre à sac un continent qui regorge de tout dont 80% du chrome, 30% du titane, 50% du cobalt mondial, etc…
Au commencement était Shinkolobwe
L’uranium du sous-sol de Shinkolobwe, convoité par les puissances coloniales servit naguère à alimenter, via l’Union minière du Haut-Katanga, (en RDC, ex-Congo), le projet Manhattan dont est issue la bombe d’Hiroshima. Cet évènement remet les pendules à l’heure sur la science du climat. Il faut remonter aux années 50. La guerre froide aidant, les recherches se focalisent sur les ‘sciences de la Terre’. Grâce aux fruits de ces recherches, nous allons mieux décrypter notre environnement, depuis les couches les plus élevées de l’atmosphère, de la stratosphère (l’espace extra-atmosphérique) jusqu’aux profondeurs des océans. La démarche ne visait pas à sauver le climat - ce n’était pas à l’ordre du jour – mais plutôt à évaluer le ‘meilleur’ moyen d’introduire de nouveaux systèmes de communication et de nouveaux systèmes d’armes. Bref, nous sommes en partie redevables aux scientifiques qui ont frayé avec le Pentagone pour les données concernant le dérèglement climatique. La modélisation climatique sur laquelle s'appuient aujourd’hui les analystes du Groupe Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC, prix Nobel de la Paix 2007) est directement liée à la course aux armements nucléaires. Les données exploitées pour retracer l'évolution du climat dans le passé en fonction des concentrations de CO2, on les doit (aussi) à l’armée américaine. C’est elle qui a organisé les premiers prélèvements de calotte glaciaire, pour mieux connaître la circulation de la radioactivité. Et, sans vouloir minimiser les horreurs pour les victimes, on peut saluer ces ‘bénéfices météorologiques des essais nucléaires atmosphériques’.
Les autres ‘vérités qui dérangent’
Puisque la militarisation du monde et le dérèglement climatique sont des processus qui s’enchevêtrent, revisitons les ‘vérités qui dérangent’ (dixit Al Gore). Dans le registre du lobbying, le Pentagone a tiré le gros lot : ses activités de plus grand consommateur de carburant du monde sont exemptées de toute règlementation. Depuis, les artisans du Protocole de Kyoto se taisent sur les armées qui sont un des piliers centraux de l’économie globale des hydrocarbures ; et l’omerta concerne aussi l’empreinte carbone des 50 millions d’humains sous uniforme, sans compter les travailleurs du secteur de l’armement. Un brouillage des chiffres relatifs aux menaces. Qu’en pensent les militants qui se mobilisent pour ‘sauver le climat’? Le complexe militaro-industriel leur échappe-t-il ? Réaffecter 5% des dépenses militaires en faveur du Fond Vert pour le Climat (100 milliards) devrait être une option, un plaidoyer. Ce transfert serait une démarche légitime puisque ce ‘financement de l’adaptation’ relève d’une mesure de sécurité.
Des sentinelles de l’environnement
Alors que nous entrons dans une nouvelle économie de guerre, nous voilà dépassés et démunis, avec un ‘Ministère des armées’ dont les outils sont aussi inopérants que des Canadairs pour éteindre un brasier à Notre-Dame-de-Paris. Une nouvelle génération de pompiers capables de penser la transition stratégique avec autant d’aplomb que les promoteurs de la ‘transition énergétique’ se fait attendre. Mais pourquoi ne pas former et entraîner des casques verts ou sentinelles de l’environnement ? Ils seraient chargés d’évaluer les quantités de déchets militaires non recyclables qui se sont accumulés ici et là, quitte à enseigner au commun des écolos que nos munitions polluent davantage que les autres déchets…Enfin, puisqu’un pyromane peut en cacher un autre, ils pourraient aussi alerter nos gouvernants au sujet de ces bombes à retardement que sont les centaines de milliers de munitions chimiques qui sommeillent dans les eaux européennes.
Le dérèglement climatique qui impacte les glaciers, les écosystèmes, la biodiversité, va accélérer la militarisation. Il affecte notre santé mentale et in fine, notre perception du monde. Pourvu qu’elle ne soit pas brouillée par des écrans de fumée…
B. C.
Auteur du rapport ‘L'Afrique des minerais stratégiques - Du détournement des richesses à la culture de la guerre’.