Le prix Nobel de la Paix a été attribué au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et à Al Gore. Qu'une institution comme le GIEC (IPCC) créée il y a vingt ans par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), - soit aujourd'hui récompensée, est en soi un signe encourageant. C'est aussi un avertissement adressé à tous ceux qui, à force d'occulter certaines 'vérités qui dérangent', mettent en danger les générations futures, nos générations futures.
Le Comité Nobel et la notion de paix
Le Comité Nobel a décidé – et ce dès 2004 avec Wangari Maataï – d'élargir la notion de paix, au-delà du pacifiste au sens strict. Que ceci soit conforme ou non au testament d'Alfred Nobel lui-même, le débat fait rage dans les milieux pacifistes à Oslo. Mais toujours est-il que la vision plus traditionnelle selon laquelle la paix serait uniquement liée à l'absence de guerre semble reléguée au passé. Signe des temps. Dans l'ère post-11septembre 2001, les frontières entre guerres et paix sont assez élastiques et puis, ne l'oublions pas, pour la première fois de son histoire, le Conseil de Sécurité de l'ONU a abordé le changement climatique et sa capacité à engendrer conflit et désordre international.
De toute façon, à travers cette récompense largement médiatisée, -même si le commun des mortels retient plus facilement le nom d'Al Gore que celui de Rajendra Patchauri –, le monde entier est davantage sensibilisé au fait que les questions du climat sont des enjeux de guerres et de paix ; par extension, et n'en déplaisent aux artisans du Grenelle de l'Environnement en France, dissocier les questions de développement durable et de paix est dépassé. Les auteurs de la Charte de Rio – qui ont fait figurer en toutes lettres les mots de paix et de désarmement dans plusieurs principes – 24,- 25,- 27- (1) – ne s'y étaient pas trompés.
A Planet Protection Fund
Cette récompense peut-elle faciliter la mise en oeuvre de moyens plus conséquents pour réduire les coûts et blessures du dérèglement climatique ? C'est en tout cas ce que souhaite Patchauri. Bien que les médias aient été très discrets sur ce point, l'Indien a déjà proposé un Planet Protection Fund (Fonds de Protection de la Planète). Ce fonds proviendrait de contributions des Etats membres, un peu à l'image du Fonds International pour le Développement et l'assistance mutuelle que proposa en son temps (1955) le chef du gouvernement français Edgar Faure. Ce dernier reprenait d'ailleurs la proposition avancée par Nehru cinq ans auparavant de créer un "Global Peace Fund', - dans le but d'affecter aux pays du Sud les réductions des dépenses militaires des plus riches. Bien qu'une partie du montant du Nobel 07 (un million d'euros) servira à développer la Fondation d'Al Gore, on pourrait suggérer à Patchauri d'investir par exemple dans un "fond pour les guerres oubliées", ou "fond pour les guerres inavouées" en s'inspirant du "Fonds des Maladies Oubliées" que l'association Médecins Sans Frontières (MSF) avait mis sur pied avec sa récompense - son Prix Nobel 1999. Mais qui se chargerait d'administrer ce fond ? Certains regards voudraient bien se tourner vers le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, le PNUE, mais pour des motifs éminemment politiques, l'agence onusienne, qui avait pourtant négocié avec succès le Protocole de Montréal a été dessaisie de toute mission dans les échafaudages qui ont conduit à celui de Kyoto.
Reste à savoir quelles pourront être les autres retombées de l'attribution au GIEC de ce Nobel cuvée 2007. En attendant que les réfugiés climatiques bénéficient d'un statut, on pourrait imaginer au sein de l'Hexagone que le prochain Livre Blanc de la défense, épousant le discours "écologiquement correct" de notre ministre des armées Hervé Morin, intègre les menaces et risques climatiques ; qu'il se dote par conséquent, "diagnostic vérité" oblige, de moyens spécifiques, pas forcément compatibles avec les forces de projection formatées durant la guerre froide et réservées à d'autres ennemis potentiels. Sur le front de la diplomatie, les 26 (autres) membres de l'Union Européenne (UE) pourraient sermonner Paris et rappeler à la France qu'elle se singularise un peu trop en étant la seule nation européenne parmi les 27 à n'avoir (toujours) pas adhéré à la convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires dite ENMOD. Cette convention de 1978 (2) – qui n'interdit pas les recherches en cours - a d'ailleurs été ratifiée par Washington et Moscou.
Les coulisses de Kyoto
Pour le milieu associatif, le Nobel 2007 devrait aussi déclencher quelques sursauts et remettre des pendules à l'heure. En effet, en misant sur l'interaction (durable) climats et paix, les défenseurs les plus zélés du Protocole de Kyoto – un Protocole qui ne prend en compte que 30% de nos émissions – disposent d'un argument de poids pour exiger, après Bali, non seulement l'universalité de son application, mais le refus d'un régime d'exception accordé jusqu'ici aux activités militaires.
Pour Patchauri, - qui ne se cache pas d'être un admirateur du Mahatma Gandhi (3) –le travail méticuleux des scientifiques n'est pas une fin en soi. Le GIEC s'évertue d'ailleurs à faire parvenir aux oreilles des politiques le concentré des données ou estimations chiffrées les/nous concernant. La tenue de la Conférence de Bali en est une brillante démonstration puisque la date de la rencontre a été programmée, puis reprogrammée en fonction de la remise du dernier rapport, du moins les 30 pages du résumé intitulé à l'intention des décideurs (7). Le patron du GIEC n'est pas peu fier d'avoir vaincu la réticence de ses collègues à rédiger en catamini ce résumé. Mais au-delà de cette mission d'information – et de comm - à l'intention des 'Grands' , Patchauri estime que c'est aux communs des mortels de s'emparer du débat. Dans ces interventions, avec ou sans la lampe de poche solaire qu'il exhibe à l'occasion, Patchy (pour les intimes) martèle que c'est le grand public – et les jeunes notamment - qui feront la différence. C'est à eux que revient le pouvoir d'approuver et de désapprouver les options prises par d'autres, déclare-t-il. Alors, dans ce village global où tout se joue sur l'information, parions qu'une partie du montant du prix Nobel servira à donner une plus grande visibilité à cette institution trop discrète qui mérite certainement un service de presse et un service de communication, à la hauteur des enjeux.
BC, janvier 2008
Notes :
(1) Principe 24 : La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable. Principe 25 : La paix, le développement et la protection de l'environnement sont interdépendants et indissociables. Principe 26 : Les Etats doivent résoudre pacifiquement tous leurs différends.
(2) La Convention ENMOD a été négociée dans le cadre de la Conférence du Comité du désarmement, (l'ex dénomination de la Conférence du Désarmement) à Genève, puis adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1976 ; elle a été ouverte à la signature à Genève le 18 mai 1977 et est entrée en vigueur le 5 octobre 1978. Grâce à elle, le monde célèbre ou plutôt peut célébrer chaque année le 6 novembre, journée internationale pour la prévention de l'exploitation de l'environnement en temps de guerre et de conflit armé.
(3) Le seul leader pacifiste à n'avoir jamais reçu le Prix Nobel
P.S. Afin de contribuer à un monde plus pacifique et digne d'être vécu par et pour les
générations futures, toute association peut soumettre des candidatures pour le Nobel 2008
en écrivant à :