Que le lecteur ne se passionne guère pour la présentation débile des bulletins météo, même en été, à l'approche d'une canicule, ça se défend. Mais injecter des produits chimiques ou de l'eau pure dans les nuages, diminuer la grosseur des grêlons ou augmenter la quantité de précipitations est une pratique courante, tel le bricolage du dimanche. Aux Emirats Arabes Unis, à défaut d'importer des nuages, on a acheté les prouesses d'ingénieurs suisses de la société Meteo Systems International, ceux qui ont sorti le Weathertec, un gadget miracle capable de déclencher des pluies. Les Californiens pratiquent l'ensemencement tout comme les Brésiliens tandis qu'en Afrique du Sud, on innove depuis 1999 avec le recours à des sels hygroscopiques...
Outre l'intérêt de contrer la sécheresse, et la désertification, ce bidouillage apparemment inoffensif (mais pas écolo) a des motivations plus futiles. A Beijing, les météorologues ont vanté des technologies avancées ou agents catalytiques pour que le ciel soit dégagé lors la cérémonie d'ouverture des J.O. Cela fait sourire sauf que ... l'Agence météo chinoise qui a vu le jour officiellement en l'an 2000, a de quoi faire fantasmer Météo France. Elle emploie 37.000 personnes, dont 10.000 chargées d'ensemencer les nuages en tirant des fusées ou des obus remplis d'iodure d'argent.
La face cachée de la météo
L'iodure d'argent dans les nuages, pourquoi pas ? La paternité de cette trouvaille revient aux militaires. Comme pour Internet, ce sont eux qui ont mené la danse. Disperser les nuages a été de tous temps leur obsession ; faire le beau temps et la pluie, leur ultime ambition. Au 20ème siècle, l'Armée Rouge a développé dès les années 1930 un programme pour tenter de maîtriser la pluviométrie. De 1967 à 1972, pour casser le moral des Vietnamiens, l'Amérique n'a pas fait dans la dentelle. Des pilotes de la US Air Force décollaient de la base d'Udorn en Thaïlande. Aux commandes de leur C-123 Provider (fournisseur), et de F-4 aux ailes camouflées, ces saboteurs qui agissaient sous les instructions de la CIA, injectaient de l'iodure d'argent dans les nuages. Au total, 2300 missions-pluie ont été menées par l'escadron 54 de reconnaissance météo dans la plus grande discrétion au-dessus du champ de bataille. Nom de code : Opération Popeye. Objectif ? Rendre impraticable la piste Ho Chi Minh, par où transitaient le matériel et la logistique pour ravitailler le Viêt-Cong au Sud ; provoquer de préférence des pluies torrentielles ; prolonger de 30 à 45 jours la saison des moussons. Tout un programme, que le New York Times en juillet 1972 met à sa 'une' en titrant Faire pleuvoir comme arme de guerre. La presse se déchaîne. Une sous-commission du Sénat est créée. Au menu ? L'efficacité des missions sur le plan opérationnel. Avec une augmentation des précipitations de 5%, on se demande alors si les 22 millions de dollars (de l'époque) investis en valaient la chandelle. Peu importe, dès juillet 1973, les auditions éclaboussent le Pentagone et la Maison Blanche. L'Amérique échappera de justesse à un 'Watergate de la météo', mais il lui faudra faire machine arrière.
Le scandale dépasse les frontières. La guerre météo figure à l'ordre du jour de l'Assemblée Générale des Nations Unies dès 1974. Les diplomates se réveillent. Grâce au feu vert concerté des délégations américaine et soviétique, l'ONU présente un an plus tard un traité interdisant la modification environnementale à grande échelle en temps de guerre. C'est la Convention ENMOD. Adoptée en 1977, entrée en vigueur en 78, elle proscrit un catalogue de manipulations qui relèvent de la guerre climatique et/ou de la géo-ingéniérie, dont l'ensemencement des nuages. Plus de 70 Etats signent et ratifient, des petits et des grands, les grandes puissances en tête, et beaucoup d'autres, y compris la Corée du Nord, et la majorité des Etats de l'UE. A une exception près : la France qui ne juge pas opportun de se mouiller ou se lier les mains. 37 ans plus tard, la diplomatie française a toujours la tête dans les nuages et, pour des motifs qui échappent à beaucoup... même au sein de l'institution militaire, Paris n'a toujours pas adhéré au traité.
Aussi longtemps que les artisans de COP21 oublient que les faiseurs de pluie sont d'abord en uniforme kaki, préparons-nous à d'autres mésaventures, y compris du sale temps au Bourget en décembre. Sinon, intensifions nos prières "pour des pluies tranquilles et porteuses de fertilité" comme le peuple Roumain est exhorté à le faire par les dignitaires de l'église orthodoxe.