Dès le mois de juin 1980, l’équipe du GRIP publiait un document sur les effets des activités militaires sur l’environnement. Il est issu d’un rapport de Mostafa Kamal Tolba, directeur exécutif du PNUE.
37 ans plus tard – à l’heure où les recherches sur la sécurité environnementale et la sécurité climatique ont le vent en poupe, un extrait de ce rapport nous enseigne ou nous rappelle combien nos environnements sont victimes des conflits armés et activités militaires :
‘A – Faits et chiffres
Centre trente (130) guerres civiles et régionales ont eu lieu de 1945 à 1979, auxquelles ont participé 81 pays appartenant pour la plupart au tiers monde. (...) Il a été procédé à 1.165 explosions nucléaires de 1945 à 1978, la plupart desquelles visaient à mettre des armes à l’essai ; 667 de ces explosions ont eu lieu après que les essais dans l’atmosphère aient été interdits aux termes du Traité d’interdiction partielles des essais de 1963 (PTBT).
Quelques 595 dispositifs explosifs nucléaires ont été essayés dans 5 grands déserts, au moins, don 130 à l’air libre. (...) La militarisation des océans et des espaces se poursuit également. (...) le nombre de sous-marins nucléaires a augmenté, nettement, plus de 200 de ces submersibles (1) se trouvant actuellement en service selon les estimations du SIPRI.
Les activités militaires absorbent un volume énorme des ressources humaines et naturelles. Selon l’une des estimations dont on dispose, la consommation militaire annuelle de pétrole à l’échelon mondial serait égale au double de celle de tous les pays d’Afrique. (cf rapport ONU sur les conséquences sociales et économiques de la course aux armements).
Il convient de rappeler que les guerres du passé ont eu des effets directs et indirects sur l’environnement en modifiant l’agriculture en déplaçant les marges des déserts et en détruisant l’équilibre des écosystèmes. (...) La Deuxième Guerre mondiale a provoqué une réduction à court terme de 38 % de la productivité agricole de 10 pays, qui a été rétablie au rythme de 8,3 % environ, par an. (...)
La convention ENMOD
La possibilité de causer des dommages économiques ou autres à la population d’un ennemi grâce à des techniques de modification de l’environnement a fait l’objet de bien des spéculations (cf. Westing, Barnaby, Golblat). Les préoccupations que suscitent les méthodes de modification du temps (météo) actuellement mises au point à des fins pacifiques ne sont pas seulement liées aux dommages accidentels que les exploitants pourraient causer aux Etats voisins, mais aussi aux applications hostiles que pourraient avoir ces techniques. On notera à titre d’exemple, que la couverture nuageuse et le régime des précipitations pourraient être délibérément modifiés dans une zone afin de provoquer la sécheresse et des dommages agricoles dans une autre. Des opérations de ce type pourraient être secrètement entreprises et seraient extrêmement difficiles à découvrir et à neutraliser. Etant donné qu’il serait difficile de déterminer si une inondation, une période de sécheresse ou de mauvaise récolte étaient dues à des causes naturelles ou à l’intervention d’un ennemi, la possibilité même de tels actes pourraient envenimer les relations internationales (...)
Restes explosifs de guerre
Quarante quatre (44) gouvernements ont répondu à une enquête du PNUE concernant les effets des restes de guerre sur l’environnement (rapport PNUE, ref. : UNEP/GC/103, A/32/137). Le volume de munitions abandonnées sur certains de leurs territoires lors de la Deuxième Guerre mondiale est stupéfiant. L’un des gouvernements a indiqué qu’il s’était débarrassé de 14.469.600 mines terrestres, et que l’on continuait de découvrir 300.000 à 400.000 mines sur le territoire national chaque année.
Il avait également fallu s’occuper de milliers d’obus, de bombes et d’autres munitions dans divers pays. Le gouvernement du pays le plus gravement touché a signalé que les ‘restes de guerres’ avaient causé le décès de 3.834 personnes, dont une majorité d’enfants et blessé 8384 autres victimes, dont 6.783 enfants (...).
Le problème
Le montant des dépenses militaires mondiales est plus de 20 fois supérieur à celui de l’aide publique au développement (APD) que les pays développés fournissent aux pays en développement. Le montant des dépenses militaires des pays du Tiers monde est 4 fois supérieur à celui de l’aide publique au développement dont ils bénéficient. (...) Le seul moyen politiquement réaliste dont disposent les pays riches désireux d’apporter une assistance accrue aux pays pauvres consiste en une réduction des dépenses militaires, étant donné que les ressources nécessaires à cet effet ne peuvent être prélevées sur d’autres éléments des budgets nationaux. L’un des principaux moyens d’alléger les menaces que les activités militaires font peser sur l’environnement réside dans la négociation d’accords internationaux concernant l’utilisation de certaines armes.
Au nombre des accords relatifs à l’environnement figurent les instruments suivants :
La Convention de 1977 sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou à toutes autres fins hostiles (2) ;
Le Traité sur l’Antarctique du premier décembre 1959 qui stipule que le continent ne doit être utilisé qu’à des fins pacifiques ;
Le Protocole 1 additionnel aux Conventions de Genève de 49 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, ouvert à la signature en 1977 ;
Le Traité sur les principes régissant les activités des Etats membres en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. (...)
Conclusions
Le développement ne peut certes pas être assuré, au rythme voulu, ni la salubrité de l’environnement garantie, alors que la course aux armements ne cesse de s’accélérer.
Il conviendrait de mettre au point des moyens permettant de prédire les pressions que les différents systèmes d’armement feront peser sur les écosystèmes, avant d’améliorer les méthodes de remise en valeur des terres dévastées par la guerre. Il importe que l’on améliore les connaissances relatives aux perturbations écologiques que pourrait entraîner l’emploi de tous les moyens d’agression (...) et qu’une attention particulière soit prêtée à l’utilisation militaire possible des techniques de modification du temps (...) »
Ben C.
Notes :
(1) Depuis la fin de la guerre froide, 42 marines militaires se sont équipées de sous-marins opérationnels. Pourtant, paradoxalement, cette prolifération des acteurs s'est accompagnée (alors) d'une diminution du nombre de bâtiments, le parc mondial de sous-marins d'attaque étant passé de 800 à 400 unités. Les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) demeurent toutefois l'apanage d'un cercle réduit de nations : États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine et Inde.
(2) non signé, non ratifié par la France, ni en 1980, ni en 2016.