Ces gros cailloux, plus petits qu’une planète mais ayant parfois 30 mètres de diamètre, ne doivent pas être pris à la légère. Leur présence dans le cosmos, et l’intérêt qu’on leur porte vont nous faire changer d’époque. Ce ne sera pas la fin du monde, mais la fin d’un monde ; ce monde dans lequel tout corps céleste et ses richesses étaient destinés à bénéficier à tout un chacun d’entre nous puisqu’il n’appartenait à personne.
Quand on est aux commandes du Pentagone en 2016, il vaut mieux porter son regard le plus loin possible et c’est exactement ce que vient de faire Ashton Carter en se rendant début mars en grande pompe dans la Silicon Valley. Cet intello qui règne sur ce complexe démesuré – avec plus de mille bases militaires réparties sur tous les continents – vient de décider que 22 milliards de dollars seront consacrés en 2017 au domaine spatial. Les mauvaises langues diront que c’est de l’argent jeté par la fenêtre, mais de l’argent jeté dans des aventures fort lointaines, avec pour horizon indépassable : l’exploration de l’espace extra-atmosphérique. Que le lecteur ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas d’ériger des lignes Maginot ou des barrières de missiles contre l’invasion inopinée d’astéroïdes mal identifiés qui risquent de nous tomber sur la tête. Il s’agit pour l’oncle Sam de mener une révolution de la pensée et permettre à tout citoyen lambda d’enfourcher le costume d’un vrai businessman ; répéter ce que l’un d’entre eux expliquait au Petit Prince dans l’ouvrage culte de Saint-Exupéry : Quand tu trouves une île qui n'est à personne, elle est à toi. (…) Moi, je possède les étoiles car personne avant moi n'a jamais songé à les posséder .
Pour faire main basse sur le cosmos et son pactole potentiel, Ashton Carter a bénéficié d’un sacré joker. En effet, au mois de novembre dernier, le président Obama himself a promulgué le Space Act.
Cette loi que le Congrès (US) a adoptée sans rechigner (le 20 novembre 2015) décrète que tout matériau qu'un citoyen américain rapporterait d'un astéroïde lui appartiendra. Par extension, toute entreprise (américaine) qui ira à l’assaut des ressources spatiales aura donc le loisir de rafler la mise.
Voilà une mini-révolution dans les affaires militaires : le Pentagone et la NASA ne font plus cavaliers seuls. Ils entraînent dans leur sillage le big business, du moins celui qui peut se prévaloir d’être à la pointe de la technologie de l’innovation comme l’a dit A. Carter lors de son discours au Club du Commonwealth à San Francisco. Parmi ceux qui s’en frottent déjà les mains, et anticipent la pluie de dollars plutôt que celle des débris spatiaux, la startup de Seattle, Planetary Resources (tout un programme !). L’entreprise est financée par de redoutables philanthropes dont le patron de Google Lary Page et le Texan Ross Perot qui a rêvé d’occuper la Maison Blanche grâce à ses milliards. Selon eux, les astéroïdes ne représentent nullement une menace qu’il faut intercepter, capturer, remorquer ou mettre sur orbite comme ambitionne de le faire l’entreprise toulousaine Astrium spécialisée dans les satellites militaires.
Les astéroïdes sont le plus grand cadeau qui nous est offert par le système solaire. C’est ce qui s’affiche sur leur site Internet. Ce cadeau, le cosmos est censé y pourvoir puisque ces corps célestes contiennent des ressources en voie d’épuisement sur notre planète saturée, y compris les terres rares qui seraient beaucoup moins rares là haut ; ou encore cette autre matière stratégique plus précieuse que l’or : le platine.
Dans cette course à l’exploitation minière des astéroïdes, les concurrents étrangers ne se bousculent pas au portillon. Mais un outsider imprévu vient de se faire connaître : le Luxembourg. A défaut de prendre beaucoup de place sur Terre, le minuscule Grand-Duché a propulsé son ministre de l’économie, Etienne Schneider dans l’arène spatiale. Il croit mordicus à cette aventure censée inaugurer une nouvelle révolution industrielle ; pour ce faire, il est épaulé par l’astrophysicienne Amara Lynn Graps qui dirige la section scientifique de Deep Space, une entreprise installée au …Luxembourg, qui se lance – accrochons-nous ! - sur le marché prometteur des vols touristiques dans l'espace.
Voilà donc le premier marché face auquel le projet d’accord de libre-échange transatlantique TAFTA n’est qu’une simple bagatelle. Bagatelle aussi que ce Traité de l’Espace signé en 1967, concocté durant la guerre froide par le Comité des utilisations pacifiques de l'espace extra-atmosphérique de l'ONU, et qui rappelait qu’aucun corps céleste y compris la Lune ne peut faire l’objet d’une appropriation et d’une exploitation personnelles. Mais depuis quand un traité est-il un obstacle à l’entreprise ?
Ben Cramer
Charlie, n°1235, le 23 mars 2016