Destructions durables

Conflit armé en Syrie et dégâts ‘naturels’

SYRIE armes CHIMIQUES animauxActuellement, les conflits armés touchent une vingtaine de pays et 11 % de la surface de la terre. Ils affectent la vie d’un milliard de personnes. Mais pas seulement car ces zones de guerre affectent 10 % des hotspots de biodiversité.
Toute dégradation de la nature dans ces zones constitue dès lors un appauvrissement du patrimoine naturel mondial Pourtant, leurs conséquences sont graves et leurs dégâts irréversibles : dans ces zones, ce sont les générations futures qui subiront pendant très longtemps les conséquences des dévastations actuelles.

Le patrimoine naturel syrien

La Syrie recouvre 185 000 km2. C’est un pays situé dans le sud-ouest du continent asiatique et à l’est de la Méditerranée, dominé par un climat méditerranéen dans les montagnes côtières et semi-sec ou sec dans la plus grande partie des terres intérieures, où se trouve une zone semi-désertique : la Badia.
Le patrimoine naturel syrien est constitué d’une grande diversité d’habitats naturels et comporte de nombreuses zones clés pour la biodiversité mondiale. Il compte 26 Réserves naturelles, d’une surface totale de 283 000 hectares, dont une réserve de biosphère, Al Lajat, au sud du pays. Ces aires protégées abritent des forêts de conifères de montagne, des forêts méditerranéennes, des marais et des zones humides, ainsi que des sites de reproduction pour l’oryx d’Arabie (Oryx leucoryx) dans les steppes arides et des sites de reproduction pour l’ibis chauve (Geronticus eremita). On dénombre environ 7 500 espèces de faune et de flore en Syrie, dont quelques 250 espèces de plantes endémiques selon l'ACSAD (Arab Center for the Studies of Arid zones and Dry lands).
Le conflit armé en Syrie, qui dure depuis maintenant plus de cinq ans, a eu des impacts négatifs importants sur le réseau d’aires protégées : le non-respect des conventions internationales pour la protection du dégradations et des destructions graves dans les réserves naturelles syriennes.affectent 10 % des hotspots de biodiversité. Toute dégradation de la nature dans ces zones constitue dès lors un appauvrissement du patrimoine naturel mondial.

Malgré cela, les questions environnementales sont négligées dans ces périodes de conflits. Elles sont considérées comme secondaires par rapport à l’urgence de la paix et de la sauvegarde des vies humaines.
En période de guerre, les causes de dégâts à la nature sont nombreuses. En premier lieu viennent les bombardements des forêts et des buissons, où se cachent les unités armées : c’est le cas des forêts et réserves dans la région d’Idlib (au nord-ouest du territoire), où les bombardements ont causé des incendies qui se sont propagés rapidement, surtout en l’absence de toute tentative d’extinction des feux. Ces réserves abritent différents types de milieux ouverts et de peuplements forestiers qui hébergent une grande diversité de flore et de faune, dont un riche cortège d’oiseaux. Des combats acharnés ont eu lieu en 2012 dans ces zones, provoquant de nombreux incendies qui ont ravagé plus de la moitié de la couverture végétale.
La deuxième menace concerne l’exploitation intensive du couvert forestier pour le bois d’énergie et l’exploitation des ressources naturelles des aires protégées pour la consommation humaine, avec une exploitation agricole et pastorale, qui cause la destruction irréversible du couvert végétal. Cette situation a été observée dans la Réserve naturelle de Jebel Bala'as, où les derniers individus du pays de pistachier de l’Atlas (Pistacia atlantica), des arbres millénaires, ont été détruits. Une autre menace pesant lourdement sur les écosystèmes et entraînant la contamination du sol et la pollution de l’eau est l’extraction sauvage de pétrole par les groupes armés. Elle est associée à la destruction totale des écosystèmes près des zones exploitées. Ce phénomène a fréquemment été observé dans le nord-est de la Syrie, à proximité des réserves naturelles et des forêts du bord de l’Euphrate.

La nature sauvage comme source de nourriture

A Homs, les habitants de quartiers assiégés pendant près de deux ans (entre 2012 et 2014), n’ont eu d’autre choix pour se nourrir que de se tourner vers les plantes sauvages qui poussaient à proximité. Après l’épuisement rapide des fruits consommables, les feuilles des arbres, des arbustes ainsi que les herbes sont devenues la seule source de nourriture. Parmi les plantes qui ont ainsi été exploitées, on trouve la vigne vierge (Parthenocissus quinquefolia L.), aux effets digestifs pourtant indésirables, mais qui présentait l’avantage d’être abondante dans la région. Il en a été de même des feuilles du figuier (Ficus carica L.), au goût amer, ou des fruits immatures du bibacier ou néflier du Japon (Eriobotrya japonica) consommés avec leur noyau, pour une valeur nutritionnelle maximale. Le goût de ces différentes plantes est rendu acceptable par une cuisson prolongée.

Dans ces quartiers assiégés, les habitants sont privés de farine de blé. Pour compenser ce manque, ils ont recours à de la poudre de thym (Thymus vulgaris), avec laquelle ils réalisent des ‘galettes de résistance’. Un nom approprié aux bienfaits du thym sur la santé, source de fer et de vitamines indispensables. La consommation de thym a sûrement contribué à renforcer la capacité à supporter ces conditions de vie précaires chez les personnes assiégées. Bien que n’entrant pas habituellement dans la gastronomie syrienne, des insectes et des tortues ont également été consommés pour leur apport en protéines. A Al-Ghouta, près de Damas, un quartier assiégé depuis maintenant plus de deux ans, la population locale survit grâce à la fertilité de la terre, qui assure ses besoins en nourriture (blé, légumes, fruits). Ce quartier est aujourd’hui devenu presque autonome sur le plan de l’alimentation.

La nature sauvage comme source de médicaments

A Alep, du fait de la dégradation des conditions d’hygiène, du manque d’eau et de la difficulté d’accès aux soins de santé, la population est fortement exposée à la leishmaniose, une maladie parasitaire chronique. Pour faire face à cette problématique, beaucoup d’habitants ont eu recours à leurs savoirs traditionnels en phytothérapie, comme l’utilisation des extraits de latex des feuilles et des tiges du pommier de Sodome (Calotropis procera), utilisés pour cicatriser et désinfecter les lésions cutanées. Des essais phytothérapiques ont également été mis en place à Al-Ghouta pour soigner les victimes du gaz sarin, arme chimique utilisée dans ce quartier le 21 août 2013. Les habitants ont essayé d’extraire l’atropine, un traitement rapide contre le gaz sarin, de la belladone (Atropa belladonna). Ces traitements n’ont malheureusement pas réussi, la méthode exigeant un équipement spécifique.

La nature comme source d’énergie

En raison des coupures d’électricité, du manque du gaz pour la cuisine ainsi que de gasoil, les habitants des régions touchées abattent les arbres pour leur bois, qu’ils utilisent comme combustible pour la cuisine et le chauffage. Dans les zones des conflits armés, la vie de l’Homme devient plus étroitement liée à la nature. En Syrie, ce recours à la nature sauvage a permis à l’Homme de survivre, de se nourrir pendant les sièges, de trouver un refuge face à la folie de la guerre. Une expérience unique à notre époque, qui mérite d’être mise en lumière pour en tirer des leçons sur l’importance de la nature dans notre vie, ainsi que sur la fragilité de notre mode de vie moderne face aux catastrophes. Ce qui démontre la nécessité pour l’Homme d’entretenir cette relation vitale à son environnement.
Même si la préservation des aires protégées ne peut être considérée comme une priorité face à la catastrophe humanitaire que connaît le peuple syrien, elle doit être vue comme une manière de protéger la communauté humaine à long terme. La destruction irréversible de la nature privant l’Homme des ressources et des services qu’elle lui offre généreusement, sa protection apparaît d’autant plus nécessaire dans les zones de conflits armés.
Samira Mobaeid
Chercheuse en écologie MNHN, Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO, UMR 7204), Equipe "Socio-Ecosystèmes"
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'Courrier de la Nature', septembre-octobre 2016
Avec l’aimable autorisation de la rédaction